D’autres politiques économiques sont possibles !

Dans un essai passionnant et accessible à tous, l’économiste et enseignant à l’Université Paris VIII, Gilles Raveaud, montre ô combien les politiques libérales ont été néfastes pour les pauvres et les jeunes en particulier. Il propose des pistes réalistes pour que la situation de tous s’améliore.

Il est des mythes et des idées qui semblent indépassables. Parmi celles-ci, on retrouve quotidiennement que le commerce c’est la paix, et à l’inverse, le protectionnisme c’est la guerre. Gilles Raveaud explique que pour se développer, le Royaume-Uni a activement pratiqué « la protection des industries naissantes, les subventions à l’exportation, les réductions de droits pour les matières entrant dans la fabrication des produits qu’elle exportait ». Mais les Britanniques n’étaient pas une exception. « Les industries américaines ont été les plus protégées du monde jusqu’en 1945 ! ». C’est pourtant sur l’autel de la croyance en les bienfaits du marché que les politiques néolibérales instaurées par Ronald Reagan perdurent depuis les années 1980. C’est suivant cette logique du marché bénéficiant à tous qu’a été instauré le traité de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Avec des résultats dramatiques pour les États-Unis où 700 000 emplois ont été perdus entre 1994 et 2010. Mais aussi pour le Mexique où les agriculteurs ne pouvaient lutter contre l’agriculture intensive américaine qui était elle-même… subventionnée.

L’Union européenne contre les peuples

Dans un sondage paru en avril dernier, 40% des Français affirmaient ne pas savoir comment fonctionne l’Union européenne. Un chiffre éloquent mais peu surprenant puisque l’UE n’est pas enseignée tout au long du système scolaire. Il y a bien un chapitre en terminale, mais celui ci se résume à Erasmus et la « banane bleue ». Sans parler de la filière professionnelle abandonnée à étudier les limites géographique de l’UE.

Pourtant, d’après Gilles Raveaud, qui s’appuie sur les données du Centre d’études Prospectives et d’informations -CEPII-, le niveau de vie moyen des Européens a augmenté de 0,04 % par an depuis 60 ans. Ce n’est pas le cas des Grecs, victimes des politiques d’austérité de l’UE qui se résument systématiquement à la même chose : diminuer le coût du travail, faciliter les licenciements afin « d’inciter les employeurs à embaucher en CDI », veiller à ce que l’assurance chômage « encourage davantage le retour au travail », réduire l’impôt sur les sociétés. Bref, mener une politique de l’offre qui vise à favoriser le capital au détriment du travail.

Mais Gilles Raveaud estime qu’il est trop facile de dire « c’est la faute à l’Europe ». Par exemple, il affirme que « rien dans les traités n’interdirait à la France d’accroître les impôts sur le patrimoine et les hauts revenus, de plafonner les loyers, de contrôler sévèrement le prix des médicaments ou de plafonner drastiquement les frais bancaires » et même de… nationaliser.

Des robots et des hommes

Dans la campagne présidentielle à venir, il sera à n’en pas douter question de l’industrie. On se souvient de François Hollande, alors en campagne, qui promettait de sauver le site industriel de Florange s’il était élu. On connaît la suite. La seule politique industrielle menée par l’État pour « sauver » l’industrie a consisté à réduire les « charges sociales ». Le Crédit Impôt Compétitivité Emploi, qui a coûté 36 milliards d’euros, aurait permis de créer 300 000 emplois, bien loin de la promesse du président du Medef Pierre Gattaz et ses 1 millions d’emplois. Un chiffre qui, si l’on y regarde de plus près, revient à 120 000 euros… l’emploi.

Comment expliquer ces faibles résultats ? Le « coût » du travail horaire dans l’industrie manufacturière serait-il encore trop élevé dans l’hexagone ? Si l’on compare à la Bulgarie (4 €), la Roumanie (5 €) ou encore la Pologne (9 €), c’est certain. Mais le plus souvent, c’est avec l’Allemagne que la comparaison est faite par les dirigeants. Selon le Centre de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises, le coût horaire en France est 7 % plus faible qu’outre-Rhin.

Malgré cela, Gilles Raveaud estime qu’il n’y aura pas de relocalisation à court et moyen termes en France. Car, selon lui, les relocalisations s’accompagnent généralement d’une forte robotisation. « Pour dix emplois délocalisés, on en relocalise un ». C’est d’ailleurs selon l’auteur un facteur qui n’est pas suffisamment mis en avant pour comprendre les pertes d’emplois dans le secteur industriel. Il estime que d’ici 2050 c’est entre 10 et… 50% des emplois qui seraient menacés. Des chiffres à relativiser car les expériences de supermarchés sans caissiers ont montré leurs limites. De plus, les « cobots », ces robots collaboratifs qui soulagent les êtres humains de leurs tâches les plus pénibles et sont capables de gestes plus précis, ont permis d’accroître la productivité. Un deal gagnant-gagnant ? Pas toujours, car si la productivité est supérieure à la croissance économique, cela se traduit par une hausse du chômage.

