Déboulonner des statues : réécriture ou refondation de l’Histoire?

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Faut-il étudier l’Histoire avec des critères militants ? Le déboulonnage ou le peinturlurage de certaines statues de personnalités historiques controversées relance la question.

De Jules Ferry à Jean-Baptiste Colbert en passant par Aldolphe Thiers, nombreuses sont les personnalités de l’Histoire de France à avoir un passé peu glorieux quand on l’analyse en détail. Chaque peuple a besoin de référents historiques, de points d’ancrage dans le passé pour se construire une histoire, un mythe national. La statuomanie du XIXème siècle a déjà été évoquée dans les colonnes du Peuple breton, notamment dans un article de Stuart Lesvier de décembre 2017 consacré à Duguesclin : « Une frénésie va d’ailleurs s’emparer de la France concernant l’édification de statues, toutes rendant gloire à la patrie et aux personnes y ayant contribué à travers les siècles. Une histoire officielle au service d’un État-nation qui s’impose comme tel. »

Dans un État aussi mythifié que la France, on peut donc comprendre les réticences du Président de la République à voir certaines personnes dégrader des statues ou réclamer leur déboulonnage. Pour Emmanuel Macron, « La République n’effacera aucune trace, ni aucun nom de son histoire ». Selon lui, les « séparatistes » qui « revisitent ce que nous sommes » ont une « réécriture haine ».

Pourtant, le besoin de faire tomber les idoles ne datent pas d’hierUn peu partout dans le monde et qu’importe les époques, les statues des uns ont été détruites par d’autres. Le compte twitter Actuel Moyen Âge rapporte que « la destruction est volontairement violente et humiliante. Comme dans les récits de Snorri [saga islandaise ndlr], la destruction des idoles est autant un acte religieux que politique : cette destruction est perçue comme étant à la fois le but et le moyen de la conquête militaire ». A l’inverse, cela peut-être un acte de résistance ou d’opposition à un mythe. En Bretagne, la statue rennaise de la duchesse Anne pliant genou devant le roi de France a sauté en 1932 et plusieurs effigies de Duguesclin, considéré comme un traître par certains nationalistes bretons, ont été brisée comme à Rennes en 1950 ou plastiquée comme à Broons en 1977.

Le compte Actuel Moyen Âge rajoute : « Abattre les statues, ce n’est jamais « effacer l’histoire », mais rejeter les valeurs et les croyances au nom desquelles elles ont été érigées et conservées ». Assiste-t-on dès lors à un changement de société, à un besoin de renouveau, d’une nouvelle histoire ? C’est assurément la piste à retenir.

Toutefois, les destructions d’œuvres d’art, fussent-elles controversées, renvoient toujours aux obscurantismes : autodafés nazis, bouddhas géants afghans détruits par les talibans, Palmyre saccagée par les milices de l’État islamique, manuscrits de la bibliothèque de Tombouctou réduits en cendres par les alliés d’Al Qaida… Un historien cherche au contraire toujours à tout garder, pour pouvoir témoigner du passé. Pour lui, il faut concevoir l’Histoire de façon globale et remettre tout dans un contexte. Déboulonner à tout va, c’est prendre le risque de mettre le doigt dans l’engrenage car qui peut se prétendre vertueux complètement ? Avant d’être une figure du pacifisme, Nelson Mandela posait des bombes. Inversement, le code noir de Colbert, tout horrible soit-il, était une façon, à l’époque, de réguler le commerce d’esclaves.

Il ne faut donc pas sombrer dans le ridicule, mais ne pas hésiter à interroger en permanence l’Histoire pour autant. Pas pour la réécrire car il faut assumer son passé, mais pour savoir quel pan d’Histoire la société veut valoriser. Jules Ferry a sans doute eu un rôle important dans l’éducation, mais il était aussi colonialiste. Faut-il en faire une figure de la République de nos jours ? En fermant les frontières, Colbert a contribué à la ruine de la Bretagne, Gambetta a laissé crever des Bretons dans un camp. Il est logique que leur souvenir soit entaché.

Les statues vont et viennent. Les plus controversées mériteraient peut-être d’être déplacées dans des musées où l’histoire des personnages qu’elles représentent pourraient être contextualisée. Bien loin des polémiques médiatiques et des raccourcis historiques ne servant qu’à fabriquer des légendes…

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]