Catalogne. La justice belge ridiculise un tribunal espagnol

Lluís Puig

En pleine tempête institutionnelle et alors que le vaisseau Espagne semble de plus en plus malmené par les scandales à répétition qui frappent sa crédibilité et son honorabilité, la justice belge vient ce vendredi 7 août d’infliger un nouveau revers au Tribunal Suprême en refusant l’extradition de l’ex-ministre de la Culture du gouvernement de Carles Puigdemont, exilé à Bruxelles…

« La chambre du conseil – tribunal de première instance – a refusé l’exécution du mandat d’arrêt européen, considérant que l’autorité espagnole qui a émis ce mandat – le Tribunal Suprême – n’était pas compétente pour ce faire », a indiqué le parquet. Lluís Puig, exilé depuis novembre 2017 en Belgique avec le président Puigdemont, l’ex-ministre catalan de la Santé, Toni Comín et l’ex-ministre de l’Agriculture Meritxell Serret (aujourd’hui représente du gouvernement catalan auprès de l’Union européenne), a exprimé immédiatement en conférence de presse sa satisfaction. Il a surtout dénoncé une fois de plus la répression dont sont toujours l’objet les indépendantistes catalans (emprisonnés, exilés, en procès…) et réclamé que le gouvernement espagnol via ses procureurs engage une amnistie pour tous les indépendantistes poursuivis. Techniquement, le Tribunal Suprême espagnol ne pouvait pas demander l’extradition d’une personne qui ne relevait pas de sa compétence, l’ex-ministre n’étant pas député, ne bénéficiant donc pas d’immunité, et n’étant poursuivi par ailleurs que pour « malversation » (dépenses présumées liées à un référendum illégal). Il devait être jugé par les tribunaux ordinaires de Catalogne.

Conséquences pour tous les condamnés et exilés

Le coordinateur des avocats des exilés catalans Gonzalo Boye a expliqué que le verdict – même s’il est objet de recours devant la cours d’appel belge – pourrait avoir des conséquences importantes sur les condamnations des indépendantistes (les 9 membres du gouvernement, la présidente du Parlement catalan et les 2 présidents d’associations indépendantistes) qui ont été condamnés toutes peines additionnées à 100 ans de prison. En effet, si les tribunaux européens confirmaient les irrégularités (flagrantes, réitérées et constantes) de la justice espagnole, les sentences pourraient être annulées.

Par ailleurs, le même Tribunal Suprême n’est pas plus compétent pour demander au Parlement européen la levée de l’immunité de Puigdemont, Comín et Ponsatí, tous les trois élus régulièrement et dont l’Espagne réclame également l’extradition.

Discrédit et incompétence espagnole

La presse catalane et en partie européenne tend ces derniers jours à souligner le discrédit et l’incompétence des magistrats espagnols, incapables d’instruire correctement les poursuites qu’ils entendent exercer de manière implacable contre les Catalans. C’est en effet la 3ème fois que les juges espagnols présentent des demandes d’extradition, après en avoir déjà retirés volontairement deux, au gré de leur humeur, de l’opportunité d’obtenir ou non des résultats qui les intéressaient. Ces revers sont interprétés comme des échecs cuisants et comme un discrédit grandissant des autorités espagnoles. D’autant que la fuite organisée – ou du moins couverte – de l’ex-roi Juan Carlos, 1er objet d’enquêtes pour corruption et évasion de capitaux pour des centaines de millions d’euros cette semaine, met en évidence le silence complice des instances judiciaires. Le parquet vient même d’ouvrir une enquête pour « insulte à la couronne » au vice-président (ERC) du gouvernement catalan Pere Aragonès ! Et le rappeur Valtònyc exilé lui aussi à Bruxelles pour insultes à la couronne est toujours sous le coup d’une demande d’extradition et d’une condamnation de 2 ans et demi de prison.

Les prisonniers politiques réincarcérés

Alors que les autorités politiques espagnoles ne semblent pas vouloir bouger d’un iota leur position du tout répression (tous les procès contre des indépendantistes continuent) et de refus du dialogue (la table de dialogue annoncée par Sanchez contre le soutien d’ERC aux Cortes pour avoir la majorité ne s’est toujours pas réunie), les prisonniers indépendantistes apparaissent chaque jour davantage comme des otages que comme des prisonniers politiques. Ces dernières semaines, le Tribunal Suprême s’est auto-institué comme autorité compétente pour décider du régime pénitentiaire des Catalans, a annulé leur régime de semi-liberté, ainsi que leurs permissions (tous obtenus de manière réglementaire et ordinaire) et les a renvoyés en prison où ils sont soumis – du fait des conditions sanitaires spécifiques des détenus en période d’épidémie – à une réclusion stricte de 21h par jour dans leur cellule. Les magistrats espagnols estiment que les condamnés « n’ont pas renoncé à leurs idées politiques » (sic) et n’ont pas été soumis à un « programme de réinsertion destiné à éviter leur récidive » (re-sic) ! Raisons qui motivent leur maintien en détention…

