NewsGuard a publié en décembre son rapport sur la crédibilité des médias francophones les plus influents. Objectif : promouvoir le journalisme responsable et transparent et lutter contre la désinformation. La Bretagne n’est pas épargnée par les fake news, avec un champion de l’intox : Breizh-Info. En 2020, il pointe à la 9e place des sites francophones ayant le plus contribué aux rumeurs sur la pandémie de Covid-19.
Il vous est déjà arrivé d’alerter un ami que l’article qu’il vient de partager provient d’un site peu recommandable ? Alors vous savez qu’il est parfois difficile de se faire entendre tant le web utilise les codes des médias professionnels. C’est notamment le cas de Breizh-Info, devenu l’un des sites de fausses informations les plus influents de France selon le rapport NewsGuard 2020.
Ses dizaines d’articles publiés chaque semaine attirent de nombreux lecteurs. Et malgré sa ligne éditoriale très politique, certaines personnalités continuent de lui accorder des interviews. Dernièrement, on note ainsi Émile Granville, le 5 janvier, pour promouvoir son nouveau livre ; ou Daniel Cueff, le 15 février, interrogé sur les élections régionales.
Un média d’extrême droite repéré dès 2015 pour ses fake news
Pourtant, la ficelle est grosse. Dès 2015, Le Peuple breton publiait une longue analyse, tout comme le site brestois Bourrasque-info.org avant lui. La méthode de Breizh-Info : diffuser les idées de l’extrême droite sous couvert de l’actualité. En 2016, Le Monde le confirmait (ici et ici) comme l’un des sites de « réinformation », cette stratégie en réseau qui s’emploie à « décrédibiliser les médias classiques en les accusant sans cesse de mentir, pour mieux faire passer ses propres idées. » En janvier 2017, le site Le Ouest-Franc publiait un article non parodique pour s’étonner des moyens de financement de Breizh-Info et notamment de sa possibilité de proposer des déductions fiscales.
Quelques mois plus tard, L’Express interviewait le fondateur du site en lui reprochant des articles trompeurs. Le Décodex du Monde, quant à lui, l’ajoutait à sa liste rouge précisant que ce site « publie régulièrement de fausses informations ». En octobre 2018, le site de l’observatoire du conspirationnisme Conspiracy Watch lui dédiait une fiche pour y lister ses fake news. En novembre, la journaliste Aude Favre s’en amuse presque dans un long reportage décryptant deux articles du site breton – sur des faits-divers à Nantes – diffusé sur sa chaîne Youtube « WTFake » coproduite par France Télévisions :
Le dossier est donc épais, argumenté, cela par une diversité de médias. Notons à propos que ni Le Télégramme, ni Ouest-France, ni les télés en Bretagne, ne semblent s’emparer du sujet. L’éducation aux médias ne serait donc pas du ressort de la presse locale ou régionale ?
Covid-19 : Breizh-Info classé 9e site francophone ayant le plus contribué aux rumeurs
Dans un article le 18 janvier, Le Peuple breton présentait les médias les plus fiables et influents en Bretagne selon NewsGuard. Mais que nous apprend leur rapport sur Breizh-Info ? Qu’il a continué, en 2019 et 2020, à se montrer peu scrupuleux en matière d’information. En étudiant ses articles et en les rapportant au taux d’engagement sur ses réseaux sociaux (c’est-à-dire les like, commentaires et partages), NewsGuard le juge même à la 9e place des sites francophones les plus influents « ayant relayé des allégations sans fondement et/ou fausses sur la pandémie de Covid-19 ».
L’analyse – mise en ligne le 11 décembre 2020 et accessible sur abonnement – comprend 17 pages. Elle rappelle certaines choses que l’on sait déjà : un site créé en 2013 par Yann Vallerie, figure de l’extrême droite régionale ; des articles couvrant principalement l’actualité bretonne ; une ligne éditoriale s’inscrivant dans « l’idéologie nationaliste identitaire » et de nombreux articles se concentrant sur les « faits divers impliquant des immigrés, des musulmans ou des Français d’origine étrangère. »

Au chapitre des bons points, Breizh-Info distingue clairement son contenu publicitaire du contenu éditorial (7,5 pts).
