C’est par monts et par vaux que la proposition de loi du député du Morbihan Paul Molac a du passer. Relative à la protection des langues “régionales” et à leur valorisation, le député proposait neuf articles allant de la signalétique, à l’enseignement en passant par la reconnaissance des signes diacritiques (comme le ñ). Le mercredi 5 février elle passait en commission des Affaires culturelles où elle a été vidée de sa substance avec seulement trois articles retenus. Plus rien sur l’enseignement et les signes diacritiques. Son étude en séance publique avait lieu hier soir.
On notera tout d’abord la faible présence des députés bretons, seulement sept (sur trente-sept) : Yannick Kerlogot, Erwan Balanant, Marc Le Fur, Thierry Benoît, Liliana Tanguy, Gilles Lurton et évidemment Paul Molac. Le lobbying des associations et partis politiques bretons ne semblent pas avoir eu l’effet escompté (ou bien certains ont préféré ne pas être présents pour éviter de justifier un vote), les députés LREM bretons ayant resserrés les rangs quelques jours plus tôt par communiqué, argumentant que la loi était mal écrite, qu’elle touchait trop de ministères et saluait en même temps l’annonce de la ministre Nicole Belloubet concernant un futur décret sur les signes diacritiques.
Comment s’est passée la séance ? Peu de monde au départ, une quinzaine de députés. Des débats assez tendus par moment. Le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer représentait le gouvernement et n’a pas caché son agacement d’entrée de jeu face à la proposition de Paul Molac, reprochant sa « critique de la République et de la Révolution française ». Il a également fustigé un « combat d’arrière-garde. Nous n’avons aucun problème avec les langues et cultures régionales. […] La loi telle qu’elle existe aujourd’hui nous donne tous les leviers nécessaires pour développer leur enseignement. » Il est urgent de ne rien faire, la loi est parfaite.
La France Insoumise n’a pas été en reste, par l’intermédiaire du député Bastien Lachaud qui est allé dans le sens du ministre, parlant de menaces chimériques qui pèseraient sur les langues “régionales”. « Si déclin il y a, les causes se situent ailleurs que dans la loi ». Et le député d’aller plus loin encore sur l’objectif de la loi qui ne serait « non pas la protection mais la promotion sans doute excessive de certaines langues régionales ». On se demande bien comment on peut être excessif dans la promotion des langues minorisées et ce que le député a voulu dire. À l’heure où des centaines de millions d’euros sont dépensés dans la promotion de la langue française dans le monde entier, on se demande où se trouve l’excès…
Que reste-t-il de la proposition de loi ? L’article premier a pu être réintégré selon sa rédaction initiale, en réintroduisant la référence au Code du patrimoine de la connaissance et la conservation des langues régionales, afin de donner une traduction concrète dans la loi de l’article 75-1 de la Constitution, et ce malgré un avis défavorable du gouvernement. L’amendement de la majorité visant à supprimer l’article 2 qui permet à la puissance publique d’intervenir pour protéger et conserver sur le territoire national tout bien qui présenterait un intérêt majeur du point de vue linguistique n’a pas non plus été adopté. Des collaborateurs sont partis dans les couloirs à la recherche des députés errants qui pourraient venir voter contre les amendements d’amélioration. Le ministre y allant de sa personne en enchaînant les prises de paroles longues pour gagner du temps. Et de réussir son coup. Les articles suivants concernant l’enseignement ont été rejetés, jusqu’à l’article 8 sécurisant l’usage de la signalétique multilingue qui avait été validé en commission. Et de l’article 9 concernant les signes diacritiques qui a finalement été réintégré (26 pour, 24 contre). Erwan Balanant s’est exprimé juste avant le vote, saluant l’annonce de la ministre Belloubet mais souhaitant voir inscrire dans la loi les signes diacritiques pour plus de sécurité, rejoignant Paul Molac sur l’incertitude du décret. C’est une vraie avancée.
Déception par contre concernant l’inscription de la pédagogie d’enseignement immersive dans la loi : 25 pour – 26 contre. La non-participation au vote du député Kerlogot aurait pu faire pencher la balance du bon côté. Rien non plus de nouveau sur le forfait scolaire pour les écoles bilingues qui aurait pu être systématisé plus facilement. La politique des petits pas continue. La ténacité du député Paul Molac est à saluer. La proposition de loi passera désormais au Sénat avant peut-être une deuxième lecture à l’Assemblée. Le parcours du combattant est loin d’être terminé.