Quand la Bretagne était la première mine de plomb argentifère de France

Des mineurs dans les mines de Trémuson, vers 1930 (Musée de Bretagne).

« Il n’en est pas de la Bretagne comme des provinces dont on vient de parler. Autant les autres sont pauvres en mines, autant celle-cy en abonde ; et l’on ne craint pas d’avancer que c’est la Province de France et peut-être de l’Europe la plus riche en mines de toutes espèces ». Si elle se révèle clairement exagérée, cette citation de l’inspecteur des mines Monet en 1779 renvoie cependant à une histoire très largement oubliée de nos jours. Par intermittence, la Bretagne fut, aux 18ᵉ et 19ᵉ siècles, une des principales régions minières de France, en particulier pour ce qui est des mines de plomb argentifère. Cette histoire méconnue est rappelée par un très bon petit livre de Noël Brouard, Servarne Duterne et Alain Lozac’h, Grandeur et décadence des mines de plomb et d’argent en Bretagne.

Si certaines mines furent exploitées de longue date en Bretagne, et si quelques repérages furent faits au 17ᵉ siècle, tout commence véritablement au 18ᵉ siècle. En effet, en 1730 est fondée la Compagnie des Mines de Bretagne, centrée sur le site de Pont-Péan, au sud de Rennes, et en 1732 la Compagnie des Mines de Basse-Bretagne, centrée pour sa part sur celui de Poullaouen-Huelgoat, en Centre-Finistère. Si Pont-Péan était la plus ancienne mine, son exploitation fut difficile durant ce siècle, et l’émigration des gestionnaires nobles durant la Révolution provoqua l’arrêt des extractions en 1797. À la même époque, entre 1760 et 1790, des mines furent actives aux alentours de Châtelaudren, avec des productions assez importantes de 110 tonnes de plomb et 270 kilogrammes d’argent dans les meilleures années, mais elles ne soutinrent pas non plus l’instabilité économique de la Révolution. Mais cela était bien peu de choses par rapport aux mines de Poullaouen-Huelgoat, qui connurent un essor formidable dans la seconde moitié du 18ᵉ siècle : avec plus de 1 000 travailleurs divers dans les années 1780, il s’agissait de la seconde plus grande entreprise de Bretagne, après les arsenaux de Brest. La production suivait : on estime que durant le dernier tiers du 18ᵉ siècle, Poullaouen-Huelgoat produisit près de 20 000 tonnes de plomb et 50 tonnes d’argent, soit 16,8 millions de livres. Cela représentait une fortune pour les actionnaires, dont la valeur des actions fut multipliée par 30 en 60 ans ! Car ce fut là l’une des forces de la Compagnie des Mines de Basse-Bretagne : son modèle économique. Cela lui permit une grande diversité et flexibilité de ses investissements, à l’inverse de la Compagnie des Mines de Bretagne, dirigée par l’armateur malouin Danycan puis par ses héritiers, et dont le principal site de Pont-Péan fut d’ailleurs racheté par la Compagnie concurrente en 1765… Mais le principal avantage de Poullaouen-Huelgoat fut sa grande modernité. En effet, au 18ᵉ siècle, ces mines étaient considérées comme parmi les meilleures du royaume. En particulier, des puits furent creusés jusqu’à 300 mètres de profondeur et des pompes modernes pour l’évacuation des eaux d’infiltration furent mises en place. Ironiquement, elles étaient actionnées par la force motrice de l’eau, ce qui nécessita l’aménagement de toute une série de réservoirs et d’un canal de près de 23 kilomètres pour détourner le courant de l’Aulne. De plus, il s’agissait de la première mine de France à avoir été dotée d’une machine à feu, ancêtre de la machine à vapeur de James Watt, et ce dès 1748. L’excellence technique du site en fit un modèle où les ingénieurs miniers de toute la France étaient envoyés en observation.

Coupe et élévation de la mine de Pont-Péan, dans Description historique, topographique et naturelle de l’ancienne Armorique, par Christophe-Paul Sire de Robien, 1756 (Musée de Bretagne)

