
Parmi les sujets historiques peu connus, celui des voies et réseaux de communication tient une bonne place. Pourtant, il est révélateur de nombreuses dynamiques globales et locales, notamment dans le quotidien des populations les empruntant, ce que l’historien Louis Pape qualifie de « respiration » d’un territoire. En effet, c’est par l’histoire des voies et réseaux de communication que l’on peut percevoir les axes de circulations et de commerces, ainsi que l’arrivée de nouvelles formes de déplacements. Redon est un bon exemple de cette histoire.
En effet, Redon représente un exemple remarquable, par la multiplicité des réseaux routiers et ferroviaires qui s’y sont mis en place dans le temps, et qui ne peuvent pas être observés pour n’importe quelle autre ville. Elle ne fait pourtant pas partie de ces très vieux centres urbains armoricains comme Rennes, Nantes, Vannes ou Alet/Saint-Malo, dont l’influence perdure depuis la fin l’Antiquité. La place de l’abbaye bénédictine Saint-Sauveur dans la construction de l’agglomération est très bien connue aujourd’hui, en particulier avec son célèbre cartulaire, et c’est à partir d’elle qu’un tissu urbain a pu se développer au cours du temps, grâce à sa proximité avec la Vilaine et au commerce frontalier.
Position géographique entre passage et frontière

Redon, comme d’autres villes, bénéficie de certaines caractéristiques géographiques favorables à son développement. Ces localités sont souvent établies sur un cours d’eau en fond de ria, parfois à proximité de routes terrestres anciennes. Ces communautés se démarquent du reste du territoire par la présence d’une structure religieuse et parfois seigneuriale plus importante. Cela se retrouve à Dinan, Landerneau, Lannion, Pontrieux, ou Quimper par exemple. Redon est une petite ville structurée dès le Moyen Âge autour de son abbaye bénédictine et située entre les cités antiques bretonnes de Rennes et Nantes. Dès sa fondation, la ville occupe donc une place importante dans le maillage de la Marche de Bretagne, en particulier aux 9e et 10e siècles. Les nombreuses batailles qui se déroulent dans sa proximité sont le reflet des enjeux stratégiques de cette ville, l’une des principales entrées dans le duché de Bretagne.
Le réseau routier
La route est donc ici particulièrement importante pour étudier les circulations et implantations humaines. Elle permet également de mesurer les liens entre les cités antiques, et l’ancienneté de ceux-ci, datant parfois du néolithique. Les sources archéologiques soulignent la présence du passage à gué à Rieux pour relier les cités d’Angers, Nantes et Vannes. Ce passage semble se décaler à Redon lors de l’implantation urbaine autour de l’abbaye au moment de la domination carolingienne. C’est à la suite de ce déplacement que se construit un pont. Comme à peu près partout en Bretagne, les principales routes terrestres évoluent peu jusqu’au 20e siècle, notamment en raison de la croissance du trafic nautique au Moyen Âge et à l’époque moderne.
Un port fluvio-maritime en avant-poste
En effet, Redon s’est développée grâce au commerce fluvial à la confluence de la Vilaine et de l’Oust, à la jonction de la Vilaine maritime et de celle fluviale. Cette position a permis l’installation d’un port assez tôt dans son histoire, ce qui a dynamisé le commerce local. En tant qu’avant-port principal de Rennes, de nombreuses ressources y étaient acheminées puis échangées, comme du vin venant des vignobles bordelais transitant par le cabotage atlantique, ainsi que celui des vignobles de la Loire passant par Nantes dès le 13e siècle, ou encore des céréales. Le commerce y a duré jusqu’au début du 20e siècle, voyant passer toute sorte de produits, comme par exemple le bois pour les étais des mines de plomb argentifère de Pont-Péan près de Rennes, ainsi que pour celles plus lointaines de charbon britannique. Cet important commerce a incité la mise en canalisation du fleuve dès le 16e siècle pour faciliter la circulation des nombreux bateaux. Cela a aussi pu favoriser la production de fermes de grandes tailles dans les environs de Redon comme celle du fromage à Renac (1).
