À la faveur des expériences viticoles récentes en Morbihan ou Côtes-d’Armor, le sujet de la vigne en Bretagne revient plus régulièrement dans l’actualité. L’occasion de rappeler que, non, la vigne n’est pas nouvelle en Bretagne. D’une part parce que ce serait dénigrer les vignerons de Loire-Atlantique qui parlent de leur terroir comme du « vignoble breton ». D’autre part parce qu’ailleurs aussi, elle était cultivée, par exemple autour du golfe du Morbihan jusqu’en 1993. Loire-Atlantique, Morbihan mais aussi dans les trois autres départements où la toponymie – les noms de lieux – nous révèle que la vigne en Bretagne, c’est une histoire bien plus ancienne qu’il n’y paraît.
Dans son ouvrage Noms de lieux bretons du Pays nantais (Yoran Embanner, 2017)1, Bertrand Luçon rappelle que « la culture de la vigne en Bretagne n’a pas été limitée de tout temps au vignoble nantais, loin s’en faut : on faisait autrefois du vin dans la vallée de la Rance, le pays de Rennes, la presqu’île de Rhuys et dans le pays de Guérande bien entendu. » Pour le savoir, il y a l’archéologie, comme dans la région guérandaise (44) où l’on sait désormais que l’introduction de la vigne remonte à l’Antiquité : « les fouilles récentes de la villa gallo-romaine du Pladreau à Piriac-sur-Mer ont mis à jour un pressoir à vin et un chai aménagés entre le IIe et le IVe siècles ».
Mais l’auteur nous précise aussi que « la toponymie conserve le souvenir de cette tradition séculaire […] : le mot vigne apparaît cinquante fois au seul cadastre d’Assérac, et à de très nombreuses reprises dans l’ensemble du pays de Guérande. »
Quand les toponymes nous racontent où poussait la vigne en Bretagne
En breton, « de la vigne » se dit gwini (collectif) et au singulatif gwinienn (f.) ; ur winienn, « une vigne ». Le terme est construit sur gwin, « vin ». Le mot a été emprunté au latin vinum. Mais, il y a peu de toponymes en langue bretonne se rapportant à la vigne ; la majorité d’entre eux est en français, même en Basse-Bretagne. On note par exemple les lieux-dits Kervignac à Moëlan (29), qui était Kerguignec au XVe siècle, « le hameau de la vigne » ; Goh-Viniec, « vieille vigne », à Sarzeau (56)2 ; et Ar Winiec, « la vigne », au Juch (29), « une parcelle très bien exposée, au pied d’un ancien château », explique Jean-Marie Ploneis dans La toponymie celtique (éditions du Félin, 1993)3.

Bertrand Luçon1 nous rapporte une dizaine d’autres toponymes bretons hérités de la vigne dans la presqu’île guérandaise :
- Gwini, « vigne », dans la Clos-Guinnamise (Saint-Lyphard) : « La tenue de la vigne que tient Perrot Amice » (1452), en breton moderne : Kloz gwini Amice.
- Gwinieg, « vignoble », dans Mengunié (Pénestin), qui était par le passé Menguniec (1707), Mainguniec (1732), Mainguiniet (1743), soit maen (pierre) + gwinieg.
- Le Clos-Vignet (Férel) s’écrivait auparavant Clevynyec (1544), Clevignec (1624), composé du breton dialectal Clé (klé, kleuñv, kleuz soit « le fossé et son talus ») + gwinieg. Finalement, Klé (er) winieg signifie « le talus du vignoble ».
- Le Cohignai (Férel) s’écrivait Cohuuigné (1639) : koh winieg, « le vieux vignoble » ; koh étant la forme vannetaise du moderne kozh. Le Pré-du-Guigné (Piriac-sur-Mer) et Languigné (Guérande) sont du même… tonneau.
- Gwiniegi, pluriel de gwinieg, « les vignobles », se retrouve dans les noms Prat-en-Guynieguy en Pénestin (soit « le pré des vignes »), le Clos-du-Gueneguy à Férel, et le Clos-du-Gueneguy en Assérac.
- Enfin, gwinier, « vigneron », se présente sous la forme plurielle (-ion) dans le Bois-de-Vénérion (Pénestin) qui était Bot-er-Vignerion en 1571, en breton moderne bod ar winerion, « la demeure des vignerons ».