Il n’a pas fourni à NewsGuard de documents sur son financement mais, « étant donné que le site indique avoir un budget inférieur à 153 000 euros et ne pas avoir de donateur majeur, NewsGuard estime que Breizhinfo.com respecte son critère relatif à la publication d’informations sur ses propriétaires et le financement d’une association » (7,5 pts).
NewsGuard note également que les mentions légales donnent les noms des directeurs de la publication et de la rédaction, respectivement Artūras Lazejevas et Philippe Le Grand (5 pts), sans pour autant chercher à savoir qui ils sont.
Au final, avec seulement 20 points sur 100, les analystes de NewsGuard estiment que ce site web ne respecte pas les règles de base de crédibilité et de transparence.
Nouvel exemple de fausses informations publiées en 2019 et 2020
Au chapitre des mauvais points, c’est donc la crédibilité du média qui est principalement mise en cause : « Breizh-info.com fait souvent la promotion de fausses informations provenant de sources qui, selon NewsGuard, publient régulièrement de fausses informations et des théories complotistes, notamment le site d’extrême droite TV Libertés, ou les sites détenus par l’État russe RT France et Sputnik News. »
Voici quelques exemples relevés en 2019 et 2020 :
● En mars et décembre 2019, Breizh-Info a continué, comme en 2018, à relayer le discours du gouvernement russe selon lequel les forces gouvernementales de Bashar al-Assad (Syrie) n’avaient pas commis d’attaque chimique contre des civils. En septembre, il publie un article sur les attentats du 11-Septembre, avançant une théorie complotiste selon laquelle les tours du World Trade Center auraient été détruites de façon contrôlées.
● En août 2020, le site publie un article contenant une vidéo de la chaîne d’extrême droite TV Libertés, dans laquelle une ancienne généticienne affirme – à tort – que le virus responsable de la Covid-19 a été créé artificiellement et que le vaccin a été administré de force à des cobayes humains en Afrique du Sud. En novembre, un article relaie de fausses informations sur la prétendue fraude massive lors de l’élection présidentielle américaine de 2020.
Depuis que le Covid-19 est entré dans nos vies, on ne parle plus que de ça. Pour autant, beaucoup de questions restent aujourd’hui sans réponse. Parfois même, certaines ne peuvent être posées.
Posted by Breizh-Info on Dilun 3 Eost 2020
Dans leur rapport, les analystes se montrent constructifs : pour chaque article douteux, ils proposent plusieurs sources démontrant en quoi l’information est fausse. On regrettera cependant une mise en page peu lisible, ne présentant pas clairement les articles incriminés et les sources fiables utilisées. Le Peuple breton note également que, dans le chapitre consacré à la crédibilité de Breizh-Info, certains articles sont recensés sans explication, notamment une série de textes climato-sceptiques.
L’erreur est humaine, même pour un journaliste. La presse professionnelle prévoit alors la possibilité de publier un rectificatif, après en avoir informé le journaliste concerné (exemples dans les chartes déontologiques de Médiapart et Les Échos). Dans le rapport NewsGuard, on apprend que, en septembre 2019, Breizh-Info n’a pas fourni d’exemples de rectificatifs. Et qu’à la suite des échanges la même année entre NewsGuard et Yann Vallerie, « le site a supprimé un certain nombre de ses écrits sur l’attaque de Douma », en Syrie. S’il a également supprimé « de fausses allégations » dans l’article sur le 11-Septembre, NewsGuard regrette que cet article « contienne toujours d’autres informations erronées ».
Breizh-Info se défend et se déclare « en guerre médiatique »
Critiquée sur sa méthode, la rédaction de Breizh-Info se défend. Qu’il s’agisse de L’Express (ici), des Décodeurs (ici) ou de WTFake (ici), ses réactions sont caustiques voire méprisantes. Le co-fondateur du site et rédacteur en chef Yann Vallerie n’apprécie pas du tout les conclusions de NewsGuard : il compare ses journalistes professionnels à ceux de la Pravda – le journal du pouvoir à l’époque soviétique – et va jusqu’à conclure « Nous sommes en guerre médiatique », en caractères gras.
