Le sondage commandé par Dibab et Breizh Civic Lab a livré des informations nouvelles sur le sentiment d’appartenance à la Bretagne. L’occasion pour Nil Caouissin d’exprimer son point de vue sur la notion d’identité.
Ce sondage me donne l’occasion de répondre à une idée souvent répétée et écrite ces derniers temps par des personnes dont je suis proche par ailleurs : l’excédent démographique breton (le fait que la croissance démographique bretonne soit tirée par l’installation de personnes venues de l’extérieur de la Bretagne) conduirait à un affaiblissement de l’identité bretonne, les nouveaux arrivants ne se sentant pas bretons. Ainsi Rennes et Nantes, par exemple, qui attirent à la fois beaucoup d’habitants de la Bretagne et beaucoup d’habitants venus d’ailleurs, se « débretonniseraient » sous l’effet des mouvements migratoires.
Or, ce sont souvent les mêmes qui critiquent le centralisme français, et la surconcentration de la population active autour de Paris au détriment d’autres territoires (dont la Bretagne). Je trouve qu’il y a un paradoxe à vouloir rééquilibrer la démographie tout en croyant que les gens qui quittent Paris (ou d’autres grandes métropoles françaises) pour s’installer en Bretagne menacent l’identité bretonne. D’ailleurs, dans le cas de Rennes, les nouveaux arrivants sont plus souvent originaires de la région Bretagne que de Paris, aggravant ainsi la fameuse « fracture est-ouest ». Mais c’est un autre problème, revenons à nos moutons et la perte d’identité supposée des territoires bretons accueillant le plus de nouveaux arrivants.
Si l’on accepte cette idée, il en ressort plusieurs attitudes possibles. Si l’on tient à l’identité propre de la Bretagne, la suite logique de la croyance ici critiquée serait de vouloir restreindre les installations en Bretagne, soit par la force, soit par une dissuasion plus douce ; mais dans les deux cas il y a une contradiction complète avec l’objectif de réparer la saignée démographique qu’à connu la Bretagne au XXe siècle, et de rééquilibrer le territoire breton en dégonflant une région parisienne surpeuplée (et dans le premier cas, une forme de violence). On peut aussi considérer qu’il faut forcer les nouveaux arrivants à se sentir bretons en passant par un processus d’assimilation – c’est-à-dire appliquer une méthode que nombre de militants bretons reprochent légitimement à l’État français d’employer. Une autre option est d’accepter les installations en considérant que les « vrais » Bretons deviendraient une minorité en Bretagne, minorité dont il conviendrait de défendre les droits tout en se résignant à une certaine marginalisation. Il faudrait même éviter de parler de « Bretons » pour les habitants de la Bretagne car seule une minorité d’habitants se sentirait concernée. Aucune de ces attitudes ne me plaît et pourtant je n’en vois pas d’autre possible si l’on est d’accord avec l’idée selon laquelle les nouveaux arrivants se sentent moins bretons que les autres.
C’est justement ce postulat que le sondage de Dibab / Breizh Civic Lab met à mal. Nous sommes nombreux à ne pas l’avoir attendu pour nous forger une conviction, mais des données chiffrées établies de manière professionnelle sont toujours bonnes à prendre pour reposer le débat sur des bases rationnelles.
Que nous dit ce sondage de l’identité des habitants de la Bretagne ? Pour commencer que 86 % d’entre eux se sentent bretons, et pour certains très fortement. Pourtant, avec les mouvements de population qu’a connu la Bretagne depuis au moins les années 1960, on est en droit de supposer que bien plus de 14 % des habitants de la Bretagne sont nés ailleurs où ont passé ailleurs une partie de leur vie. Il faut se rendre à l’évidence : le sentiment d’appartenance à la Bretagne est fort et partagé par une bonne partie des personnes qui s’y sont installées durant ces dernières décennies. Ce sondage ne nous donne pas du tout l’image d’une réserve d’indiens peu à peu submergée par de nouveaux arrivants indifférents au territoire dans lequel ils s’installent.
Mieux encore, le découpage par département montre que l’Ille-et-Vilaine détient le record avec 90 % de sentiment d’appartenance à la Bretagne, à égalité avec les Côtes d’Armor, plus que le Morbihan et le Finistère ! Rennes attire pourtant beaucoup plus de nouveaux arrivants extérieurs à la Bretagne que Brest ou Quimper. On y voit un indice supplémentaire en faveur d’une intégration assez rapide de beaucoup de nouveaux arrivants à ce que j’appelle simplement « le peuple breton », et que d’autres préfèrent appeler « une région à forte identité ». Le fait que la Loire-Atlantique présente un résultat en dessous de la moyenne (59 %) s’explique selon moi plutôt par la coupure administrative et par la propagande qui en résulte depuis des décennies. Une certaine confusion peut effectivement exister pour de nouveaux arrivants qui ne savent pas bien s’ils s’installent en Bretagne ou non. Au-delà de ce cas particulier, aucun signe ne montre un affaiblissement du sentiment d’appartenance à la Bretagne attribuable à l’immigration.
Comment expliquer cette intégration rapide des nouveaux arrivants au peuple breton ? On peut faire deux hypothèses, qui d’ailleurs ne sont pas contradictoires :
– parmi les nouveaux arrivants, beaucoup se sentaient déjà bretons avant leur arrivée en Bretagne. Cela peut s’expliquer par l’histoire de l’émigration relativement récente de notre pays (et d’ailleurs pas terminée pour une partie de la jeunesse). Des émigrés ou descendants d’émigrés choisissent parfois de se (ré)installer en Bretagne, c’est un fait connu de tous.
– l’identité bretonne est suffisamment forte, ouverte et diverse pour que de complets étrangers au pays puissent facilement s’y attacher et s’y reconnaître s’ils le souhaitent.
Cela ne signifie pas que les mobilités résidentielles d’aujourd’hui sont forcément positives ou qu’aucune menace ne plane sur la cohésion de la Bretagne. Il y a de bonnes raisons de s’inquiéter des dynamiques territoriales à l’œuvre, de leur conséquences sociales et environnementales. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet dans d’autres articles. Les perspectives sont également extrêmement inquiétantes pour la langue bretonne. Mais je crois que ceux qui s’inquiètent d’une dilution du sentiment breton font fausse route, et que les problèmes sont ailleurs.