Cependant, le 19ᵉ siècle marqua un revirement entre les deux mines « rivales ». En effet, par manque de nouveaux investissements, par des difficultés techniques de plus en plus marquées avec des inondations de plus en plus importantes de galeries et par la chute du cours de l’argent durant ce siècle, les mines de Poullaouen-Huelgoat virent leurs productions décroître petit à petit, et furent finalement fermées en 1868. Pendant ce temps, Pont-Péan ressurgissait progressivement, et après avoir été à l’arrêt en 1797 avec la fuite des gestionnaires du site, elles furent relancées en 1844. La mine et sa société était alors sous la direction d’actionnaires majoritairement anglais, et sa production crût progressivement. En 1880, la mine fut reprise en main par des administrateurs rennais, qui se lancèrent dans une série de lourds investissements : le site fut relié au chemin de fer, la proche rivière drainée pour être raccordée aux canaux bretons, et des puits furent creusés jusqu’à 600 mètres de profondeur. Pont-Péan vécut ainsi un véritable âge d’or dans les années 1890, représentant près de 80 % de la production française de plomb. Cependant, des difficultés techniques, financières et salariales se faisaient de plus en plus sentir. En 1904, malgré des chiffres de production toujours remarquables, le maintien du site était en réalité de plus en plus complexe : un scandale de malversation autour de la principale banque d’investissement de l’entreprise et une inondation massive des galeries mirent fin aux travaux.

Adolescents affectés au nettoyage des minéraux, mines de Poullaouen-Huelgoat, selon L’Illustration, 14 juin 1845, Bibliothèque municipale de Quimper

Par la suite d’autres mines bretonnes furent également exploitées. Entre 1912 et 1932, les mines de Trémuson, non loin de l’ancien site de Châtelaudren, furent particulièrement productives. Elles eurent droit à de lourds investissements dans les années 1920 de la part de Joseph Dufourg qui, profitant d’une brève remontée du cours du plomb, fit fortune et employa jusqu’à 800 ouvriers sur le site. Cependant, son fils Jean dû subir la crise économique et la chute du prix du plomb au début des années 1930, mais surtout il n’avait pas les connaissances minières de son père. Ses capacités étaient plus en communication : alors même que les mines de Trémuson étaient en train de péricliter, il fit acheter par sa société les anciennes mines de Poullaouen-Huelgoat et de Pont-Péan, et organisa une grande opération de publicité autour d’une prétendue résurrection de ces dernières. Le but était d’encourager l’achat massif d’actions de son entreprise, alors qu’en réalité les investissements dans ses mines n’étaient que de façade et que tout menaçait ruine. La supercherie fut finalement percée à jour, et il fut condamné à quatre ans de prison pour malversation et escroquerie. Les vrais perdants étaient avant tout les centaines de petit-porteurs qui avaient perdus toutes leurs économies dans l’affaire… Ce fut là l’un des derniers sursauts des mines de plomb argentifère en Bretagne. Ne restaient alors que celles de Vieux-Vy-sur-Couesnon, au nord de Rennes, qui avaient été exploitées depuis 1879, quoique de façon bien moins rentable et continue : elles furent brièvement réactivées durant l’Occupation, avant d’être fermées définitivement en 1951. En prenant du recul sur l’ensemble de cette histoire minière bretonne, il est intéressant de constater l’industrialisation et la modernisation progressive de ses sites : de Poullaouen-Huelgoat à Vieux-Vy-sur-Couesnon, elles n’ouvrirent pas au seul moment de la Révolution industrielle, mais s’inscrivirent dans un temps bien plus long.

Mineur à Poullaouen-Huelgoat, vers 1930 (Musée de Bretagne)

L’histoire technique de ces mines se fit donc sur près de deux siècles, mais ne parler que de leurs exploitations serait oublier les hommes et les femmes qui y travaillèrent, et qui révèlent de nombreux points communs. Tout d’abord, il faut noter une claire différence entre les travailleurs de base et les ingénieurs et directeurs de mines : si les premiers étaient bien souvent locaux, les seconds venaient plus régulièrement de Paris ou de pays étrangers. Cela se voit en particulier pour Poullaouen-Huelgoat au 18ᵉ siècle : quand les mineurs étaient souvent des paysans venants chercher un complément de revenus, les deux grands ingénieurs qui firent la prospérité des mines furent les Allemands Koënig et Brollmann. De même, à Pont-Péan au 19ᵉ siècle, les mines furent d’abord dirigées par l’Anglais James Hunt, en lien avec les milieux financiers londoniens. Plus tard, au temps de la grande prospérité du lieu, la direction était assurée par le Belge Charles Eloy puis le Breton Léon Maudet, qui avait cependant été ingénieur minier en Grèce. Par la suite, aux mines de Trémuson dans les années 1920, de nombreux étrangers vinrent travailler, polonais, italiens ou tchèques, mais cette fois-ci en tant que mineurs de fond. Enfin, des réfugiés espagnols furent affectés aux mines de Vieux-Vy-sur-Couesnon en 1939.