C’est la guerre médiatique
Posted by Breizh-Info on Disadorn 14 Du 2020
L’attaque est la meilleure défense, dit l’adage. Alors, à chaque fois, Breizh-Info cherche à décrédibiliser le média ou ses responsables ainsi que le travail du ou de la journaliste. La technique saute aux yeux dans un article d’Erwan Floch répondant en 2019 aux premières critiques de NewsGuard : « NewsGuard s’en prend à Breizh-Info avec de grandes intentions mais de petits moyens ».
Cet article apporte néanmoins quelques explications. Selon l’auteur, les fausses informations mises en évidence par NewsGuard sont trop peu nombreuses aux regard des 17 534 articles publiés sur le site (en date du 23 octobre 2019) pour généraliser son traitement de l’actualité. Chacun peut admettre le contraire : si tout n’est pas faux sur le site, le rapport prouve que Breizh-Info dissémine de fausses informations sous couvert d’actualité locale ou internationale, avec parcimonie mais sciemment.
Lorsque Erwan Floch y écrit « nous n’avons rien “avancé“, et nous ne prétendons pas avoir les compétences techniques pour le faire » (à propos de l’article sur le 11-Septembre) ou, plus loin, « Breizh-Info, qui n’avait pas d’experts chimistes sur le terrain, a seulement rapporté que […] » (à propos des attaques en Syrie) ou encore, lorsque Yann Vallerie répond à NewsGuard en septembre 2019, « On n’a pas de journalistes correspondants en Russie, en Iran, ou aux États-Unis. On recoupe des sources », c’est justement ce que regrette la presse professionnelle. Sans moyens, sans compétences, sans technique rédactionnelle, prétendre faire du journalisme a ses limites.
Rapport NewsGuard 2020 : « Ce site web enfreint gravement les principes journalistiques de base »
« Presse alternative », « presse de réinformation » : ainsi se décrivent eux-mêmes les médias d’extrême droite. Cela ne veut rien dire pour le commun des lecteurs et c’est donc trompeur. Il s’agit de médias d’opinion, simplement. Tout comme l’est Le Peuple breton d’ailleurs, avec sa ligne éditoriale marquée à gauche. Surtout, ce que reproche NewsGuard, c’est le manque d’honnêteté, que Breizh-Info « publie de manière répétée de fausses informations, ne recueille et ne présente pas les informations de manière responsable, et n’évite pas les titres trompeurs ». La presse se doit de citer ses sources, recouper l’information, préciser les lieux et dates, en bref, « rendre compte de la complexité des faits et pas seulement que d’une partie », comme l’a rappelé Aude Favre à Yann Vallerie pendant son reportage (à partir de 13:55).
Cité par L’Express, le journaliste David Doucet, co-auteur de La fachosphère: comment l’extrême droite remporte la bataille du net (Flammarion, 2016), précise que ces sites d’extrême droite « n’essaient pas de contacter leur contradicteur, et bien souvent ils assènent leur propre vérité. Ils n’appliquent pas la méthodologie d’un journaliste classique, qui va toujours essayer de confronter les points de vue et tenter d’interroger son objet d’étude. » Les analystes de NewsGuard semblent du même avis : ils marquent Breizh-Info d’une étiquette rouge et l’affublent d’une mention « Ce site web enfreint gravement les principes journalistiques de base ».
Un lectorat en forte progression malgré une fiabilité en question
Selon l’outil de mesure SimilarWeb, le site breton a attiré 279 261 visiteurs en juillet 2020. En décembre, ils étaient 342 355, soit + 22 % de fréquentation. Il rassemble aujourd’hui environ 25 500 amis sur Facebook, 9 300 followers sur Twitter, dont nombre de journalistes de la presse locale et régionale… Combien de vos amis sont abonnés à ses réseaux sociaux ? À titre de comparaison, Presse-Océan a 37 000 amis et Actu.fr 6 950 followers.
Contactée le 25 janvier, la rédaction de NewsGuard précise que « sur les trois derniers mois, Breizh-Info a généré 182 787 engagements (likes, commentaires, partages) sur Facebook et 8 696 sur Twitter ». Et le très droitier Breizh-Info continue de tisser sa toile : il investit depuis quelques semaines l’application de messagerie Telegram (rien à voir avec le journal) et, en août dernier, Libération le désignait parmi les plus actifs sur la version française de « Parler », le réseau social où s’agglomère la fachosphère.