
Rebouteux, guérisseurs, saints locaux, fontaines miraculeuses ou encore louzou… Voici différentes ressources relevant des croyances populaires en Bretagne. Elles font parties des nombreuses pratiques médicinales d’autrefois à une époque où l’accès aux soins dispensés par les médecins est longtemps resté inaccessible pour une grande partie des habitants.
Si vous descendez dans la crypte de l’ancienne abbaye de Quimperlé à la rencontre du saint fondateur qui y est enterré, et que l’on nomme Gurloës ou saint Urlou, vous tomberez peut-être sur une ou deux personnes qui, dans un moment de silence ou peut-être de prière, passent sous l’arche de la tombe ou bien glissent leur tête à l’intérieur d’un trou situé sous la tête du gisant de saint Urlou.
Ce dernier fait partie des nombreux saints bretons aux pouvoirs thaumaturges à qui on fait appel pour guérir les maux de dos et de tête et également la maladie de la goutte ; d’où son nom Urlou qui en breton signifie « goutte ». Sur sa tombe, on trouve de nombreux graffitis de remerciement, a.k.a ex-voto, qui attestent de l’ancienneté de cette pratique médicinale. Si celle-ci est aujourd’hui un amusement pour la majorité des passants, l’exercice était autrefois pris bien plus au sérieux.
Cette anecdote sur les croyances populaires autour de ce saint guérisseur est révélatrice d’un temps où la « médecine savante » que nous connaissons aujourd’hui n’avais que très peu, voire pas du tout, d’emprise sur les populations bretonnes. Ce fait est souligné par Jean-Pierre Goubert dans sa thèse sur la médicalisation en Bretagne dans les années 1770-1790. Il explique l’absence des médecins diplômés dans les campagnes bretonnes en raison de leur préférence pour les villes où les patients ont les moyens de verser des honoraires élevés. Par exemple, pour le cas du Finistère, on dénombre pour une population de 612 151 habitants, 1,33 docteur en moyenne pour 10 000 habitants.
De ce fait, les populations à la campagne ont recours à une médecine alternative de l’ordre des croyances populaires. Le témoignage d’anciens paysans, les collectes des folkloristes du XIXᵉ siècle ou les archives judiciaires permettent de reconstituer les pratiques médicinales de la population : invocation des saints guérisseurs, recours aux fontaines et au culte de l’eau, utilisation des plantes ou bien encore appel aux guérisseurs.
Ces pratiques sont encore bien implantées au début du XXᵉ siècle en Bretagne. Pour preuve, un médecin du nom de Augustin Foll publie en 1903 une thèse de médecine où il répertorie plusieurs pratiques relevant de la médecine populaire :
« Le paysan croit que la maladie est envoyée par Dieu en punition d’un acte mauvais ou produite par un sort. Le prêtre seul ou le sorcier pourra le guérir. Il aura donc recours aux prières, aux fontaines miraculeuses, à l’intervention d’un saint ou bien à la conjuration d’un sorcier, antagoniste de celui qui aura jeté le sort. Le sorcier s’aidera de formules magiques, de signes mi-chrétiens, mi-païens et souvent terminera en donnant un “louzou” composé de plantes … » (Augustin Foll, Thèse de doctorat Médecine et superstitions populaires en Bretagne.)
Les saints guérisseurs (et les pardons)
L’appel au saint guérisseur est en général l’un des premiers réflexes du malade car la maladie est donc perçue avant tout comme une punition divine. Les saints aux pouvoirs thaumaturges sont nombreux en Bretagne où l’on en dénombre près de 800. La grande majorité d’entre eux ne sont pas inscrit au calendrier officiel de l’Église catholique mais sont tout de même reconnus par celle-ci. Ce sont des saints locaux qui font l’objet d’un culte populaire à une époque où le pape ne se réserve pas encore le droit de canoniser. En effet, dès le IV siècle, le titre de saint utilisé par les chrétiens pour se distinguer des païens est réservé aux membres du clergé. Au moment où la canonisation devient le monopole du pape, en 1234, l’Église accepte ses saints locaux du fait de l’ancienneté de la pratique. Malgré la particularité des formes de cultes autour de ses saints, ils ne sont en aucun cas des dieux païens mal christianisés.