Enfin, un autre point marquant des mines de plomb argentifère était bien sûr la dureté du travail. Déjà à Poullaouen-Huelgoat, les accidents étaient nombreux et le travail harassant. Les hommes travaillaient 8 heures par jour dans la mine, tandis que les femmes étaient affectées au nettoyage du minerai, jusqu’à 16 heures par jour ! Le travail de ces dernières était loin d’être facile : elles passaient de longues heures les mains plongées dans de l’eau boueuse et particulièrement corrosive. En 1767, la Compagnie voulut baisser leur salaire, ce qui conduisit à une grève de quatre semaines. Ce mouvement, qui sortit vainqueur, est parfois qualifié de première grève entièrement féminine de l’histoire, ce qui mériterait d’être confirmé par l’étude. Pareillement, à Pont-Péan au temps de sa splendeur, les accidents, notamment mortels, étaient courants. Cela conduisit à une série de grèves à la transition entre les deux siècles, en particulier pour demander l’application des normes de sécurité et une augmentation des salaires, et à une montée du syndicalisme minier. Cependant, durant les deux siècles d’activité minière bretonne, les ouvriers étant souvent embauchés temporairement pour avoir un complément de revenus, les grèves et révoltes furent finalement bien peu nombreuses en comparaison à d’autres régions.

Si aujourd’hui les mines de plomb argentifère de Bretagne sont largement oubliées, quelques vestiges nous rappellent cependant leurs anciennes activités. Quelques cités ouvrières construites pour leurs travailleurs subsistent, ainsi que l’impressionnant immeuble des bureaux des mines de Pont-Péan. À Poullaouen-Huelgoat, de nombreuses installations sont encore visibles, et l’Association de Sauvegarde de l’Ancienne Mine (ASAM) fait revivre ce patrimoine. Mais c’est surtout le retour de projets miniers en Bretagne ces dernières années, pour l’exploitation du plomb, du cuivre et de l’étain, dont la France manque toujours, qui renvoie à cette histoire, celle d’entreprises étrangères venues faire fortune en Bretagne, et celle des hommes et femmes qui travaillèrent dans ces mines.

Ancien bâtiment des bureaux à Pont-Péan, crédits photos Nicolas Dudot (Exxplore.fr) / Mines de Pont-Péan, vers 1930 (Musée de Bretagne)

A lire également (pour l’étain) : Les mines d’Abbaretz, dans la Loire-Atlantique

Remerciements

L’auteur tient à remercier Nicolas Dudot pour l’autorisation à utiliser ses photographies, présentes sur sont site Exxplore.fr (https://www.exxplore.fr/pages/Mines-Bretagne.php).

Biblio minería bretonne

  • Baillit maître Marie-Christine et Benoît Paul, « Les mines d’argent de la France médiévale », L’argent au Moyen Âge, Actes des congrès des la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 28e congrès, Clermont-Ferrand, 1997, pp. 17-45, disponible en ligne (Persée) : https://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1998_act_28_1_1715, consulté le 19 octobre 2020.
  • Brouard Noël, Duterne Servane, Lozac’h Alain, Grandeur et décadence des mines de plomb et d’argent en Bretagne, éditions Goater, Rennes, 2017, 143 pp.
  • Brulé Anne, Les mines métalliques bretonnes aux XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles. Inventaires et typologie, Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, t. LXV, 1988, pp. 125-145.
  • Brulé Anne, Mineurs en Bretagne, Skol Vreizh, Morlaix, 1988, 96 pp.
  • Brulé-Garçon Anne, « À propos du complexe technique minéro-métallurgique armoricain ». Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 104, num. 3, 1997, pp. 23-38, disponible en ligne (Persée) : https://www.persee.fr/doc/abpo_0399-0826_1997_num_104_3_3936, consulté le 19 octobre 2020.
  • Corbel Alexandre, Histoire des mines de plomb argentifère, Université du temps libre, Saint-Brieuc, 2002.
  • Monange Edmond, La vie quotidienne aux miens de Poullaouen et du Huelgoat dans la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle, Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, t. LXV, 1988, pp. 105-124.
  • Monange Edmond, Une entreprise industrielle au XVIIIᵉ siècle : les mines de Poullaouen et du Huelgoat (1732-1791), thèse, 2 tomes, Rennes, 1972.

 

 

> Vincent Daumas

Étudiant en master recherche à l'université Rennes 2, les recherches de Vincent Daumas se focalisent sur l'Amérique latine durant l'époque moderne. Il est également membre du collectif Rubrikenn Istor Breizh.