Une étape importante du canal de Nantes à Brest
Après la Révolution française, un nouveau projet voit le jour en Bretagne, celui du canal de Nantes à Brest passant par le centre de la Bretagne, et notamment par Redon via l’Oust, un affluent de la Vilaine. Ce projet est assez ancien, mais n’est entamé qu’à partir du règne de Napoléon Ier, et n’est achevé qu’en 1858 par Napoléon III. Pour le pouvoir politique français, la réalisation de ce canal doit permettre de contourner les blocus maritimes britanniques imposés en temps de guerre sur la Bretagne, et de pouvoir relier les ports de Brest et Lorient depuis l’intérieur des terres. Ce canal permet aussi de transporter rapidement de grandes quantités de matériel pour la flotte de guerre, à une époque où le train ne commence qu’à peine à se mettre en place.
Nœud dans les chemins de fer de l’Ouest

C’est au cours du 19e siècle que le réseau ferroviaire commence à se structurer en France et en Bretagne. Ce secteur est perçu très rapidement d’importance stratégique pour le pouvoir politique central, qui a incité l’établissement de plusieurs compagnies privées de chemin de fer, dont les aires d’influences se sont réparties sur chaque région. Deux projets ont ainsi été développés en Bretagne, l’un servant à relier Paris à Brest passant par le Morbihan, et l’autre raccordant Rennes à Nantes. La ville de Redon est ainsi devenue à nouveau un carrefour important en servant de nœud ferroviaire de la région. Cette implantation a permis de renforcer l’industrie locale avec de nouvelles usines textiles, ou encore avec les machines agricoles de Garnier, bénéficiant d’une bonne réputation.
Aujourd’hui, cette ville reste encore un carrefour ferroviaire d’intérêt avec les TER qui circulent de façon journalière en Bretagne sur les axes entre Rennes, Quimper et Nantes. L’importance de ce nœud est à présent concurrencée depuis plusieurs décennies par le réseau routier qui a été très fortement modernisé. Cela est révélateur d’une évolution de notre façon de circuler, les voies ferroviaires et fluviales ayant perdues beaucoup d’importance face à celles routières, surtout pour le transport de matières premières. D’ailleurs, la circulation nautique a aujourd’hui fortement changé avec la plaisance sur la Vilaine et les canaux ayant lieu lors des beaux jours.
Bibliographie :
- ANDRIEUX Jean-Yves, Villes de Bretagne. Patrimoine et Histoire, Rennes, PUR/Cités d’art de Bretagne, 2014.
- Anonyme, Histoire De Redon, Paris, Res Universis, 1990 (première édition 1864).
- Bachelier Julien, « Une ville abbatiale bretonne. Redon du IXe au XIVe siècle », in Histoire urbaine, 2017/1 (n° 48), pp. 133-154.
- LOZAC’H Alain, Sur les routes de Bretagne. Histoire d’un réseau routier, les Côtes d’Armor, Spézet, éditions Coop Breizh, 1999.
- NENNIG Jean-Pierre, Le chemin de fer de Bretagne Sud, JPN éditions, Guérande, 2008.
- PAPE Louis, « Les voies romaines en Bretagne, essai de chronologie », dans Revue Archéologique De L’Ouest, Supplément 2, Rennes, édition Association Pour La Diffusion Des Recherches Archéologiques Dans L’Ouest De La France, 1990, pp. 301-306.
- PICHOT Daniel, PROVOST Georges (dir.), Histoire de Redon. De l’abbaye à la ville, Rennes, PUR/Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, 2015.
- SIMON Jean-François, L’homme et la route en Bretagne, Brest, éditions Centre de recherche bretonne et celtique, collection Kreiz : Études sur la Bretagne et les Pays Celtiques 16, 2002.
- EPINAT Dylan, « Du gruyère suisse à Renac », dans Le Peuple Breton n° 687 avril 2021, pp. 28-29.