Tribune. « Celtique ? » Une exposition partielle et partiale

En mars 2022, le Musée de Bretagne a ouvert au public une exposition intitulée « Celtique ? » qui veut questionner les liens qu’a la Bretagne avec les Celtes. Il ne s’attendait pas à créer autant la polémique. Las, artistes et universitaires, arguments à l’appui, ne cessent d’appeler les organisateurs à revoir leur copie. Les élus autonomistes de Rennes, du Département d’Ille-et-Vilaine et de la Région Bretagne viennent de signer une tribune, que le Peuple breton reproduit ici.

TRIBUNE. Face à la controverse engendrée par l’exposition « Celtique ? » qui se tient au Musée de Bretagne à Rennes jusqu’en décembre, nous, élus municipaux, métropolitains, départementaux et régionaux souhaitons réagir et faire part de notre étonnement devant le caractère partial de l’exposition.

Nous déplorons également que les diverses déclarations dans la presse de la part de membres de la direction du musée ou des Champs Libres, loin de répondre aux critiques argumentées d’universitaires reconnus, balayent celles-ci d’un revers de la main.

Une exposition partielle et partiale

Il n’est bien sûr pas question de désapprouver sur le principe la tenue d’une telle exposition, interrogeant le caractère celtique de la Bretagne. Le parti pris de l’exposition, affiché dès le début du parcours, de « déconstruire les clichés » en les confrontant aux connaissances scientifiques de la période de l’âge du fer et du haut Moyen Âge nous paraissait même une démarche prometteuse.

Affiche de l'exposition Celtique ?
L’une des affiches du Musée de Bretagne annonçant l’exposition.

Mais celui-ci conduit l’exposition à construire son propre récit que nous pourrions résumer ainsi : il y a bien eu en Europe une civilisation celtique à l’âge du fer, une migration de populations celtes venues de Grande-Bretagne lors du haut Moyen Âge, mais tout ce qui est postérieur à l’âge du fer ne peut être considéré comme celte. Tout le reste ne serait que récit imaginaire forgé par les nationalistes bretons, depuis le XIXe siècle romantique en passant par les collaborateurs du PNB sous l’Occupation, et par les productions contemporaines de l’industrie musicale ou du marketing et de la publicité. Et l’exposition de conclure : « il n’y a pas de filiation directe entre les faits culturels d’aujourd’hui et ceux des populations de l’Antiquité. »

Ce récit a été déconstruit par des universitaires bien mieux qualifiés que nous pour le faire, dont Ronan Le Coadic, professeur à l’université Rennes 2. Nous nous bornerons juste à constater que pour en arriver à cette conclusion, cette exposition n’est pas exempte de biais et dissimule les travaux scientifiques qui iraient à l’encontre de son parti pris. En voici quelques exemples :

  • L’accent prépondérant mis sur la culture matérielle des Celtes via l’archéologie et sur les sources écrites. Ceci conduit à montrer deux cartes des migrations bretonnes venues de Grande-Bretagne qui se seraient arrêtées sur la Vilaine. Comment alors expliquer la présence de nombreux toponymes bretons dans l’actuelle Loire-Atlantique et le maintien de l’usage de la langue bretonne dans la presqu’île de Guérande jusqu’au XXe siècle ?
  • La présence de la langue bretonne jusqu’à aujourd’hui, dernière langue celtique du continent et dont la filiation directe avec les langues celtiques de l’Antiquité est avérée, contredit la conclusion de l’exposition.
  • L’occultation des travaux du chercheur et universitaire Donatien Laurent sur la parenté entre littérature orale bretonne contemporaine et sources écrites galloises du Moyen Âge, et sur la persistance de traits celtiques dans l’actuelle troménie de Locronan. Cette dissimulation conduit même l’exposition à prétendre que la longue querelle sur l’authenticité des collectages sources du Barzaz Breiz, recueil de chants populaires bretons publiés au XIXe siècle, ne serait pas terminée, alors que le même Donatien Laurent a retrouvé les carnets de collectes de l’auteur en 1964…

Enfin, si nous pouvons partager la volonté que l’exposition comporte un aspect ludique sous la forme de questions « Celte ou pas celte ? », le même parti pris là encore se manifeste. Ainsi, le roi Arthur (ou sa légende) ne serait pas celte car pas de l’âge du fer…

Une réponse pas à la hauteur

Confrontées au retrait d’Alan Stivell, parrain de l’exposition, puis aux critiques argumentées de plusieurs universitaires, force est de constater que les réponses des responsables de l’exposition ont esquivé les questions de fond, ne mentionnant qu’une sous-estimation du côté « affectif » du sujet, ne reconnaissant que quelques maladresses.

Toutefois, certaines modifications ont été et seront faites dans l’exposition, fait assez rare pour être souligné. Mais selon les déclarations de Marion Six, commissaire de l’exposition : « On ne change pas le message, on modifie la formulation ». Ce que nous avons pu constater, hélas, concernant le cartel consacré au Barzaz Breiz, puisque l’ambiguïté est maintenue sur la question de l’authenticité des collectages.

Reste le catalogue à venir. Nous prenons acte de la volonté de Corine Poulain, directrice des Champs Libres, de creuser le sujet et de produire un catalogue qui fasse référence tout en gardant un équilibre dans les contributions. Nous espérons que ce travail viendra corriger les omissions et les présentations problématiques de l’exposition.

Les signataires :

Gael Briand, Conseiller régional de Bretagne

Nil Caouissin, Conseiller régional de Bretagne

Montserrat Casacuberta, Conseillère municipale et métropolitaine, Rennes

Michel Durand, Conseiller municipal, Bécherel

Jean-Marie Goater, Conseiller municipal et métropolitain, Rennes

Christian Guyonvarc’h, Conseiller régional de Bretagne

Joel Le Gall, Conseiller municipal, Le Rheu

Denez Marchand, Conseiller départemental, canton de Rennes 2

Jean-François Monnier, Conseiller municipal et métropolitain, Rennes

Ana Sohier, Conseillère régionale de Bretagne

> Ar Skridaozerezh / La Rédaction

Rédaction. Le Peuple breton est un site d'information en ligne et un magazine d'actualité mensuel – en français et en breton – imprimé à 4 000 exemplaires chaque mois. Ils sont tous deux édités par Les Presses populaires de Bretagne, maison d'édition associative basée à Saint-Brieuc. L'équipe de la rédaction, entièrement bénévole, est animée par une centaine de rédacteurs réguliers dont des journalistes professionnels.