COVID : un traitement national et uniformisé est une hérésie !

(note: carte modifiée pour intégrer la Loire-Atlantique. Les Pays de la Loire ne sont donc comptés que pour 4 départements)

Christian Caoudal (Ajila Conseil) – ingénieur consultant est spécialisé en management et systèmes de pilotage, et enseigne à l’Université de Bretagne Sud. Son objectif est d’étudier les données du Covid-19 en cherchant à être le plus factuel possible. Et ses résultats sont clairs : les comparaisons et les décisions au niveau national n’ont aucun sens. Il préconise depuis mars dernier de s’intéresser davantage aux échelons infraétatiques.

Le Peuple breton : Est-ce la première fois que vous vous intéressez à ce sujet ?

Christian Caoudal : Depuis mars, je milite pour un traitement du Covid régionalisé, voir départementalisé. Pourquoi ? Tout simplement parce que j’ai mis en évidence très tôt [dès avril, lire PB n°675] que cette épidémie était très inégalement répartie sur le territoire national, et qu’on était, en Bretagne, relativement épargné. Je me suis d’ailleurs quasi fait insulter par certaines personnes sur mon dernier article en en disant cela, alors que je ne m’appuyais que sur des faits et pas sur des avis. J’ai alerté à l’époque une dizaine de responsables politiques bretons, donc le président du Conseil Régional, Loig Chesnais Girard. A chaque fois la réponse était la même : le centre de décision sur ce sujet est national et pas local : aucun pouvoir de décision.

PB : Où en est-on 6 mois plus tard ?

CC : Au même point. Depuis juillet on demande à chacun de prendre ses responsabilités. C’est ce qui est fait de manière très sérieuse dans de nombreux départements : plus d’1/3 des départements ont moins de 10 lits occupés en réanimation par des malades COVID, preuve que certaines régions ont respecté les consignes. Après avoir alerté certaines régions (Nord, Paca et Paris) que s’ils ne réagissaient pas, ça allait mal se passer et après avoir imposé le couvre-feu dans certains départements, qui n’a servi à rien, on se retrouve au même point qu’il y a 6 mois : la décision prise, à savoir un nouveau confinement national, uniforme, qui ne tient absolument pas compte des spécificités régionales… A part pour les DOM-TOM ! Et c’est à mon sens la décision la plus idiote qu’on va encore subir sans rien dire, probablement pendant plusieurs mois encore.

PB : Pourquoi dites-vous cela ?

CC : On sait depuis 6 mois que le point-clé en France, là où me bât blesse, dans l’industrie on dirait le « goulet d’étranglement », est notre capacité d’accueil en réanimation. C’est un fait, une vérité, un point non discutable. Malgré cela, les médias ont continué à suivre depuis juin non pas le taux d’occupation en réanimation mais… le nombre de cas positifs ! Alors que les données pour les départements en rouge aujourd’hui ont progressé, progressé, progressé… Sans que personne ne voit le paquebot nous venir dans la figure ! Et alors que dans plus de 30 départements on est dans des limites raisonnables de la capacité d’accueil en réanimation… Donc en situation de maîtrise. Avec ce confinement, on choisit la facilité, car on décide de pénaliser la majorité pour une minorité de 7 départements qui ne maîtrisent absolument rien, et ce depuis juillet ! Cela aussi, c’est encore un fait ; une réalité donc peu discutable.

PB : Et en Bretagne ?

CC: Le cas de la Bretagne est saisissant. On est la région qui a été la moins touchée par la 1ère vague. Là encore j’ai osé dire en mai qu’on était au niveau allemand, vantée par tous. C’était le cas pourtant, et ce sans dépistage systématique, il est bon de le rappeler. Pour de nombreuses raisons d’ailleurs, mon avis étant que le comportement et la responsabilisation vis-à-vis de l’autre est sans doute plus importante ici que dans d’autres régions. En cherchant récemment des éléments précis sur la capacité en réanimation, je suis tombé sur une étude de 2017 présentée par l’ARS* qui indiquait déjà que le taux d’équipement en Bretagne était de 6 pour 100000 habitants, alors que ce taux au niveau national était de 9 pour 100000… Soit 50% de plus au niveau national par rapport à la Région Bretagne ! Donc, un gros retard en terme d’équipement ce qui peut paraître curieux pour une population avec une moyenne d’âge supérieure à la moyenne nationale.

Actuellement, la capacité en réanimation en Bretagne (cf. étude de référence à 4 départements) est de 173, soit 5,2 pour 100000. Soit en 3 ans une baisse de 13 % ! Si on intègre le 44 on arrive à une capacité de 290. Avec des différences notables sur les départements : 113 en Loire Atlantique soit 8 pour 100000 ; 68 dans le Finistère, soit 8 pour 100000 ; 67 en Ille-et-Vilaine soit 7 pour 100000 ; 24 dans le Morbihan soit 3 pour 100000 ; 14 dans les Côtes d’Armor soit 2 pour 100000. Il est à noter que le taux d’occupation en Bretagne (5 départements) est de 92/290 soit 32 %. Et à part les Côtes d’Armor en situation délicate, la situation des 4 autres départements est très maîtrisée, avec un taux autour de 30 % de taux d’occupation : Loire Atlantique 28 %, Finistère 31 %, Ille-et-Vilaine 33 %, Morbihan : 33 %, Côtes d’Armor : 64 %.

PB : Vos conclusions ?

CC : Elles sont simples et ne varient pas. Le bon niveau d’analyse est le niveau départemental/local, et même pas régional. Il n’est en tout cas sûrement pas national. Je ne comprends donc pas ce que font les responsables politiques sur ce sujet. J’entends parler depuis 20 ans de décentralisation, de mettre les responsables politiques locaux dans les cycles de décisions stratégiques. On est dans une situation sans précédent, il est donc temps de passer à l’acte et de ne plus rester sur des paroles. N’est-ce pas notre rôle à tous de les interpeler, pour qu’ils puissent faire peser dans la balance les spécificités régionales ?

* bilan de l’offre de santé en Bretagne, présentée par Olivier de Cadeville – Directeur Général de l’Agence Régionale de Santé de Bretagne.

 

> Ar Skridaozerezh / La Rédaction

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