Au même moment, la justice confirme qu’aucune poursuite n’est ouverte contre le « roi émérite » et les socialistes du gouvernement démentent qu’il s’agisse d’une fuite puisqu’il n’existe pas de poursuite et votent avec la droite et l’extrême droite aux Cortes pour s’opposer à une commission d’enquête. CQFD. En conférence de presse, Pedro Sanchez a refusé obstinément de répondre aux questions des journalistes sur les informations dont il disposait sur les circonstances de la fuite de Juan Carlos et sur son lieu de destination. Cette fin de semaine, des hypothèses le situent à Abou Dhabi, après avoir avancé Saint Domingue et le Portugal.

Motion du Parlement catalan contre la monarchie

Dans ce contexte, et face à la « gravité de la situation institutionnelle », le président catalan Quim Torra a demandé la réunion exceptionnelle du Parlement de Catalogne pour débattre de la question de la monarchie. La séance s’est tenue ce vendredi 7 août et a donné lieu aux habituels affrontements verbaux entre indépendantistes (Junts per Catalunya, ERC, la CUP) et espagnolistes (PS, PP i Ciudadanos), alors que En Comú Podem (l’équivalent de Podemos en Catalogne) se cantonnait à sa position habituelle ni-ni : condamnation de la corruption, demande théorique d’une république espagnole plurinationale et critique du gouvernement catalan. Les motions approuvées par le Parlement déclarent que « la Catalogne est républicaine et ne reconnaît aucune monarchie », qualifient la couronne et la Casa real espagnoles de « délinquants », elles réitèrent la fidélité du Parlement et du Gouvernement catalan au mandat exprimé dans les urnes par les Catalans lors du référendum et par la déclaration de la République du 27 octobre 2017. Les indépendantistes dénoncent que la légitimité du roi est basée sur le coup d’État franquiste de 1936 et constatent l’échec du pacte constitutionnel de 1978. Autant de déclarations et de prises de position qui devraient valoir de nouvelles poursuites aux élus et aux institutions catalanes dans les semaines à venir, de la part de magistrats espagnols qui se sont institués en défenseur de l’idéologie et de la morale politique nationaliste du régime et de la patrie.

Le Tribunal Suprême chargé des plaintes contre le roi

Autres anomalie et illustration des graves dysfonctionnements de la « justice » et des institutions espagnoles, le même juge Manuel Marchena qui a condamné les indépendantistes (dont le président de l’association Òmnium, Jordi Cuixart) vient d’être désigné pour juger de la validité des plaintes déposées par… Òmnium Cultural de Catalunya contre le roi en fuite et qui demande l’ouverture d’une enquête, que ses comptes soient bloqués, son passeport retiré et son titre d’éméritat suspendu.

Puigdemont chez Castex ?

Un autre évènement de l’été politique en Catalogne Sud est la parution le 23 juillet dernier d’un livre de plus de 600 pages de l’ex-président catalan Carles Puigdemont : M’explico. De la investidura a l’exili (Je m’explique. De l’investiture à l’exil, tome 1), où il explique par le menu son journal des évènements. Lecture indispensable et passionnante pour mieux comprendre le processus (el procés) vers une république catalane indépendante. Un livre qui vient aussi à point nommé pour prendre part à la campagne électorale en préparation pour les élections au Parlement de Catalogne que le président Torra devrait annoncer à l’automne, alors que les tensions avec le partenaire indépendantiste ERC sont toujours aussi vives et que Puigdemont vient de constituer en parti politique la plateforme , ce qui ne manque pas de faire grincer bien des dents au sein de son ex parti PDeCat dont les dirigeants renâclent à passer le relais. Le président Puigdemont a par ailleurs annoncé sa présence à Prada (la ville du premier ministre français Jean Castex) pour une conférence lors de la 52ème Université Catalane d’Été, mais celle-ci vient d’être reformatée en manifestation en ligne devant les exigences sanitaires imposées par la préfecture et qui sont impossibles à tenir. Fort de son immunité parlementaire, le président en exil devrait peut-être y faire une apparition, manière de fouler à nouveau le sol catalan (du nord) à quelques kilomètres de la frontière au-delà de laquelle il est toujours recherché pour rébellion.

> Alà Baylac Ferrer

Contributeur. Maître de conférence à l’Université de Perpignan – Via Domitia (UPVD) en Catalogne du Nord, Alà Baylac Ferrer est spécialiste des langue et culture catalanes. Il est par ailleurs directeur de l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT). [Lire ses articles]