Entretien. « Pour la langue bretonne, c’est un recul de la Région » selon Nil Caouissin

Nil Caouissin est membre de l’Union démocratique bretonne et co-président du groupe d’élus régionaux « Breizh a-gleiz – écologie, autonomie, territoires ». Il revient pour le Peuple breton sur le débat concernant la politique linguistique lors de la session budgétaire du Conseil régional de Bretagne organisée cette semaine, les 13, 14 et 15 février.

Capture écran de la diffusion de la session budgétaire du Conseil régional de Bretagne le 14 février 2023 © Région Bretagne
Le Peuple breton : Lors du vote du budget de la Région Bretagne, vous vous êtes opposé au président Loïg Chesnais-Girard à propos du budget du breton. Vous parlez de baisse, lui de hausse. Vous n’avez pas les mêmes chiffres ?

Nil Caouissin : En effet, l’exécutif parle dans sa communication d’une hausse de 100 000 € sur le programme langues de Bretagne. Mais le Conseil culturel de Bretagne, dans son avis parle d’une hausse « en trompe-l’œil » et d’une baisse de 77 000 € dans le budget de fonctionnement.

En fait, l’exécutif compare les chiffres du Budget primitif (BP) de 2023 avec celui de 2022 mais cela n’a aucun sens, car les BP ne sont que des budgets provisoires : ils évoluent en cours d’année avec des Décisions modificatives (DM). L’une d’entre elles en 2022 avait augmenté le budget initial de la politique linguistique de 277 000 € : 100 000 € au budget d’investissement pour l’audiovisuel en breton, 147 000 € pour le breton et 30 000 € pour le gallo pour le budget de fonctionnement.

Cette année, les 100 000 € de plus annoncés par la majorité représentent en fait 20 000 € de plus pour le gallo et 197 000 € de moins pour le breton… Le vrai budget 2022, donc, était plus élevé que celui voté en 2023 : très concrètement, cela veut dire que le budget que nous venons de voter, s’il s’applique en l’état, financera moins de projets qu’en 2022.

« Les 100 000 € de plus annoncés par la majorité représentent en fait 20 000 € de plus pour le gallo et 197 000 € de moins pour le breton… Le vrai budget 2022, donc, était plus élevé que celui voté en 2023. »

Par ailleurs, l’inflation forte que nous connaissons signifie que toute stabilité budgétaire correspond en réalité à une baisse. Pour la langue bretonne, c’est un recul de la Région. Nous sommes très loin des engagements de campagne de Loïg Chesnais-Girard qui, dans son alliance de second tour avec Daniel Cueff, s’était engagé à reprendre le « Plan Marshall pour les langues de Bretagne » ; plan qui prévoyait de tripler le budget de la politique linguistique dès 2022… On se doutait bien que cette promesse ne serait pas appliquée telle quelle, mais de là à baisser le budget un an et demi après les élections, il y a un sacré pas de franchi dans le mauvais sens.

Du côté de l’exécutif, quelles justifications sont avancées pour expliquer ce recul ?

N. C. : D’abord, ce recul n’est pas assumé tel quel publiquement : malgré l’évidence, la majorité relative continue de communiquer sur une augmentation du budget. Comme il faut bien tout de même se défendre, le président renvoie la balle aux autres collectivités : et les départements ? Et les communautés de communes ? Je suis effaré de voir autant d’irresponsabilité face aux engagements de campagne, faites aux électeurs. Et si le président veut vraiment mobiliser les autres collectivités sur ce sujet, ce n’est pas en baissant le budget de la Région qu’il créera la dynamique nécessaire !

« Si le président veut vraiment mobiliser les autres collectivités sur ce sujet, ce n’est pas en baissant le budget de la Région qu’il créera la dynamique nécessaire ! »

Concrètement, quelles en seront les conséquences ?

N. C. : Concrètement, même en prenant pour référence le Budget primitif de 2022, certaines lignes budgétaires baissent et c’est très inquiétant. On peut citer une baisse de financement de 6 200 € pour le développement de l’édition, -9 600 € sur le soutien à la transmission familiale, -20 300 € sur le développement de l’enseignement bilingue initial, et même -164 900 € sur le développement de la formation pour adultes alors que c’est une action essentielle à la réussite de toute la politique linguistique !

Sans compter les actions supplémentaires engagées grâce à la décision modificative de 2022 et qui risquent de se retrouver sans financement. Le tout dans un contexte où les prix flambent… on comprend que les acteurs associatifs feront moins, tout simplement, si la copie n’est pas revue.

Il y aura d’autres sessions du Conseil régional dans l’année… L’occasion de rattraper le coup ?

N. C. : Nous l’espérons. Nous pousserons pour l’adoption d’une décision modificative au plus vite, pour que les effets de la baisse des crédits n’aient pas encore eu le temps de se faire sentir. Le président a parlé d’une DM pour appliquer les effets d’un futur plan de développement, mais ce plan n’est pas encore en discussion… Il faudra augmenter les crédits sans attendre des discussions qui peuvent durer des mois, et qui ont déjà été repoussées (elles auraient dû se tenir en 2022, NDLR).

« La politique pour la langue bretonne est une course contre-la-montre. Fragiliser les acteurs pendant un an, c’est prendre le risque de l’échec. » – Nil Caouissin, conseiller régional UDB

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La majorité relative a rejeté votre amendement qui proposait un million d’augmentations pour ce budget, et celui du groupe centriste qui prévoyait un peu plus de 600 000 €. Restez-vous optimiste pour la suite ?

N. C. : C’est vrai que nous sommes très déçus du rejet de notre amendement : il s’agissait au fond de permettre de continuer à développer l’existant dans un contexte d’inflation, et de ménager de l’espace pour quelques nouveautés, le tout sans aucune dette supplémentaire puisque nous le compensions par d’autres mouvements budgétaires.

L’amendement centriste était plus modéré encore. Le fait que les deux aient été rejetés n’est pas rassurant. Cela a d’ailleurs pesé dans le choix de notre vote global (opposition à l’équilibre global du budget primitif, NDLR).

Mais on peut se dire qu’il y avait là un geste d’orgueil de la part de l’exécutif : prendre un de ces amendements auraient signifié reconnaître une erreur de calibrage au départ… Ils préféreront peut-être proposer eux-mêmes une hausse du budget un peu plus tard.

La mobilisation sera essentielle pour redresser la barre, et ce, d’autant plus qu’un autre amendement, qui réclamait que la Région applique un bilinguisme paritaire dans sa signalétique et ses publications – et donc respecte sa propre Charte d’utilisation des langues de Bretagne ainsi que la Convention spécifique signée avec l’État – a été sèchement rejeté par la majorité relative.

> Ar Skridaozerezh / La Rédaction

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