Si on fait un sondage pour demander aux gens quel lien existe entre Jamal Kassoghi et Hubert Auriol, il y a fort à parier que beaucoup restent dubitatifs. Et pourtant ce lien existe et est tout sauf anodin…
Jamal Kossoghi, journaliste saoudien, est mort assassiné dans des circonstances sordides le 2 octobre 2018 au Consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul, sur l’ordre d’on ne sait qui, mais sûrement quelqu’un de bien placé en Arabie Saoudite. Hubert Auriol, lui, est un ancien vainqueur de ce qui s’appelait alors le « Paris-Dakar » avant de devenir le « Dakar » tout court. Depuis, la célèbre course a émigré en Amérique du Sud car traverser des territoires africains soumis au terrorisme et où les populations avaient des « velléités autonomistes » devenait aléatoire !
Après quelques années dans l’hémisphère sud, le rallye part cette fois en Arabie Saoudite. Il a démarré le 5 janvier. Or, la décision d’organiser la course là-bas n’a pas fait que des heureux. L’Arabie Saoudite n’est pas réputée – il va sans dire – pour son régime ouvert, en particulier pour les femmes. L’ACAT a fait savoir que « parmi les personnes toujours détenues figurent les militantes saoudiennes des droits des femmes Loujain al-Hathloul et Samar Badawi, qui ont plaidé pour le droit des femmes à conduire et pour la fin du système discriminatoire de tutelle masculine en vigueur dans le pays. Al-Hathoul et Badawi, ainsi que Nassima al-Sadah et Nouf Abdulaziz, étaient parmi la dizaine de défenseures des droits des femmes arrêtées dans le cadre d’une campagne de répression menée en 2018 en représailles à leur action pacifique en faveur de la protection et de la promotion des droits des femmes dans le royaume. Certaines femmes ont déclaré avoir été soumises à des décharges électriques, des flagellations, des menaces sexuelles et d’autres formes de torture au cours de leur interrogatoire. Certaines ont également été détenues en isolement prolongé. »
Malgré cela, Hubert Auriol, ex-pilote moto et auto ainsi qu’animateur de télévision déclare mot pour mot au journal de France 3 : « Faut pas vouloir demander à des gens qui participent à une compétition sportive d’être les portes paroles des problèmes des droits de l’homme dans ces pays là, c’est pas notre rôle. » Le journal L’Équipe, lui, nous relate ceci : « Entre les dunes, le désert, les montagnes et le canyon, « le terrain d’expression » est idéal, s’est enthousiasmé David Castera, le nouveau patron du Dakar. » Interrogé par quelques journalistes français, en marge de la présentation, sur la question des droits de l’homme, David Castera « a affirmé avoir saisi une « main tendue » de l’Arabie saoudite. « On s’est posé les questions, mais il y a une vraie volonté d’ouverture », a-t-il plaidé. »
Très ouvert ce pays où l’on décapite les condamnés et où, quand le bourreau part en retraite, on fait passer dans les médias une offre d’emploi pour le remplacer ! Il faut savoir qu’à part la Chine où on n’a aucune statistique sur les centaines voir plus de 1000 d’exécutions annuelles (on sait juste qu’on y exécute d’une balle dans la nuque, et qu’on fait ensuite payer la balle par la famille), le nombre d’exécutions dans le monde est plutôt en régression, même aux États-Unis de Donald Trump. Or, si en 2017 il y en a eu 146 exécutions en Arabie Saoudite, pour 2019, on évalue ce nombre, lui, de 187 à 190, dont un enfant. L’inflation !
Comment peut-on, en tant que sportif, ne pas faire savoir qu’on n’est pas d’accord ? Il faut dire que c’est une longue histoire.
1936, Jeux olympiques de Berlin : les sportifs juifs (américains en particulier) optent pour le boycott. La délégation française, elle, y va, et la polémique naît du fait qu’elle défile devant Hitler en faisant le « salut olympique » qui ressemble à s’y méprendre au « salut nazi ».
1978, Championnat du monde de football en Argentine : depuis 2 ans, le Général Videla et ses proches ont mis l’Argentine sous la coupe d’un régie fasciste. En France, le Parti républicain, le RPR ainsi que le Front National, prônaient une participation sans condition de l’équipe nationale, au nom de « l’apolitisme sportif » cher aux organisateurs du Dakar. Le PS et le PCF proposaient eux une participation conditionnée : il fallait se rendre à Buenos Aires pour « manifester sa solidarité avec le peuple argentin » et témoigner de la réalité politique dans ce pays. Après tergiversations, tous les pays qualifiés y vont, y compris la France de Michel Platini. Johan Cruyff, alors meilleur joueur du monde, avait refusé d’y aller pour diverses raisons sujettes à controverses. Mais ce qui est sûr, c’est que son équipe des Pays-Bas, arrivée en finale en son absence et battue par l’Argentine, avait boycotté la cérémonie finale pour ne pas avoir à serrer la main de Videla ! Alors que dans le « Stade Monumental », les supporters criaient de joie, deux kilomètres plus loin, les prisonniers politiques continuaient de mourir sous la torture du pouvoir, dans les locaux de la trop fameuse Escuela Mecanica de la Armada.
2008, Jeux olympiques de Pékin : on en peut pas dire qu’il y ait eu beaucoup de protestations à la participation des différents états, mais Pékin avait tout fait pour faire croire que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes…
2014, Jeux olympiques d’hiver à Sotchi : ce sont les ONG de défense des droits de l’homme (Amnesty, ACAT, etc.) qui se sont le plus engagées pour faire savoir que tout n’allait pas pour le mieux dans les prisons russes. Il faut se souvenir qu’après le retour des Russes de Tchétchénie en particulier, il fallait bien recaser les soldats des troupes de Poutine : une bonne partie se retrouvèrent dans les forces de l’ordre « musclées », les autres comme gardiens de prisons où ce qu’ils avaient appris comme techniques pour la Tchétchénie put continuer à leur être « utile ».
Hubert Auriol aurait mieux fait de se taire en disant que les sportifs ne sont pas là pour parler des droits de l’Homme…