Pierre-Yves Glorennec a lancé l’association Avel Marine pour relancer le transport de marchandises à courte distance par cabotage fluvial et maritime. Il y a là un enjeu écologique évident, car il y a un potentiel de réduction du trafic routier, mais aussi un moyen de réanimer l’économie de nombreux petites ports bretons, peu adaptés au trafic de porte-conteneurs géants. Entretien à l’occasion de l’achat du premier bateau.
Le Peuple breton : Comment t’est venue l’idée de relancer le cabotage en Bretagne ?
Pierre-Yves Glorennec : Je travaillais déjà sur les économies d’énergie dans la marine de travail et j’ai eu l’occasion de rencontrer le géographe Yves Lebahy, qui a consacré énormément de temps à combattre le lent déclin de toute la zone littorale bretonne en proposant sa revivification par le cabotage de proximité. A la suite de cette rencontre, le projet a beaucoup mûri et est devenu plus cohérent. Il a fallu, au sein de l’association, voir les unes après les autres quelles étaient les questions qui se posaient : une flotte de caboteurs peut réanimer les activités portuaires, mais quel type de fret ? Comment le collecter et le diffuser ? Comment relier cette activité au développement économique local ? Comment financer l’opération ?
De plus, ces dernières années ont vu s’exprimer de plus en plus des inquiétudes concernant le dérèglement climatique, la pollution, la consommation effrénée d’énergie fossile, la disparition d’espèces animales, etc. En même temps, on a assisté à l’émergence du financement collaboratif pour des projets « éthiques ». Cela nous a conduit à être plus cohérents et à avoir une vision plus globale : notre projet n’est pas seulement un projet de cabotage « vertueux » car il englobe d’autres aspects sur le développement local et sa résilience. Il ne peut absolument pas se contenter de symboles comme le sel de Guérande, le muscadet de Nantes, l’oignon de Roscoff (choses que j’apprécie pourtant !) mais aborde et étend une notion comme celle de « consommer local » en l’étendant aux échanges de produits locaux entre les territoires.
De quels soutiens bénéficie ce projet?
Il y a des soutiens moraux et des soutiens financiers. Nous avons créé un site internet et une page Facebook, et nous recevons beaucoup d’encouragements. Malheureusement, les encouragements, même si cela nous conforte dans notre projet, ne se traduisent pas toujours en adhésions.
Comme beaucoup d’associations, les besoins financiers sont importants car il faut acheter et hybrider un caboteur, mettre en place les structures pour collecter et distribuer le fret, faire vivre l’association. Nous avons reçu jusqu’à aujourd’hui une subvention du département d’Ille et Vilaine et une aide de la Fondation EDF, ce qui va nous permettre de démarrer concrètement. Nous participons au concours de La Fabrique Aviva et nous sollicitons le maximum de votes de lecteurs/lectrices du Peuple Breton (avant le 9 février, date de fin du concours). Nous allons lancer aussi une campagne de financement participatif avec Kengo.
Quel type de marchandises peut-on s’attendre à voir transportées par cabotage ? Quelle clientèle pourrait adhérer au concept ?
La marchandise va être tout ce qui est produit et consommé localement : vêtements, conserves, boissons, produits d’entretien, etc. Nous ne prenons pas en compte aujourd’hui les produits frais, mais c’est provisoire : le problème du respect de la chaîne du froid sera vu dans un second temps, pour ne pas traiter tous les problèmes à la fois ! Le terme « local » est à prendre au niveau de la Bretagne : un produit non périssable nantais pourra être acheté à l’Aber Wrac’h ou à Saint Malo, en étant transporté par un caboteur décarboné.
Nous espérons réaliser une sorte de mixité sociale, en proposant une partie au moins des produits à un prix accessible à toutes les bourses. Ce serait un échec si nous ne nous adressions qu’à une clientèle aisée ! Nous croyons en la force de la société civile, c’est elle qui, par exemple, a permis le développement de l’agriculture biologique. De plus, plus il y aura de personnes à adhérer à notre concept, plus notre projet sera fort et pourra peser sur les « décideurs » politiques et économiques.
En quoi est-ce un moyen de réduire le bilan carbone du transport ?
Actuellement, tous les échanges de marchandises se font par des camions 100 % gazole. Tant pis pour la pollution, la consommation d’énergie fossile, la santé des riverains ! Nous proposons au contraire des caboteurs décarbonés et des transports terrestres courts (pour diffuser et collecter le fret). Notre premier bateau sera équipé de voiles auxiliaires, mais aussi d’une propulsion électrique, pour assurer une certaine régularité en raison des caprices de la météo. L’électricité sera obtenue par des bornes électriques avec un abonnement à un producteur d’électricité « verte », ou par des groupes électrogènes à hydrogène renouvelable, quand cet hydrogène sera largement diffusé.
Pour les futures péniches, les voiles auxiliaires ne sont pas idéales et il faudrait les rabattre à chaque passage de pont, nous allons donc tester d’autres solutions pour avoir un transport fluvial zéro carbone. Les péniches ont été surtout considérées pour le transport de produits pondéreux sur de longues distances, avec souvent un retour à vide. Un de leurs avantages, outre le coût réduit du transport fluvial, était de proposer de gros volumes. Nous allons transformer leur utilisation en diversifiant au maximum leur fret et en organisant des escales dans tous les ports fluviaux.
Nous allons évidemment perdre en flexibilité par rapport aux camions mais nous les dépasserons très largement au point de vue de la rentabilité énergétique, pour le plus grand bien de la planète ! Notre projet n’est pas à un horizon de plusieurs dizaines d’années mais sera effectif dans quelques mois.
Où en est l’association actuellement ?
C’est un peu notre point faible, parce que nous ne nous sommes pas occupés des adhésions. Nous avons un capital de sympathie très important sur toute la Bretagne mais nous nous sommes trop concentrés sur la recherche, l’achat et l’hybridation de notre premier bateau, sur la « philosophie » de notre projet qui n’entre pas dans le modèle économique actuel. De plus, nous voulions lancer une campagne d’adhésion à partir de faits concrets et non pas sur de simples « bonnes intentions ». Un de nos objectifs va être maintenant de renforcer et bien structurer l’association, avec des sections locales dans les différentes villes côtières ou fluviales.
Pour faciliter les adhésions, nous avons créé l’adresse électronique : contact@avelmarine.fr
Quelles sont les prochaines étapes ? Où pensez-vous faire les premiers essais ?
La prochaine étape va être l’hybridation du bateau que nous venons d’acheter au Pays Bas. Nous allons commencer par lui enlever toute sa propulsion diesel, pour la remplacer par une propulsion électrique et des voile auxiliaires [ndlr : esquisse illustrant l’article].
Il y aura une voile-aile à l’avant (voile épaisse en forme d’aile d’avion) et une voile classique à l’arrière. Nous installerons aussi une grue, ainsi qu’une cabine pour une dizaine de passagers (étudiants, ingénieurs, personnes ayant fait des dons lors du financement participatif…).
Ce bateau fera du cabotage entre Dinan et Saint Malo, pour nous permettre d’avoir un premier retour d’expérience qui sera utile pour d’autres bateaux.