Le comité de crise centralisé de l’Espagne, outil contre l’indépendantisme catalan : avantage à l’Espagne, la Catalogne perd des points

Cela fait plusieurs jours de confinement que je voulais mettre noir sur blanc les réflexions que m’inspirent la gestion de la crise en Espagne. En particulier, la manière dont le gouvernement espagnol “traite” la Catalogne.

Qu’est-ce qu’a permis d’éviter la recentralisation de l’Espagne au prétexte de la crise sanitaire ? Peut-être certains dirigeants espagnols sont-ils sincèrement convaincus d’être plus efficaces en concentrant tous les commandements de la police, de la santé et de la sécurité civile entre les mêmes mains et dans un seul comité de gestion de l’épidémie (à Madrid, bien sûr). Mais les intentions sont probablement différentes. Nous pouvons douter de l’efficacité des autorités espagnoles dans de nombreux domaines, mais ne soyons pas naïfs au point de penser que les Espagnols ne sont pas assez intelligents pour savoir prendre les mesures appropriées pour poursuivre la lutte contre le mouvement indépendantiste et le ‘procés’ (processus) catalan, toujours actif (mais en mode ralenti, bien sûr), pour la construction et la reconnaissance d’une république catalane souveraine.

À quels faits les autorités espagnoles se sont-elles heurtés et ont-elles dû subir ces dernières années ? Et je dis “subir” parce que l’Espagne avait perdu la main face à l’initiative indépendantiste. Les faits réels que n’ont pas perdu de vue les gouvernants espagnols sont : au moment des attentats islamistes du mois d’août 2017 sur les Ramblas et à Cambrils, le gouvernement Puigdemont et la police catalane ont agi avec l’efficacité d’un État souverain et résolu avec succès devant le monde entier l’attaque terroriste. Un mois plus tard, en septembre, le Parlement de Catalogne, contre toutes les menaces des tribunaux espagnols, a adopté les lois nécessaires pour franchir le pas et accéder à la pleine souveraineté après une période de transition. Le mois suivant, le 1er octobre, l’échec espagnol était encore plus patent : en direct à la télé et sur les réseaux sociaux du monde entier, chacun a pu voir comment la majorité des Catalans votaient lors du référendum d’autodétermination sous les coups et les violences policières brutales de la Guardia civil et de la police espagnole. Et encore, un mois plus tard, après la proclamation de la République, le président Puigdemont et une partie du gouvernement catalan se sont exilés pour éviter la “décapitation” (les termes sont de la vice-présidente du gouvernement de Rajoy) du mouvement indépendantiste et pour dénoncer avec succès en Europe la répression politique qui s’abattait sur les Catalans. Ceux-là sont les faits auxquels pensent les autorités espagnoles au moment où une crise majeure touche de plein fouet l’ensemble de l’Espagne.

Les autorités espagnoles sont conscientes de l’efficacité de la Generalitat à laquelle elles ont dû restituer pouvoirs et compétences après la suspension temporaire de son autonomie. Laisser la Generalitat dans cette situation de crise extrême représentait un grand danger, probablement le plus important pour la survie du régime espagnol actuel de l’État des autonomies et de la monarchie constitutionnelle de 1978. Et face au danger de laisser les mains libres au gouvernement indépendantiste catalan – et qui éventuellement aurait pu se révéler plus efficace que l’administration espagnole, mais ce n’est pas ici le plus important – le gouvernement de Pedro Sanchez a choisi, très rapidement et sans aucune hésitation, la centralisation autoritaire et sans aucun avertissement ni consultation préalable, et la concentration dans les seules mains du gouvernement central du pouvoir de commander la police catalane, la sécurité civile catalane, les personnels de santé catalans… La question de l’efficacité de la lutte contre l’épidémie n’est pas sa préoccupation principale. Et je ne dis pas cela comme une critique (chacun a fait ce qu’il pouvait partout dans le monde) ; c’est une simple constatation. Et c’est compréhensible. Il serait inutile à l’Espagne d’être plus efficace dans la lutte pour protéger ses citoyens si elle devait perdre une partie aussi importante du territoire que la Catalogne. Et il faut reconnaître que dans ce combat, les Espagnols sont les gagnants. Le gouvernement de la Catalogne est soumis ou réduit au silence ou impuissant. C’est Madrid qui commande et l’Espagne a gagné des points. Elle a évité le pire, dans cette crise majeure : la Catalogne montrant sa capacité à agir comme un État et peut-être même à en profiter pour concrétiser son indépendance. Pouvez-vous imaginer un “confinement territorial” de la Catalogne, un isolement de son territoire uniquement contrôlé et géré par la Generalitat ?! Un confinement régional comme le cas du Tyrol autrichien, par exemple. Un État fédéral comme l’Allemagne n’a rien centralisé, n’a déclaré aucun état d’urgence ou n’a “récupéré” aucun pouvoir des Länder. Et c’est un des pays les plus efficaces d’Europe contre l’épidémie. Bien sûr, à Berlin, on ne craignait pas que la Bavière déclare son indépendance…

> Alà Baylac Ferrer

Contributeur. Maître de conférence à l’Université de Perpignan – Via Domitia (UPVD) en Catalogne du Nord, Alà Baylac Ferrer est spécialiste des langue et culture catalanes. Il est par ailleurs directeur de l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT). [Lire ses articles]