Des tagueurs ou des résidents secondaires, qui sont les plus violents ?

À travers la poursuite « pour dégradation du bien d’autrui, en réunion, d’une personne dissimulant son visage », la question fondamentale du processus de résidentialisation de nos rivages, que le collectif indépendantiste Dispac’h combat depuis plusieurs années, est posée. Si on peut contester la légitimité de ses moyens d’action ; la question qui a été posée lors du procès du 12 février, constitue par contre un sujet sociétal d’importance en notre région, la Bretagne, qui se retrouve posé d’ailleurs en d’autres lieux de France et d’Europe.

Certes, toute atteinte à la propriété privée est répréhensible devant la loi et j’y souscris. Certes, toute liberté de circulation des personnes, inscrite dans notre Constitution, est un droit. Ces deux principes fondamentaux facilitent pourtant un phénomène sociologique et géographique d’importance, problématique, caractéristique de nos sociétés contemporaines développées : celui de la résidence secondaire, contribuant à la résidentialisation de nos rivages. Apparu dans la seconde moitié du XIXème siècle et alors réservé à une élite, il s’est depuis démocratisé au point de devenir ces dernières décennies un fait de société, une aspiration légitime pour nombre de nos concitoyens contraints de vivre et travailler dans des espaces urbains de plus en plus insupportables en termes de conditions de vie (67 % des franciliens rêvent de quitter la capitale pour d’autres lieux de vie ; ce taux atteint 80 % chez les cadres). La spécialisation des fonctions, résultat de l’économie marchande qui nous gouverne, conduit malheureusement à une spécialisation des espaces en fonction des caractéristiques de leurs milieux. Ainsi la montagne et les rivages, empreints d’une forte dimension naturelle dans leur réalité physique, amplifiée par les représentations ambiantes, sont-ils devenus des espaces attractifs où la nostalgie d’une nature idéalisée compense les frustrations générées par un monde urbain devenu de plus en plus insupportable pour nombre de nos concitoyens.

Quand on atteint des taux de résidences secondaires supérieurs à 60 % des logements dans les communes littorales du sud de la Bretagne ou du Pays de Saint-Malo, quand ces taux frisent les 80 % en certains lieux, cette résidentialisation devient un problème social et environnemental insupportable. Par la spéculation foncière et immobilière qu’il génère, il provoque, en plus de la dégradation des paysages et des déséquilibres naturels des milieux, une ségrégation sociale d’une violence inouïe. Les populations autochtones sont chassées de leur lieu ancestral de vie ; leurs activités traditionnelles, souvent primaires et en lien avec les potentialités du milieu, sont perturbées voire disparaissent. Dans un ouvrage publié en 2006 avec un collègue sous le titre Le littoral agressé (1), nous démontrions comment des populations littorales du Morbihan étaient conduites, en l’espace d’une année, à opérer une migration de 20 à 30 km à l’intérieur des terres pour continuer à concilier lieu de travail avec possibilité d’habitat. Non seulement ce phénomène est massif ; il est de plus terrible et brutal. Et encore n’étions-nous qu’au milieu des années 2000. Depuis, il s’est amplifié !

Comment alors ne pas s’étonner des réactions qu’il produit ? Si des inscriptions taguées sur un bâtiment public ou privé paraissent répréhensibles au regard de la Loi, elles semblent bien dérisoires par rapport à violence matérielle et psychologique qu’engendre ce phénomène pour des populations locales déracinées, pour les milieux naturels perturbés (voir la récente crise ostréicole qui souligne à quel point une surpopulation résidentielle ponctuelle affecte le milieu). En d’autres lieux, ces réactions ont été beaucoup plus violentes : dynamitage des villas en Corse, campagne d’incendies des résidences secondaires au Pays de Galles dans les années 1990. Il ne s’agit en rien de cautionner de tels faits ; il faut simplement les comprendre. Et même sous ces actions extrêmes, ils paraissent bien disproportionnés par rapport aux effets d’un phénomène insidieux et d’une autre ampleur, pouvant être ressenti comme une véritable « colonisation » d’un territoire, portion d’espace appropriée et mise en valeur depuis des siècles par une communauté humaine.

Au regard de la violence de cette mutation sociétale, le fait de taguer un mur semble donc bien dérisoire. Est-il si criminel ? Cet acte n’apparait-il pas plutôt que comme un appel à un débat aujourd’hui si absent dans notre société ?

(1) LEBAHY Yves, LE DELEZIR Ronan, Le littoral agressé. Pour une politique volontariste de l’aménagement en Bretagne, Editions Apogée, 2006.

 

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> Yves Lebahy

Yves Lebahy est agrégé de géographie, professeur honoraire du Master professionnel d’aménagement maritime et littoral à l'Université de Bretagne Sud - Lorient. Il a été membre de 1999 à 2016 de la Commission des Sites et Paysages à la Préfecture du Morbihan, ainsi que membre depuis 2007 du Comité de suivi du Schéma de Mise en Valeur de la Mer du Golfe du Morbihan comme personnalité experte désignée par le Préfet.