
Erwan Evenou est décédé. La génération « algérienne » du mouvement breton politique et culturel, entrée en action dans les années 1950, agent d’un formidable sursaut breton, est durement éprouvée1. Chaque vie qui s’achève nous raconte une partie de cette histoire commune à travers une trajectoire personnelle2 et repose la question de Morvan Lebesque : « Comment peut-on être breton ? ».
Erwan est né à Alger de parents pieds noirs de longue date. Il a seulement un grand-père breton qu’il n’a pas connu. Né en 1940, il vit tout près des massacres de Sétif qui fragmentent une société jusque-là inégalitaire mais multi-culturelle où le « Pied noir » parle un peu les langues de l’indigène (arabe et kabyle), le français ou l’espagnol et réciproquement, loin d’une France qu’il n’imagine qu’avec peine. Les fractures se multiplient avec les violences de la guerre et de la répression.
Organisateur et tribun précoce, militant toujours
A la faveur d’un voyage en Bretagne, Yvon transfère son identité vers la Bretagne, commence à apprendre le breton, écrit dans la page des « jeunes bretons » de la revue Al Liamm, fonde en 1956 une association de jeunes apprentis bretonnants dispersés (KAVY) qui vont correspondre pendant l’année et se retrouver l’été en stage autour d’un aîné, Ronan Huon : Guénolé Le Menn, Yann Ber Piriou, Donatien Laurent, Alan Cochevelou, Mona Mazé et d’autres (photo).
En 1957, bac en poche, Erwan débarque à Paris, en classe préparatoire, fuyant le conflit qui s’amplifie, sort commun à la plupart des Pieds noirs. Il atterrit comme instituteur dans le Morbihan, choisi comme terre d’implantation. Il retourne en Algérie comme appelé et instituteur en 1965. De retour 2 ans après, il comprend mal le « mai 1968 » étudiant qu’il trouve « bourgeois ».
Devant le recul de la langue, abandonnée par les parents d’élèves, Erwan est au premier rang pour la fondation de Galv – Comité d’action pour la langue bretonne – en 1969, cartel progressiste unissant Ar Falz, UDB et JEB étudiante. Tant à la fondation à Brest devant un amphi comble, que lors du rassemblement de Carhaix ou la grande marche des droits linguistiques entre Plouay et Lorient (1971), Erwan Evenou se révèle homme d’action et orateur doué, l’un des meilleurs tribuns de sa génération. Il s’était choisi breton.
Il aide des jeunes autour de l’UDB à s’organiser en mouvement autonome (JPB), avec un journal régulier, Ni. Échec partiel, puisque le mouvement quitte l’UDB et ses adhérents rejoignent pour partie les maoïstes ou l’anarchisme.
Au Faouët où il enseigne l’anglais, et dans les environs, la guerre entre laïcs majoritaires et cléricaux condamne le pays au déclin, ce que dénonce le candidat Evenou aux premières élections législatives avec participation UDB en mars 1973. Il dépasse largement les 3 %, triplant ou quadruplant cette moyenne dans des commune rurales laminées par l’émigration. Il sera plusieurs fois candidat aux élections cantonales.
Mais l’appel du pays natal demeure fort et c’est le retour, cette fois en famille, en Algérie comme enseignant coopérant. Ses enfants bretonnants apprennent aussi l’arabe, ce qui est rare chez les coopérants. Mais la montée de l’islamisme et de la guerre civile met fin à cette tentative, où il découvre une Algérie mal gérée et policière qui dilapide ses atouts et qui n’accepte plus la différence.
De retour au Faouët, Erwan enseigne le breton dans son collège et obtient le Capes de breton en 1986, année de sa mise en place. Il soutient une thèse sur le breton de Lanvénégen et devient inspecteur pédagogique de breton, une situation inconfortable entre le marteau administratif jacobin et l’enclume des faibles moyens dédiés à l’enseignement du breton. Ombrageux, impatient, Erwan n’est sans doute pas fait pour cette fonction complexe où l’inspecteur n’est guère reconnu par ses collègues et ses supérieurs, à la mesure de la non reconnaissance de la langue. Avec deux brefs intermèdes plus favorables correspondant aux passages comme ministre de l’Éducation de François Bayrou, puis de Jacques Lang.
Par ailleurs, Erwan s’est beaucoup investi localement et au niveau breton dans les instances du Gouren. Notre dernière rencontre s’est faite dans le hall du Conseil régional, où il venait défendre l’aide à ce sport breton important et moi à l’histoire de Bretagne. Chez les Bretons, Erwan Evenou demeure très critique sur ses nouveaux compatriotes, quitte à y déceler des attitudes de colonisés qu’il avait déjà repérées chez ses frères algériens.
Il laisse aussi une œuvre littéraire et poétique publiée, en breton et en français. Son œuvre est aussi présente dans l’anthologie bilingue de Yann Ber Piriou, Défense de cracher par terre et de parler breton.
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1 R. Leprohon, YB Duval, YC.Veillard, Y. Donguy, D. Laurent etc.
2 Voir notamment le livre autobiographique Le coq, l’hermine et le croissant, ouestélio, 2012.