Des lieux-dits qui nous évoquent aussi la route des vins en Bretagne
La toponymie bretonne a aussi conservé quelques traces relatives au commerce du vin et à son transport depuis Nantes ou Bordeaux : Pont-ar-Gwin, « le pont du vin » à Trémuson (22), Pors-ar-Gwin « le port du vin » à Plouguiel (29) et encore Roz-ar-Gwin, « le coteau du vin » à Laz (29) et Toul-Gwin, « le lieu du vin » à Penmarc’h (29)4. Il faut y ajouter Karrhent-ar-Gwin, « le chemin carrossable du vin » à Berrien (29), une route menant de cette commune au Relecq3.
Le terme apparaît également dans sa graphie du Moyen Âge (vieux et moyen breton), dans Coat-Guin, « le bois du vin » au Vieux-Marché (22), Pont-ar-Guin, « le pont du vin » à Carnoet (22), Pont-Guin à Briec (29), Roz-ar-Guin, « le coteau du vin » à Leuhan (29). Il semble que gouin transcrit la prononciation trégoroise dans Crec’h-ar-Gouin, « la côte du vin » à Bégard (22), et Porsgouin à Pleudaniel (22). Le terme est francisé dans Stervins à Riantec (56), alors qu’il était Staerguyn en 1495, « la rivière du vin »4.

Une source notable, la Nomenclature des écarts, hameaux et lieux-dits éditée par l’INSEE
En français, les termes « la vigne », comme à Belle-Île (56), ou « les vignes », comme à Trévéneuc (22), sont pratiquement les seuls utilisés, parfois avec une extension, une précision, surtout en Pays nantais et en Pays rennais : la Vigne-des-Thébaudières au Cellier (44), la Vigne-Fontaine à Laignelet (35).
Ces exemples sont tirés des cinq volumes de la nomenclature de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) publiés en 19825. Parmi ces ouvrages, voici les toponymes liés à la vigne que nous avons relevés. Ils sont reproduits ici par département, classés par ordre alphabétique des communes où chaque toponyme est relevé :
Côtes-du-Nord
- « La Vigne » : 22015 Bréhand, 22050 Dinan, 22066 Le Gouray, 22077 Hénansal, 22079 Henon, 22081 Hillion, 22102 Langourla, 22114 Lanrelas, 22122 Laurenan, 22133 Loscouët-sur-Meu, 22143 Matignon, 22175 Plédéliac, 22186 Pléneuf-Val-André, 22268 Ruca, 22300 Saint-Hervé (la Vigne-aux-Évêques), 22337 Sévignac.
- « Les Vignes » : 22190 Pleslin-Trigavou, 22377 Trévéneuc.
Finistère
- « La Vigne » : 29077 Guisseny, 29207 Plourin-lès-Morlaix.
Ille-et-Vilaine
- « La Vigne » : 35004 Beaucé, 35008 Availles-sur-Seiche, 35013 Bains-sur-Oust, 35014 Bais, 35021 Beaucé, 35023 Bédée, 35031 La Bouexière, 35032 Bourgbarré, 35033 Bourg-des-Comptes, 35037 Bréal-sous-Montfort, 35039 Brécé, 35047 Bruz, 35048 Campel, 35056 La Chapelle-aux-Filzméens, 35076 Chavagne, 35080 Cintre, 35082 Coesmes, 35087 Cornillé, 35089 La Couyère, 35106 Ercé-en-Lamée, 35109 Etrelles, 35115 Fougères, 35119 Gennes-sur-Seiche, 35123 Goven (la Vigne-de-Louvain), 35125 La Guerche-de-Bretagne, 35127 Guignen, 35133 Iffendic, 35135 Irodouer (la Vigne-de-la-Fontaine), 35136 Janzé, 35138 Laignelet (la Vigne-Fontaine), 35139 Laillé, 35149 Lassy, 35150 Lecousse, 35160 Loutehel, 35174 Melle, 35179 Miniac-Morvan, 35194 Montreuil-sous-Pérouse, 35196 Mordelles (la Vigne-Collet), 35201 Muel, 35204 Nouvoitou (la Vigne-en-Vauzelle), 35210 Pacé, 35223 Plélan-le-Grand, 35227 Pleumeleuc, 35228 Pleurtuit, 35235 Rannée (la Vigne-aux-Évêques), 35237 Renac, 35267 Saint-Etienne-en-Coglès, 35271 Saint-Georges-de-Reintembault, 35275 Saint-Gilles, 35279 Saint-Guinoux, 35281 Saint-Jacques-de-la-Lande, 35283 Saint-Jean-sur-Vilaine, 35295 Saint-Maugan, 35306 Saint-Père, 35307 Saint-Pern, 35337 Tinténiac.
