Il y a 10 ans, les bonnets rouges !

Bonnets rouges
Lors de la deuxième manifestation des Bonnets rouges, à Carhaix.

Les Bonnets rouges de 1675 avaient des revendications sociales comparables à celles de leurs descendants du XXIe siècle. Contrairement à ce qu’ont laissé entendre les commentateurs autorisés des plateaux de télévision parisiens, les Bonnets rouges n’étaient, ni ne furent en 2013, des insurgés purement antifiscaux. Ces révoltes dites « anti-fiscales » avaient plutôt pour vocation – entre autres objectifs – d’obtenir une répartition de l’impôt plus équitable entre les classes sociales et la fin des privilèges.

Ainsi comme l’a révélé François Colcombet, la découverte parmi les doléances d’une « instruction paroissiale » pour le Kreiz Breizh qui indiquait, à propos de la taxe sur le papier timbré, que « les actes n’offrent plus aujourd’hui à la cupidité des traitants que des objets de spéculation bursale et toutes tendant à grever plus directement la classe la plus utile et la plus nombreuse […] » révélait en fait la pratique ancienne de la spéculation sur les titres de créance. Rien de foncièrement différent donc, de la titrisation des contrats de prêts qui devait atteindre son apogée en 2008. Bref, les Bonnets rouges de 1675 ne s’étaient pas révoltés pour des motifs très éloignés de ceux de 2013 (notamment lors des manifestations énormes de Quimper puis Carhaix), en lutte contre l’écotaxe prélevée par « Ecomouv », l’un de ces fermiers généraux contemporains. Il faut relire Boris Porchnev.

Car c’est bien la crise financière mondiale des subprimes qui a fini par percuter l’économie réelle conduisant à des faillites ou à des relocalisations industrielles à partir des années 2010-2013 provoquant des dégâts retentissants dans la structure des entreprises de l’agroalimentaire breton. Ainsi les décideurs politiques ont fait en sorte que les actionnaires puissent se refaire une santé financière sur le travail des plus modestes, pour récupérer le capital qui s’était évaporé en quelques semaines lors de la panique liée aux « obligations pourries ».

C’est à ce moment précis que le gouvernement voulut ajouter un poids supplémentaire sur le dos de ces salariés en leur demandant de compenser le prélèvement d’une taxe routière supplémentaire par une augmentation de la productivité des ouvriers et des chauffeurs routiers (sans compensation salariale évidement).

La communication avait été bien orchestrée : ce devait être une taxe écologique bonne pour la planète. D’ailleurs en Allemagne, où elle était déjà appliquée, on pouvait constater un report modal, vers le ferroviaire. Sauf qu’en Allemagne le réseau ferroviaire de transport de marchandises avait été conservé et permettait ce basculement dès lors qu’il n’était pas centralisé. En Bretagne, rien de tout cela : point de réseau ferré alternatif ni même de projet concret pour en créer un. Le regretté Michel François, élu UDB de Saint-Herblain, avait parfaitement démonté le stratagème dans plusieurs publications sur son blog. Depuis plusieurs années, les transporteurs avait senti le piège se mettre en place dès la présentation de l’écotaxe, dans les conclusions du Grenelle de l’environnement à l’automne 2008.

Le 4 février 2009, un large collectif d’entreprises et de salariés menait une action de protestation au péage de la Gravelle pour s’opposer à la mise en place de cette écotaxe. Quatre années plus tard, le gouvernement Ayrault prétendit mettre cette directive européenne en application en refilant le marché à la société Ecomouv qui entreprit la mise en place de ses portiques « d’octroi » durant l’été 2013.

Alors que l’industrie agroalimentaire Bretonne – Groupe GAD (abattoir de porc), Marine Harvest (production de poisson), Tilly Sabco et Doux (production de volailles), Jean Caby (salaison) – connaissait depuis des mois de graves difficultés économiques, le gouvernement s’enferma dans son intention de mettre en place l’écotaxe poids-lourd, quoi qu’il en coûtât. Re zo re, la réponse ne se fit pas attendre et du 26 au 28 octobre 2013, des échauffourées éclatèrent devant le portique de Pont-de-Buis, les Bonnets rouges faisant alors l’actualité à Paris pour la première fois depuis 1675, mais cette fois là ce à la vue de tous par écrans interposés.

A Quimper, les Bonnets rouges, loin d’être “manipulés” par les multinationales…

Sidération et incompréhension totale dans le microcosme : comment ces gueux osaient-ils s’opposer aussi massivement et aussi violemment à la loi démocratiquement votée ? Les éditorialistes de la presse intra-périphérique furent complètement déboussolés car cet évènement débordait de leur cadre d’analyse étriqué, parisiano-centré. Les autorités préfectorales, les hauts fonctionnaires, tout comme le personnel politique hexagonal ne trouvèrent pas de réponses adaptées à l’analyse de la situation dans leurs manuels de l’ENA.

Et comme l’a bien résumé Emmanuel Todd dans sa préface pour l’ouvrage « l’automne des Bonnets rouges » (Editions Dialogues) : « Il en a résulté l’un des traits les plus importants et étranges de l’événement : un effort massif, incohérent mais délibéré du centre pour imposer sa vision et son interprétation, pour plaquer les concepts de passéisme, de poujadisme et de régionalisme sur la révolte. Un combat au second degré a presque immédiatement accompagné le combat lui-même, chaque groupe du cœur dirigeant et conformiste de l’Hexagone essayant de donner son sens à l’évènement, un sens archaïque et menaçant pour l’intégrité nationale le plus souvent. Avec, au final, une tentative de récupération par l’extrême-droite, accueillie avec soulagement par la gauche, si gênée par une révolte anti-système non polluée par le Front National ».

Durant l’hiver suivant, les Bonnets Rouges vont s’organiser afin de mailler le territoire de la Bretagne. Près d’une cinquantaine de comités locaux seront alors rapidement constitués, dans les 5 départements bretons. Ni l’hiver, ni les tempêtes à répétition, ni les promesses d’un Pacte d’avenir indigent concocté dans l’urgence par le gouvernement et décrié avec raison par les Bonnets rouges, ne sont venus à bout de ce mouvement disparate, fort en gueule, parfois brouillon. Depuis le mois de décembre, une soixantaine de comités locaux s’étaient constitués. Ils avaient reçu une feuille de route et s’étaient engagés à respecter la Charte du Collectif « Vivre, décider et travailler en Bretagne », avec comme objectif de rendre leurs doléances avant le 30 janvier 2014, pour préparer des États généraux.

Défi relevé et gagné puisque en amont du samedi 8 mars 2014, retenu pour organiser ces états généraux, 15 000 doléances furent brassées pour en extraire les grandes lignes. Bien sûr, la suppression de l’écotaxe qui restait l’une des priorités du mouvement. Mais aussi des revendications portant sur l’emploi, l’aménagement du territoire, la régionalisation et la volonté d’expérimenter.

Hélas, la difficulté à transformer cette dynamique exubérante en une force de proposition organisée dans la durée, a empêché les Bonnets rouges de s’opposer à la réactivation du fonctionnement routinier des structures plus classiques.

L’histoire ne repasse pas les plats, une occasion unique a été manquée

Lire aussi la note de Cairn à propos des Bonnets rouges

> Gwenael HENRY

Gwenael Henry vit à Lézardrieux. Il a été membre du bureau politique de l'UDB.