Alger : procès scandaleux des inculpés pour port du drapeau amazigh

Vendredi 1er novembre à Alger. Crédit: Le Peuple breton

En Algérie, depuis le 22 février se déroulent d’immenses manifestations pacifiques le vendredi (et le mardi pour les étudiants), justifiées au départ contre le 5ème mandat de Bouteflika et, depuis son retrait, pour la construction d’une Algérie libre et démocratique. Dans ce contexte, un procès a eu lieu contre des militants portant le drapeau Amazigh.

Si la mobilisation a faibli pendant l’été, elle a repris à l’automne et le vendredi 1er novembre (le jour de la commémoration du 1er novembre 1954) a vu déferler une marée humaine avec le mot d’ordre « pour une 2ème indépendance, pouvoir civil, non militaire ». La mobilisation a pourtant été totalement ignorée par la télévision aux ordres pour qui le peuple n’existe pas et a ressorti le portrait de… Boumédiene ! Ce mouvement de fond appelé « Hirak » n’a pour le moment pas réussi à renverser le pouvoir en place, « le système ». A sa tête depuis avril, le chef d’État major Ahmed Gaïd Salah s’entête à vouloir organiser des élections présidentielles le 12 décembre (après celles avortées du 16 avril et du 4 juillet) alors qu’elles sont largement rejetées par le peuple qui refuse leur organisation par le système en place, appelé « la bande ». « Ulac l vote ! » crient les manifestants de Tizi Ouzou, de Vgayet ou d’Alger.

C’est dans ce climat que, depuis le 19 juin, 42 militants politiques ont été arrêtés pour leurs écrits, leurs paroles ou le port drapeau amazigh sur injonction du général Gaïd Salah qui a dénoncé « les tentatives d’infiltrations des marches populaires au cours desquelles des drapeaux autres que l’emblème national sont brandis par d’infimes minorités » (cf le PB de juillet). Ces arrestations ont lieu sans aucune disposition pénale, au contraire, puisque depuis 2016 l’identité amazighe, après des décennies de déni et de répression, a été reconnue sur le papier et la langue amazighe déclarée « langue nationale et officielle », le drapeau étant un des vecteurs de cette identité. Il s’agit en fait de tentatives de division et d’intimidation, comme le fait de boucler l’entrée de la capitale tous les jeudis soirs pour empêcher les manifestants, venant principalement de Kabylie, d’atteindre Alger. Ces méthodes n’ont pour le moment pas porté leur fruit, la preuve en est que, chaque vendredi, les manifestants crient «  libérez les détenus d’opinion ».

Alors que des juges à Jijel et Annaba, entre autres, ont conclu à un acquittement, à Alger, le lundi 12 novembre a eu lieu le procès de 42 inculpés (33 détenus et 9 sous contrôle judiciaire) pour port du drapeau amazigh au tribunal de Sidi M’Hamed, procès retardé par la grève socio-professionnelle des magistrats. Le procureur a demandé 2 ans de prison ferme. Au moins 40 avocats ont dénoncé ce procès politique sans fondement juridique « une directive venue des casernes ».

Après 18h de débats harassants le verdict est tombé : 1 an de prison dont 6 mois avec sursis, verdict accueilli dans un hall surchauffé par des cris « pouvoir assassin, Algérie libre et démocratique ». Les magistrats ont obéi aux ordres de Gaïd Salah, qui considère que 10 millions de berbérophones en Algérie, dont le drapeau est l’emblème, ne sont qu’une « infime minorité » et qui, avec leur drapeau, porte atteinte à « l’unité nationale ». Ont-ils conscience de la gravité de ce verdict sur un mouvement qui se veut jusqu’à présent unitaire et pacifique ?

> Nicole Logeais

Nicole est retraité de l'enseignement. Ancienne responsable des affaires internationales de l'UDB, elle est aussi très active dans le monde associatif berbère et plus particulièrement kabyle. Elle a notamment co-fondé l'Association Culturelle des Berbères de Bretagne (ACBB), à Rennes.