- « Les Vignes » : 35133 Iffendic, 35138 Laignelet, 35238 Rennes (les Vignes-de-la-Mare), 35274 Saint-Germain-sur-Ille, 35299 Saint-Méloir-des-Ondes, 35310 Saint-Sauveur-des-Landes, 35331 Talensac, 35340 Treffendel.
- « La Vignette » : 35097 Domalain, 35263 Saint-Coulomb, 35279 Saint-Guinoux, 35299 Saint-Malo-des-Ondes, 35337 Tinténiac, 35352 Vern-sur-Seiche.
- « Vigneux » : 35358 la Ville-es-Nonais.
Loire-Atlantique
- « La Vigne » : 44019 Bouée (la Vigne-de-Meaux), 44023 Bouvron (la Vigne ainsi que la Vigne-du-Chatel), 44024 Brains (la Vigne-de-Jasson), 44026 Carquefou (la Vigne-Rouge), 44028 Le Cellier (la Vigne-des-Thébaudières), 44097 Mesquer, 44128 Plessé (la Vigne-Marou), 44171 Saint-Léger-les-Vignes (la Vigne-de-la-Lande), 44180 Saint-Marc-la-Jaille, 44191 Saint-Supplice-des-Landes, 44195 Savenay (la Vigne-du-Seigneur), 44208 Treffieux, auxquels on peut ajouter la commune de Vieillevigne (44116).
- « Les Vignes » : 44029 La Chapelle-Basse-Mer (les Vignes-du-Praud), 44034 La Chapelle-Saint-Sauveur, 44035 La Chapelle-sur-Erdre, 44080 Lavau-sur-Loire (les Vignes-du-Moulin), 44140 La Regrippière, 44151 Saint-André-des-Eaux (les Vignes-de-Trehe), 44162 Saint-Herblain, 44710 Saint-Léger-les-Vignes, 44186 Sainte-Pazanne.
- « Vigneux » : 44360 Vigneux-de-Bretagne (auparavant Vigno en 1038, Vigneu en 1287, Vignou en 13086).
Morbihan
- « La Vigne » : 56004 Arzal, 56006 Augan, 56012 Beignon, 56060 Les Fougerets, 56061 La Gacilly, 56122 Loyat, 56127 Mauron, 56152 Le Palais, 56166 Plouay, 56191 Réminiac, 56216 Saint-Gorgon, 56218 Saint-Gravé, 56239 Saint-Vincent-sur-Oust.
- « Les Vignes » : 56070 Guégon, 56033 Carentoir.
Tableau récapitulatif
Département | La Vigne | Les Vignes | Divers | Total |
---|---|---|---|---|
22 | 16 | 2 | 0 | 18 |
29 | 2 | 0 | 0 | 2 |
35 | 56 | 8 | 7 | 71 |
44 | 14 | 9 | 1 | 24 |
56 | 13 | 2 | 0 | 15 |
Total Bretagne | 101 | 21 | 8 | 130 |
Mais pourquoi si peu de toponymes liés à la vigne en Loire-Atlantique ?
Dans notre tableau récapitulatif, n’est-il pas étonnant qu’on ne trouve, en français, que 24 mentions de la vigne en Loire-Atlantique alors qu’on en compte près de trois fois plus (71) en Ille-et-Vilaine ? C’est que, dans les fiefs du Pays nantais, pratiquement « tout est vigne », alors qu’en Pays rennais, ce ne sont que des souvenirs d’anciennes vignes.
On constate, par exemple, qu’à Saint-Fiacre-sur-Maine – où l’auteur de ces lignes a fait les vendanges dans sa jeunesse, au village de La Bourchinière –, il n’y a aucune mention de vigne dans la nomenclature de l’INSEE, alors que le vignoble y est omniprésent. Il en est de même à Vallet, à Mouzillon, la Haye-Fouassière, Haute-Goulaine… autant de fiefs du muscadet !

À la croisée de l’histoire, des langues et de l’économie de la vigne en Bretagne : l’opportunité d’une étude toponymique ?
En breton comme en français, ces traces toponymiques montrent que l’on a cultivé la vigne un peu partout en Bretagne. Peu en Léon et Cornouaille, un peu plus en Trégor et Penthièvre-Gouélo, plus encore en Pays vannetais et nettement plus en Pays rennais. Et, bien sûr, il y a le Pays nantais.
