Pere Aragonès bientôt président de la Généralité de Catalogne

Pere Aragones. Òmnium Cultural, CC BY-SA 2.0

Laura Borràs, présidente du Parlement autonome de Catalogne a annoncé le 19 mai dernier la convocation de la session d’investiture de Pere Aragonès (ERC) comme Président de la Generalitat de Catalunya, qui aura lieu jeudi 27 et vendredi 28 mai prochains.

La présidence l’a annoncé après la consultation des responsables politiques des groupes parlementaires, afin de s’assurer des appuis de Pere Aragonès. Ce dernier pourra donc recevoir vendredi 28 mai l’investiture lors du premier tour, par majorité absolue. En effet, Aragonès dispose de 33 élus d’ERC (centre gauche indépendantiste), de 32 élus de JxCat (centre droit indépendantiste et ex-convergents de Jordi Pujol et d’Artur Mas) et de 9 élus de la CUP (extrême gauche alternative et indépendantiste). Soit un total de 76 députés, la majorité étant de 68 députés.

Laura Borràs a signé cette convocation après trois essais frustrés de la fin mars. Le candidat à la présidence, Pere Aragonès prononcera son discours d’investiture jeudi 27 mai à 16h, puis les débats se poursuivront vendredi 28 mai à partir de 9h. La session conclura in extremis avec l’élection du président.

Car la limite officielle pour cette élection était fixée au 26 mai. Avant cette annonce Laura Borràs a consulté, en respectant l’ordre des résultats électoraux, Salvador Illa du PSC (Parti des socialistes de Catalogne, 34 députés), Albert Batet et Gemma Geis de JxCat et Maria Jové et Marta Vilalta d’ERC. Les trois formations politiques arrivées en tête. De nouvelles élections au Parlement de Catalogne ont finalement été évitées de justesse.

Il a donc fallu trois mois de négociations. Pere Aragonès qui s’était soumis à un premier débat d’investiture fin mars avait échoué après deux tentatives, car il ne comptait que sur l’appui de son parti ERC et celui de la CUP, mais avec l’abstention des 32 députés de JxCat. Une abstention lourde de sens, qui signifie qu’entre les « alliés indépendantistes » il existe non seulement un contentieux stratégique, mais aussi une question de leadership. Après trois mois de négociations, qui a souvent frôlé le recours à de nouvelles élections, ERC et JxCat ont finalement passé, lundi dernier, un accord de coalition relativement fragile sur ces deux plans.

L’accord concerne, entre autres, 14 conselleríes (ministères), une de plus qu’actuellement. Jxcat est très attachée à cette question, car elle craint d’être écartée du pouvoir. En pleine crise sanitaire, sociale et économique provoquée par la pandémie, JxCat a réussi à avoir autant de conselleries qu’ERC dans le nouveau gouvernement d’Aragonès. L’accord a été possible parce que JxCat a accepté le principe d’une indépendance ajournée, mais non abandonnée. Lors d’une récente réunion Aragonès (ERC) a avoué à Salvador Illa (PSC) qu’il ne pouvait pas se désolidariser de JxCat, à cause de la faible différence des résultats électoraux et du fait qu’il ne tient pas à ce qu’on l’accuse de trahison après l’accord de gouvernement avec JxCat. D’après lui, il est actuellement très difficile, voire impossible, de faire admettre à ses militants un tournant idéologique dans lequel la question sociale et progressiste serait prioritaire, par rapport à la question identitaire et indépendantiste. C’est le point crucial.

Certains secteurs d’ERC souhaitaient pourtant élargir la base d’un souverainisme pragmatique et intégrateur avec la participation d’En Comú podem (équivalent catalan de Podemos) et l’appui du PSC, mais cette hypothèse a été écartée. Par contre, Pere Aragonès a cherché à gagner le pouvoir dans le camp indépendantiste et arriver à un nouveau pacte incluant JxCat et la CUP. Par conséquent, on peut penser que le nouveau gouvernement demeure entre les mains de formations fondamentalement libérales, business friendly, qui seront surveillées de très près par les militants anti-système de la CUP. Ce qui peut s’avérer être une bombe à retardement. Par conséquent, les contradictions idéologiques et politiques risquent d’apparaître bientôt au grand jour.

De son côté, la direction actuelle de JxCat (ou des ex-convergents) a fini par contourner et abandonner l’opinion majoritaire de ses électeurs, avec un accord qui reporte sine die l’indépendance, mais qui permet de maintenir les nombreux postes importants de la structure administrative et exécutive de la Generalitat de Catalunya qu’ils dominent depuis de nombreuses années.

Pour conclure, on peut penser que la question de la formation d’un nouveau gouvernement semble, à première vue, résolue, cependant, des questions de fond demeurent et peuvent apparaître assez rapidement lorsque cette coalition sera confrontée à la dure réalité sociale et économique issue d’une crise sanitaire inédite et sans fin. Le temps joue contre elle, comme dans tout pacte contenant des oppositions trop criantes.

> Gentil Puig Moreno

Gentil Puig Moreno est un sociolinguiste et chercheur catalan. Disciple de l’occitan Robert Lafont et du linguiste catalan Antoni Badia i Margarit, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la Catalogne.