Les pratiques qui entourent la tombe de saint Urlou mentionnées plus haut sont représentatives du type de rituels pratiqués auprès des saints en Bretagne pour protéger ou guérir de toutes sortes de maux. À chaque saint est en général attribué la guérison d’une ou plusieurs maladies. Ces maladies peuvent être parfois en lien avec un fait ou un évènement que s’est déroulé au cours de la vie du saint. Par exemple, en cas de maux de dents, c’est vers sainte Apolline que s’adressent les prières. Sainte Apolline fait partie des saints martyrs qui, en refusant de renoncer à sa foi, à subit quelques tortures dont celles de se faire arracher les dents avec des tenailles… Vous voyez ici le rapprochement.
Dans le répertoire des pratiques adressées aux saints, on peut citer l’invocation de leurs noms pour se prémunir d’une maladie. Cependant, lorsque l’on est déjà affectés par celle-ci, mieux vaut se rendre directement au sanctuaire du saint. Les Bretons et Bretonnes passaient alors un pacte, une sorte de contrat avec le saint. En échange du respect des rites, le saint devait alors tenir son engagement sinon quoi il s’exposait à des représailles (jet de clous ou de boues sur sa statue).
Les fontaines

Le recours à la fontaine en cas de maladie est une pratique ancienne qui est encore très répandue au début du XXᵉ siècle en Bretagne où l’on en dénombre près de 2000. L’eau de la fontaine est réputée pour ses vertus non pas ici chimiques, comme cela peut être le cas lors des cures thérapeutiques pratiquées aujourd’hui, mais de l’ordre du surnaturel. D’ailleurs, la boire ne suffit pas, il y a un rituel ici aussi, un ensemble de gestes à respecter si l’on veut bénéficier de ses bienfaits. Sur de nombreuses cartes postales du début du XXᵉ siècle, on retrouve ce type de rituel autour des fontaines le jour des pardons.
L’origine de ces pratiques et de ces croyances a suscité de nombreux débats où deux thèses ont été émises. La première défend l’idée d’une survivance de croyances païennes, antérieures à la christianisation, que l’Église a ensuite toléré. L’autre idée, surtout défendue par les clercs, veut que les formes de croyances et pratiques que l’on trouve aux fontaines sont l’expression de la confiance du peuple dans les saints et la puissance de Dieu.
L’étude de l’ethnologue Sylvette Denèfle sur les fontaines en Bretagne nous montre comment cette pratique empreinte des combinaisons de différentes religions (christianisme, culte de l’eau, formes archaïques de l’usage des fontaines) a réussi à se maintenir à la fin du XXᵉ siècle. Dans son étude qui se délimite des années 1970 aux années 1990, elle décrit les fontaines comme des lieux d’activité religieuse, des lieux de rencontres, des lieux de légendes et encore comme des lieux de médecine populaire. Elle a alors recueilli les récits de rites et de croyances en interrogeant des femmes qui allaient au lavoir dans leur jeunesse, des pèlerins allant aux fontaines le jour du pardon, des personnes âgées qui connaissent les légendes autour des fontaines, ou encore des personnes qui dans le passé ont fréquenté certaines fontaines pour obtenir une guérison.
L’autrice nous livre quelques repères numériques et géographiques sur les fontaines en Bretagne. La fontaine bretonne est avant tout une fontaine rurale liée le plus souvent à une église ou une chapelle. Près de 2000 fontaines aux pouvoirs particuliers ont été répertoriées dont 1500 dans la Cornouaille et le Léon ! Bien des chercheurs ont étudié les fontaines à croyances dans d’autres régions françaises mais leur nombre était loin de celui de la Basse Bretagne.
La fontaine guérisseuse a la plupart du temps une spécialité et ne guérit que rarement toutes les maladies. Les spécialisations tournent autour de trois orientations : un quart des pouvoirs sont destinés à la maternité, plus de la moitié à l’ensemble des maladies et environ 10 % aux maladies du bétail.