L’histoire et la pratique de la vigne en Bretagne commencent à être bien connues. Le dernier ouvrage en date, Le renouveau de la vigne et du vin en Bretagne, écrit par Guy Saindrenan (Locus Solus, 2022), est à conseiller à tous les passionnés. Pour autant, il manque une étude toponymique sur ce sujet : au-delà de la connaissance de notre propre territoire, collecter et rendre accessible cette mémoire des lieux apporterait des clés aux investisseurs comme aux amateurs qui participent aujourd’hui à la nouvelle dynamique viticole de la Bretagne.
À propos, Guy Saindrenan note que « la plupart des précurseurs de la réimplantation de la vigne en Bretagne ont planté sur des territoires dont je n’ai que des raisons de penser qu’ils ne furent jamais dédiés à la vigne : tel est le cas de la vigne du Braden à Quimper ou de celle du Clos-de-Chevalier au Quillio (22), dont les créateurs furent parmi les premiers néo-vignerons de Bretagne. » Et de prévenir : « Je crois même pouvoir affirmer que ce sont souvent les anciens sites viticoles qui furent les moins entreprenants et les plus retardataires pour restaurer cette activité défunte : tel est le cas de Sarzeau par exemple qui, pourtant, comptait encore un viticulteur officiel en 1993. »
Dans son ouvrage La vigne et le vin en Bretagne (Coop Breizh, 2011), le spécialiste avait utilisé la toponymie locale comme argument pour établir la réalité historique des différents vignobles bretons. « C’est l’un des quatre critères que j’ai retenu pour établir la réalité d’un vignoble disparu, ne faisant en cela que reprendre la position de Roger Dion, notre historien de la vigne de référence. »
Alors, à quand une étude toponymique ? La nomenclature de l’INSEE réalisée en 1982, parfois sujette à omissions, relève essentiellement la toponymie française. Le travail de Bertrand Luçon met, lui, en évidence les renseignements que peut apporter la toponymie bretonne. Par ailleurs, l’étude des toponymes de langue gallèse, voire poitevine pour ce qui concerne le pays de Retz, apporterait son lot d’information. Autre ressource géographique, les cours d’eau : savez-vous qu’il existe l’anse des Vigneux sur les bords de la Rance ?2 Amis géographes, universitaires, datajournalistes… Appel aux bonnes volontés !
Le berligou, ce cépage qui lie toponymie d’hier et vin d’aujourd’hui
En Pays nantais, on distingue la zone de production du gros-plant, celles des Côtes-de-Grandlieu et de Sèvre-et-Maine ou des Coteaux-de-la-Loire qui produisent le muscadet, et enfin les Coteaux-d’Ancenis au Nord. Des vins de qualité confectionnés par des viticulteurs professionnels, sans oublier leurs créations nouvelles comme le spoumeg, un vin pétillant, et le berligou, ce cépage des ducs souverains de Bretagne pour lequel les 18 années de recherche ont abouti en 2021 (lire aussi « Viticulture. Le succès du Berligou ! »).
Il semble que « le clos de Breligout, situé dans le fief de Beaulieu, à Couëron, où les ducs ont leur résidence, reçoive les trois premiers plants »7 donnés par le futur Charles le Téméraire à François II, duc de Bretagne, vers 1460. Et que ceux-ci s’y sont développés durablement. Le toponyme figure effectivement dans la nomenclature de l’INSEE sous la graphie « le Berligout », la métathèse transformant « Bre- » en « Ber- » étant fréquente. De fait, le berligout est le seul toponyme breton issu d’un cépage local encore cultivé. Plus d’information : association Le Berligou, https://leberligou.fr
par Tugdual Kalvez, avec la rédaction
Article mis à jour le 22/01/2023 : ajout des citations de Guy Saindrenan
Bibliographie
1. Noms de lieux bretons du Pays nantais, Bertrand Luçon (Editions Yoran embanner, 2017)
2. La vigne en Bretagne, in Bécédia, Guy Saindrenan (Bretagne Culture Diversité, 2022)
3. La toponymie celtique, Jean-Marie Plonéis, tome 2 (éditions du Félin, 1993)
4. Dictionnaire des noms de lieux bretons, Albert Deshayes (éditions Le Chasse-Marée/ArMen, 1999)
5. Nomenclature des écarts, hameaux et lieux-dits des Côtes-du-Nord, du Finistère, d’Ille-et-Vilaine, de Loire-Atlantique et du Morbihan, en cinq volumes (éditions de l’INSEE, 1982)
6. Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France, Albert Dauzat et Charles Rostaing (Librairie Guénégaud, 1989, deuxième édition)
7. Berligou, le vin des ducs de Bretagne, Alain Poulard et Marcel Jussiaume (Le Temps éditeur, 2022)