Partager le temps de travail pour réduire le chômage

C’est sans doute le chapitre du livre le plus stimulant et les nombreuses données présentes devraient être connues de toutes et tous. La première est qu’en France, le chômage tue 10 000 personnes par an. Il est également responsable de risque accru de séparation, de retard scolaire des enfants, etc. Lorsqu’on sait qu’actuellement le chômage touche près de 6 millions de chômeurs, il y a de quoi être inquiet sur la bombe sociale à venir. Combien de fois n’a t-on pas entendu « celui qui veut bosser, il trouve un emploi » ? Un message allègrement véhiculé par le Président lui-même. Pourtant, les chiffres ne trompent pas : il n’y a pas assez d’emplois pour tout le monde. Comme souvent, pour justifier des « politiques de l’emploi » qui consiste à ne pas augmenter les salaires, baisser les charges, il est coutume de comparer avec le voisin allemand. En effet, en Allemagne le taux de chômage est de 4 %, mais il comprend aussi bien les personnes qui travaillent à temps plein… ou 1h par semaine. C’est la règle qui domine au sein de l’UE, si bien que, selon la Banque Centrale Européenne, « le chômage ne touche pas 9 % de la population active au sein de l’UE, mais… 18 %. En effet, il faut ajouter aux chômeurs enregistrés les personnes découragées, et celles – très majoritairement des femmes – qui sont contraintes de travailler à temps partiel », constate l’auteur.

Les politiques de flexibilisation mises en place par les Lois Hartz au cours des années 2000 n’ont-elles pas permis de créer davantage d’emplois ? « En apparence, oui ». « Sauf que les créations d’emplois outre-Rhin ont été à peine plus nombreuses qu’en France entre 2000 et 2016 : + 9 et + 8 %», écrit Gilles Raveaud. Mais alors, pourquoi le chômage n’a-t-il pas baissé en France alors qu’en Allemagne il a été divisé par deux ? « D’abord parce que le recours au temps partiel a été plus important à Berlin, mais aussi « grâce » à la stagnation démographique allemande. En effet, la population allemande n’a augmenté que de 300 000 personnes sur la période, alors que la France a gagné… 6 millions d’habitants », explique l’auteur. Avec des résultats saisissants : 23 % des travailleurs sont pauvres en Allemagne, contre 9 % en France.

L’une des pistes envisagées par Gilles Raveaud est la réduction du temps de travail. Il montre que les pays où l’on travaille le moins sont aussi les pays… les plus développés (Danemark, Belgique, Allemagne). Et l’inverse est aussi vrai ! Au Portugal ou en Grèce, les individus travaillent en moyenne 39 heures par semaine.

De plus, réduire le temps de travail est également bon pour la santé. Les personnes qui travaillent plus de 55h par semaine ont un risque accru d’avoir un accident vasculaire cérébral. Ce serait aussi un formidable moyen de recréer du lien social en ayant plus de temps.

Réduire les inégalités et sortir de la croissance

Gilles Raveaud reprend une bonne partie des travaux de Thomas Piketty. Il montre que les inégalités se creusent depuis les années 1980 et « le tournant de la rigueur » ; les crises empirant la situation déjà précaire des plus pauvres. Et c’est notamment le cas des jeunes, dont 100 000 quittent l’école sans diplôme chaque année. Les inégalités touchent aussi les femmes, qui sont pourtant plus diplômées que les hommes. A ce titre, elles devraient gagner plus. C’est pourtant l’inverse. Jean Gadrey, cité par Gilles Raveaud, estime qu’au cours d’une carrière une femme perd en moyenne 300 000 euros par rapport à un homme. Pourtant il ne faudrait pas beaucoup pour améliorer sensiblement le sort des plus pauvres. L’Insee montre qu’aux alentours de 1000 euros par mois, toute augmentation de 100 € permet de vivre 11 mois de plus lorsqu’on est un homme et huit mois de plus pour une femme.

Pour mieux mesurer les inégalités, il convient également de changer les indicateurs pour les mesurer. Le PIB est dépassé. En revanche, un indicateur qu’il faudrait retrouver est le « BIP 40 », qui permettrait de prendre en compte l’emploi, les revenus, la santé, l’éducation, le logement et la justice.

D’autant que la croissance n’a pas apporté le bonheur pour tous. « En 1974, le pourcentage d’Américains se disant « très heureux » n’avait pas augmenté entre 1947 et 1970. Depuis, ces résultats ont montré qu’au delà de 25 000 $ par an, l’accroissement du PIB/habitant n’entraînait pas d’amélioration du bien-être », constate Gilles Raveaud, s’appuyant sur les travaux de Florence Jany-Catrice et Dominique Méda. Il faut donc sortir de ce paradigme de croissance à tout prix, car celle-ci n’est pas la solution, elle est le problème.

Pour y parvenir, l’État devra jouer un rôle central en investissant davantage dans les services publics, en allant chercher l’argent où il y en a : chez les plus grandes fortunes, toujours plus nombreuses dans notre pays. Car s’il y a bien quelque chose dont la France ne manque pas, c’est d’argent. Notre pays n’a jamais été aussi riche. Cela nécessite du courage politique.

> Pierre-Alix Pajot

Rédacteur. Formé à la géopolitique et à l'aménagement du territoire, Pierre-Alix Pajot a collaboré à Politis, a été rédacteur en chef du Journal international de 2017 à 2020 dans le cadre de ses études, et écrit régulièrement pour le magazine Le Peuple breton et sur le Club de Mediapart. Ses thèmes de prédilection : la politique internationale et notamment celle des Balkans, l'économie mais aussi le sport qu'il a pratiqué à un haut niveau. Il est aujourd'hui enseignant d'histoire-géographie en Savoie. [Lire ses articles]