Les demandes aux fontaines de la maternité sont de l’ordre de la lutte contre la stérilité, d’avoir une grossesse ou un accouchement sans encombre, ou encore de la protection des petits enfants. Dans les pratiques rituelles liées directement à la maternité, les femmes venaient généralement boire l’eau de la source et se lavaient les seins avec.
En ce qui concerne le soin des diverses maladies, bien que les fontaines guérissent une grande partie d’entre elles, elles sont le plus souvent sollicitées que pour un petit nombre, telles que les rhumatismes, la fièvre ou bien les maux de têtes et ceux des yeux. Les pratiques ne sont guère homogènes mais l’on retrouve tout de même quelques particularités comme celle de se frotter les yeux avec des galets de la fontaine pour les maux des yeux ou bien l’immersion d’un membre ou du corps entier dans la fontaine pour les rhumatismes.
Les fontaines protègent également les animaux mais seulement le gros bétail comme les chevaux, les bovins et les porcs. Pour donner un exemple, c’est saint Eloi qui patronne majoritairement les fontaines pour les chevaux. Les pratiques qui assurent leur protection se déroulent le plus souvent lors des pardons qui se produisent de préférence à la fin du mois de juin et ont lieux dans des endroits sous la protection de saint Eloi. À quelques variantes près, on amène les chevaux de la chapelle à la fontaine voisine où ils sont bénis, aspergés et exécutent un saut par-dessus le ruisseau qui s’écoule de la fontaine.
Sylvette Denèfle voit ainsi dans ce rituel au calendrier précis le cœur de ce que sont véritablement les pratiques et les croyances aux fontaines, un mélange de traditions d’origines diverses réinterprétées différemment à chaque époque : « Si les fontaines ont des pouvoirs, ils ne s’expriment que dans une cérémonie particulière dans laquelle intervient la foi chrétienne, la fidélité ritualiste, la croyance dans les pouvoirs de la nature, (…) » (Croyances aux fontaines en Bretagne, S. Denèfle).
Les plantes
En dehors des croyances populaires, les plantes ont une place particulièrement importante dans la médecine populaire en général pour soigner autant les hommes que les animaux. Là encore, les récits de paysans, des folkloristes et les cahiers de recettes de pharmaciens ou de guérisseurs nous permettent de reconstituer la pharmacopée bretonne. Huile de millepertuis, tisane de feuille de sureau, concoction de ronces, application de nombril de vénus, inhalation de thym, le savoir de la cueillette et de la préparation des plantes est transmis généralement de manière orale bien que quelques écrits de recettes parfois vendu sur les marchés ont joué dans cette transmission. La cueillette respecte le calendrier des saisons et également des fêtes comme la veille de la Saint-Jean où l’on pense que les vertus des plantes sont démultipliées.
Les pratiques médicinales autour des plantes comportent également certains remèdes bretons que la science a du mal à justifier. Par exemple, pour guérir les ballonnements des vaches, il fallait frotter leur ventre avec une ronce dont les deux extrémités ont pris racines, puis entourer la vache de cette même ronce. Les guérisseurs utilisaient également la ronce pour soigner les eczémas. Ils conseillaient de garnir le chevet du lit du malade avec de tendres tiges de ronce. Quand les ronces fanaient, les symptômes devenaient plus aigus et l’on était presque aussitôt guéris. On peut également porter sur soi des plantes pour préserver ou guérir de la maladie comme un collier d’ail ou d’absinthe pour chasser les vers. La maladie peut alors passer sur le végétal utilisé qui en fanant va permettre la guérison.
Si l’on exclut les pratiques médicinales relatives aux croyances populaires, l’utilisation des plantes pour le soin est toujours d’usage. On se réapproprient les savoirs anciens de la campagne en intégrant parfois de nouvelles préparations comme les huiles essentielles.
Les guérisseurs

Enfin, l’appel aux guérisseurs ou rebouteux fait partie de la dernière solution en cas de maladie et témoigne tant de la lente acculturation de la médecine savante en Bretagne mais également des problèmes économiques que rencontrent les populations bretonnes pour payer les honoraires élevés des médecins.
