
Le gouvernement a présenté en conseil des ministres le 12 mai 2021 un projet de loi appelé « 4 D » pour Différenciation, Décentralisation, Déconcentration et Décomplexification. Le président de la République veut ouvrir un nouvel acte de la décentralisation adapté à chaque territoire qui doit porter sur des politiques de la vie quotidienne et tenir compte des spécificités des territoires liées à l’insularité, au relief, au littoral… Ce projet de loi a provoqué des réactions dont les explications sont surprenantes lorsqu’elles sont faites par des soi-disant républicains.
Cette évolution qui apporterait un peu plus de démocratie est contestée par seize personnes dont Kofi Yamgnane, ancien député du Parti Socialiste et ancien ministre, dans une tribune publiée par Le Télégramme le 16 juin 2021. Nous, Bretons, refusons la différenciation, disent-ils. Avec la différenciation l’égalité des Français devant la loi sera rompue, tous les principes républicains seront affaiblis, les compétences de chaque collectivité seront différentes à chaque frontière administrative et il en résultera une formidable complexification du mille-feuille administratif français. Il ne faut surtout pas que le statut particulier accordé à la Corse soit aussi accordé à la Bretagne comme le demande l’UDB en fusionnant notamment les cinq départements bretons et la région administrative de Bretagne. Une telle évolution serait une « remise en cause de la grande œuvre d’unification territoriale et un retour des duchés et des baronnies ». Leur délire les conduit à affirmer que le gouvernement actuel prépare l’indépendance de la Bretagne.
Pour ces soi-disant républicains, c’est l’État central qui garantit l’égalité de tous par ses financements des infrastructures, ses transferts des régions favorisées au profit de celles qui ont des difficultés, par le prix de l’énergie identique pour tous y compris pour ceux qui, comme les Bretons, ne veulent pas de centrales nucléaires sur leur territoire. Si l’économie bretonne s’est améliorée il n’en sera peut-être pas de même à l’avenir. C’est pourquoi ils affirment qu’il faut garder cette centralisation qui est un modèle. Ils n’ont pas remarqué que c’est à Paris que se concentre le pouvoir, que les investissements sont les plus élevés par habitant, que les deux tiers des crédits du ministère de la culture y sont consommés. Ils n’ont pas remarqué qu’en France l’écart entre les revenus les plus faibles et le plus forts ne cesse de se creuser. Est-ce un modèle de réduction des inégalités ou un modèle de leur accroissement ?
La sélection par la fortune
L’UDB a publié au début de cette année un « Manifeste pour un statut de résident en Bretagne » qui a été intégré dans le programme de la liste Bretagne d’avenir composée notamment d’EELV et de l’UDB à l’élection régionale. Faisant le constat que les prix de l’immobilier sont élevés dans les zones touristiques et que la partie de la population la moins fortunée rencontre une grande difficulté pour accéder à un logement, il est proposé de réserver le droit d’acheter un logement aux personnes qui justifient d’au moins d’un an de résidence dans ces lieux. Cette proposition a pour but de maintenir la mixité sociale, de permettre aux familles de rester dans la commune où elles sont souvent installées depuis de nombreuses générations. Pourtant, la quasi-totalité des candidats à l’élection régionale ont vu une entrave à la liberté et à la propriété et la liste socialiste y a même vu une proposition identitaire dangereuse pour la République. Ces soi-disant républicains de droite et de gauche n’ont pas remarqué qu’à Paris la proportion de cadres et professions intellectuelles supérieures (CSP+) est passée de 24,7 % en 1982 à 46,4 % en 2013 tandis que celle des ouvriers est passée de 18,2 % à 6,9 % (E. Maurin, Le ghetto français Enquête sur le séparatisme et Ch. Guilluy, Fractures françaises). Il est très vraisemblable que cette catégorie CSP+ soit devenue majoritaire en 2021. Les centres de décision exercent un pouvoir d’attraction qui se traduit par une concentration des catégories sociales professionnelles supérieures aux revenus élevés et une exclusion des autres catégories sociales. L’exclusion est la plus forte là où le pouvoir est le plus concentré. Est-ce un modèle de solidarité ou un modèle de ségrégation sociale ?
Une incapacité à concevoir une République multiculturelle
Il y a quelques années, des membres de Bretagne Réunie ont rencontré un député membre du Parti Socialiste à l’époque pour lui présenter les raisons culturelles, économiques, historiques et démocratiques qui justifient l’intégration de la Loire Atlantique à la région administrative de Bretagne et le convaincre de soutenir cette revendication. Il leur a répondu que, lui, était un « républicain ». La révolution de 1789 avait supprimé les provinces. Les sujets du roi étaient devenus des citoyens libres, administrés dans le cadre des départements par un État qui garantit la liberté, l’égalité et la fraternité. L’administration des Bretons dans une seule collectivité territoriale n’avait donc aucune justification.
Tous les marqueurs des minorités doivent disparaître, notamment leur langue qui serait le symbole de l’arriération tandis que la langue française serait le symbole de la modernité, de la haute culture. La quasi-totalité des républicains de tous camps politiques sont incapables de concevoir une république multiculturelle. Ils affirment, au mépris d’une réalité évidente, qu’il n’y a qu’un seul peuple en France et, en conséquence, qu’elle n’est donc pas concernée par les nombreuses conventions internationales relatives aux droits des minorités.
Le paradoxe des soi-disant républicains
La République donne le pouvoir au peuple qui l’exerce par des élus. C’est une organisation politique qu’il faut consolider. Les déclarations et pratiques rappelées ci-dessus montrent que les principes républicains ne sont pas respectés parce qu’en France il y a une volonté d’assimiler les différents peuples intégrés le plus souvent par la force des armes. La stratégie consiste à faire croire à un groupe humain dominé qu’il n’est pas un peuple, que sa culture, sa langue n’ont aucune valeur, qu’il ne saura pas développer son économie et qu’il a donc intérêt à se fondre dans le groupe dominant détenteur d’une culture supérieure et d’une économie forte dont il profitera. Ces arguments ont été entendus par des Bretons qui renoncent au droit à la différenciation et appellent à leur tour, avec les mêmes arguments mensongers, à rejoindre le groupe dominant opposé à la diversité.
Avec ces soi-disant républicains, la république française ne sera jamais fédérale et des limites resteront fixées à la démocratie. Elle restera française, c’est-à-dire très centralisée afin d’anéantir toutes les minorités qui la composent et les inégalités sociales continueront leur progression. L’article 1 de la constitution qui stipule que l’organisation de la France est décentralisée ne sera pas respecté ! Soit il faut modifier la constitution, soit il faut décentraliser la France.
Nous, Bretons, nous voulons la différenciation, la décentralisation avec les moyens financiers nécessaires, la déconcentration et la décomplexification. Avec cette exigence, nous sommes beaucoup plus républicains que ceux qui refusent cette organisation de l’État, beaucoup plus sociaux et aussi beaucoup plus démocrates.