
Les Bretons eurent de nombreux rapports commerciaux avec le Brésil durant l’époque moderne. Néanmoins, un des événements les plus fameux des relations brito-brésiliennes, et plus largement franco-brésiliennes, est bien évidemment la prise de Rio de Janeiro par Duguay-Trouin en 1711.
Elle eut lieu à un moment de retour des tensions politiques et coloniales entre la France et le Portugal. En particulier, quand la Guerre de Succession d’Espagne éclata en 1701, le Portugal se retrouva dans le camp opposé à la France. La marine française n’était plus en mesure de dominer les mers, aussi une stratégie de course se généralisa, visant à attaquer les places et navires commerciaux les plus faibles de l’ennemi. Le Brésil constituait une cible alléchante : il était assez mal défendu par les Portugais, mais très riche depuis la découverte à la toute fin du XVIIᵉ siècle d’importants gisements d’or à Minas Gerais, dans l’intérieur des terres. Cet or était dirigé vers Rio de Janeiro pour son embarquement à destination de Lisbonne. Aussi ce port aiguisait particulièrement les appétits.

En 1710, le corsaire guadeloupéen Jean-François Duclerc fit une première tentative pour s’en emparer, qui se solda par un échec. Celle qui devait ravir la cité carioca eut lieu l’année suivante, commandée par le fameux René Duguay-Trouin. Cela faisait déjà plusieurs années que le corsaire malouin était désireux de s’approprier l’or brésilien, et depuis 1706 il avait lancé une série d’expéditions pour capturer la flotte portugaise le transportant de l’Atlantique jusqu’au Tage, sans succès. Il l’avait notamment frôlée de peu en 1706, parvenant à faire échouer le navire-amiral de l’escorte, de 80 canons, mais sans capturer l’or. Les tentatives des années suivantes ne furent pas vaines pour autant, car il parvint à capturer divers vaisseaux, et en obtint même d’être anobli par le roi pour ses faits d’arme, alors même qu’il n’a pas quarante ans.
Il était donc temps de s’attaquer directement à la source. La Cour voulant venger la mort de Duclerc, assassiné en prison peu de temps auparavant, Duguay-Trouin fit miroiter de riches profits (il était alors lui-même ruiné) et convainquit négociants et armateurs malouins d’investir dans son projet. La Couronne n’était pas en mesure de le financer, mais lui confia une quinzaine de navires. Malgré les tentatives de diversions, les Portugais furent informés de l’objectif du Malouin. Mais il en fallait plus pour l’arrêter : le 12 septembre 1711, dissimulé par la brume matinale, il entra dans la baie de Rio de Janeiro, avec grande dextérité, au nez et à la barbe des forts qui protégeaient l’entrée.
La panique de la population, et l’incurie du gouverneur Castro Morais, qui invita tout simplement la garnison à abandonner la ville, firent la suite. Ainsi, le 22 septembre « tomba aux mains des ennemis, sans qu’une goutte de sang ne fût versée, une ville aussi riche, disposant même de gens pour la protéger […], avec lesquels elle aurait pu résister à une puissance plus grande encore », nous rapporte un témoin portugais. Néanmoins, les combats dans les jours précédents pour le contrôle des forts avoisinants avaient été assez violents. Dans tous les cas, pour Duguay-Trouin et ses 3300 hommes, la récompense est à la hauteur de l’audace : ayant libéré les 360 prisonniers restants de l’expédition de Duclerc, il se livrèrent au pillage méthodique de la ville. Ils saisirent la cargaison d’or entreposée dans les entrepôts royaux, des dizaines de navires amarrés dans la baie, une immense quantité de marchandises, et tout ce qui pouvait avoir de la valeur en ville. Les habitants furent contraints à racheter une partie de leurs biens à prix d’or, et finalement une rançon de 4 millions de livres fut même versée pour libérer la ville. En effet, le 13 novembre, sous la menace de renforts portugais, Duguay-Trouin abandonna la ville. Malgré une traversée difficile, et la perte de trois navires, le retour fut triomphal : le corsaire malouin fut acclamé par la population, le roi le félicita, et les investisseurs touchèrent près de 92 % de bénéfices ! Il serait même possible que cette victoire ait poussé les alliés à la table des négociations. Bien évidemment, les relations entre France et Portugal en furent ternies pour de nombreuses années. Pour mieux vanter ses mérites et en obtenir les grâces afférentes, Duguay-Trouin écrivit même une Relation de l’expédition de Rio-Janeiro en 1712. Cette glorieuse expédition fut cependant l’une des dernières du Malouin : la fin de la guerre le mit en retraite anticipée, et sa santé se dégrada vite par la suite.
Elle illustre avant tout les exceptionnelles capacités navales du bien-connu Duguay-Trouin. Mais plus largement, c’est la preuve, que même dans un moment de faiblesse comme celui de la Guerre de Succession d’Espagne, la marine française était encore en mesure de frapper fort et audacieusement, et montrait ses capacités de projection dans le monde. Néanmoins, cela restait un pillage sans lendemain, s’intégrant dans le cadre plus large de la guerre de course. Celle-ci n’était jamais que la conséquence de l’incapacité de la marine royale à contrôler les routes maritimes. Ne pouvant faire face à la Royal Navy, elle se contentait dès lors de menacer son commerce, tout en forçant l’Angleterre à de grandes dépenses navales. Pour cela, le port de Saint-Malo, tant par ses investisseurs, ses capacités maritimes, ou bien l’un de ses plus grands navigateurs, était un précieux atout pour la politique navale française. Cela s’inscrit cependant dans le mouvement beaucoup plus large des relations bretonnes avec le Brésil, thème que nous reverrons dans un futur article.
Bibliographie :
Batista Bicalho Maria Fernanda, « La ville, les étrangers, la peur et la rébellion : Rio de Janeiro et les incursions françaises du XVIIIe siècle », dans Les Aventures des Bretons au Brésil à l’époque coloniale, Jean-Yves Mérian (coord.), éditions Les Portes du Large, collection Bretons à travers le monde, actes du colloque universitaire au Conseil général d’Ille-et-Vilaine les 20 et 21 octobre 2005, Rennes, 2007, pp. 185-197.
Duguay-Trouin René, Relation de l’expédition de Rio-Janeiro, par une escadre de vaisseaux du Roy que commandoit Mr. Du Guay-Troüin en 1711, 1712, BNF, département Réserve des livres rares, 4-LB37-4402, 85 pp, Gallica, consulté le 14 mai 2020.
Meyer Jean, « La guerre de course de l’Ancien Régime au XXe siècle : essai sur la guerre industrielle », Histoire, économie et société, 16-1, 1197, pp. 7-43.
Nerzic Jean-Yves, Duguay-Trouin. Armateur malouin, corsaire brestois, préface de Michel Vergé-Franceschi, Milon la Chapelle, éd. H&D, 2012, 576 pp.
Vergé-Franceschi Michel, « Duguay-Trouin (1673-1736). Un corsaire, un officier général, un mythe », Revue historique, n. 598, 1996, pp. 333-353.