Le guérisseur n’est pas considéré comme sorcier puisqu’il est en possession de pouvoirs de guérison depuis en général sa naissance. Une étude lancée en 1938 auprès des guérisseurs d’Ille-et-Vilaine et réalisée par des étudiants en médecine rapporte que les pouvoirs pouvaient être obtenus de trois manières différentes. La première est donc par la naissance s’il est le septième enfant masculin ou féminin d’une famille où il n’existe que des garçons ou que des filles. La seconde est par transmission héréditaire et enfin la troisième par transfert de pouvoir d’un guérisseur en fin de vie.
L’étude nous révèle également une pratique employée par un guérisseur pour soigner les brûlures. Après avoir pris un verre d’eau, il y mouille ses doigts, fait un signe de croix au-dessus de la brûlure, tout en récitant une prière pendant la guérison : « Saint-Laurent, qui brûle et débrûle, et toi enfant que Dieu débrûle, autrefois avec une feuille de Laurier, je vous invoque aujourd’hui ». Le thérapeute souffle alors sur la main qui se trouve guéri.
En dehors des anecdotes que l’on retrouve dans les récits de folkloristes, on retrouve la présence de ces guérisseurs dans les archives judiciaires lorsque les tenants de la « médecine savante » ont tenté de s’imposer face à ces guérisseurs. En effet, la loi du 10 mars 1803 exige que l’exercice de la médecine, de la pharmacie ou de l’art des accouchements doit être désormais réservé aux titulaires d’un diplôme officiel. Toute personne n’obéissant pas à la loi sera punie de peines d’amendes et parfois même de prison en cas de récidive. C’est pourquoi l’on retrouve dans les archives judiciaires des plaintes contre les rebouteux et guérisseurs, accusés de ne pas avoir de diplômes, parfois soutenus par leurs patients, parfois attaqués par ceux-ci. Dans la zone du Finistère qui constitue à l’époque un « désert médical », le recours aux guérisseurs passe en théorie dans la clandestinité puisque la population continue d’avoir recours à leurs services et leur accordait toute sa confiance.
L’autrice Annick Le Douget, spécialiste de la violence et de la justice dans le Finistère au XIXᵉ siècle, cite l’exemple d’une rebouteuse nommée Péran qui possède en 1900 trois « cabinets de consultation » situés à Landerneau, Plougastel-Daoulas et Brest où elle se rend les jours de marché. Elle jouit d’une forte popularité puisque le jour où elle fut arrêtée par les gendarmes, près de 60 patients attendaient leur tour dans l’un de ses cabinets. L’autrice met en avant le fait que ces guérisseurs font partie de la communauté rurale et que certains d’entre eux occupent une autre activité comme meuniers ou maréchaux-ferrants. Ces derniers prodiguent des soins gratuitement pour ainsi fidéliser leur clientèle car la norme est celle de l’échange dans un groupe communautaire.
En plus des raisons pécuniaires, la population finistérienne est peu encline à confier leurs corps à la médecine en raison de l’éloignement culturel et de la méconnaissance de la langue bretonne des médecins, contrairement aux guérisseurs qui appartiennent à la communauté rurale.
Aux XIXᵉ et XXᵉ siècles en Bretagne cohabitent ainsi les médecins et pharmaciens diplômés et peu nombreux face aux masses de guérisseurs et rebouteux qui sont rarement traînés en justice à part lorsque leurs soins entraînent des blessures graves.
Ces pratiques médicinales et les croyances populaires qui les accompagnent, qui ne sont d’ailleurs peut-être pas toutes exclusivement bretonnes, n’ont plus autant d’importance aujourd’hui qu’elles en avaient eu début du XXᵉ siècle et durant les siècles précédents. Plusieurs changements de société ont impacté cette mutation des pratiques médicinales populaires dans les campagnes vers la médecine scientifique que nous connaissons aujourd’hui, les principaux sont le développement de l’instruction, la fin de l’isolement des campagnes ou les lois prenant en charge les soins pour les malades comme celle du 4 octobre 1945 organisant la Sécurité sociale.