Jordi Cuixart, prisonnier politique : « Nous le referons encore et encore »

Jordi Cuixart
Le mercredi 12 juin, à l’issue de 17 semaines de procédure, le 52ème jour, les avocats de la défense ont plaidé en faveur de l’acquittement de leurs clients, les 12 indépendantistes accusés de rébellion, de sédition et de détournement de fonds et pour lesquels la justice et le gouvernement espagnol demandent jusqu’à 25 ans de prison. 9 d’entre eux sont emprisonnés depuis plus d’un an et demi au motif – irrégulier et illégal selon de nombreux juristes – qu’ils pourraient fuir et surtout récidiver, « car ils n’ont pas renoncé à leurs opinions et à leur objectif indépendantiste ».

Les dernières sessions du procès ont été fortement médiatisées et couvertes en direct par les médiats catalans, Canal 3/24 la TV d’information continue et les radios publiques Catalunya Informació et Catalunya Ràdio.

Rien de nouveau en conclusion du procès clôt par le juge Manuel Marchena d’un « Vist per sentència » (mis en délibéré) très sec. Simplement une synthèse qui a mis en évidence les caractéristiques de ce procès historique, exceptionnel : les avocats de la défense ont ridiculisé les charges inventées par les accusations (procureurs, État et extrême droite), ont souligné les irrégularités grossières et constantes du procès, les accusés ont réaffirmé leur innocence tout en défendant l’exercice des droits fondamentaux, la liberté et la légitimité de l’autodétermination du peuple catalan pour arriver à la république. Ils ont provoqué des larmes dans la salle quand plusieurs d’entre eux ont mentionné leurs enfants et leurs proches que les juges les empêchent de voir grandir.

Le verdict, entre juillet et octobre

Une fois le procès terminé, le verdict sera prononcé dans les semaines ou les mois à venir. Les avis sont variés. En juillet, cela serait rapide et permettrait de fermer une plaie douloureuse trop rapide pour certains, car cela laisserait penser que la décision est peu sérieuse et était écrite depuis le début du procès. Vers le mois d’octobre, cela donnerait l’impression d’une réflexion plus sérieuse mais cela laisse en suspens une question qui empoisonne la politique espagnole et l’automne est un moment plus propice aux grandes mobilisations (la société catalane et le monde politique catalan attendent la sentence pour répondre par une réaction immédiate et forte).

Avocats brillants et cours de Droit

La presse catalane et le monde juridique sont unanimes : les avocats ont été brillants, leurs plaidoiries ont été une véritable leçon de droit dans un procès bien peu respectueux du droit et de la vérité. Les analystes parlent des prisonniers catalans comme « de héros, d’otages victimes d’un châtiment pour l’exemple visant à effrayer et à soumettre la Catalogne et les plus de deux millions d’indépendantistes, tout en liquidant toute une génération de dirigeants politiques ». Mais si la seule proposition de l’Espagne pour la Catalogne est « de menacer et de punir, ce sera une peur passagère », soulignent les politologues, faisant écho aux paroles de Jordi Cuixart à la fin des débats : « Nous le referons encore et encore ».

Mardi 11 juin, avant le dernier jour du procès contre les indépendantistes, les plaidoiries de la défense ont commencé. Des discours détonants à l’opposé des réquisitions. De véritables démonstrations juridiques fondées sur des faits, des références jurisprudentielles et une dénonciation ironique, furieuse, ferme et énergique des mensonges, des irrégularités flagrantes des accusations et des violations flagrantes des droits fondamentaux des citoyens, que représente ce procès et la répression politique actuelle contre des milliers de Catalans. Accusations sans aucune preuve, faux témoignages et mensonges, faits et événements inventés. Une « violence insurrectionnelle » qui consiste à lancer une chaise en plastique contre la police. Les journalistes ont parlé de véritable « KO » de l’accusation, réduite à néant en raison du manque de rigueur et des mensonges, tous contredits par des arguments juridiques précis et convaincants. Les avocats ont mis en évidence un procès de persécution des dissidents politiques : « la défense de l’unité de l’Espagne ne peut faire fi des droits fondamentaux », a conclu Marina Roig, avocate de la défense.

Le procès est clos et la répression continue

Le procès historique est terminé et les sept juges doivent maintenant délibérer. Il s’est achevé comme il s’est déroulé, de manière lamentable et honteuse, avec des accusations qui s’endormaient littéralement pendant les plaidoiries de la défense, alors que la douleur, l’angoisse, mais aussi la dignité, l’engagement et la la fermeté des accusés étaient palpables dans le tribunal et partagés par les 2,3 millions d’électeurs du référendum, et par la société catalane.

Les commentateurs soulèvent interrogations et inconnues : les Catalans auront-ils la capacité de réagir à la position inflexible de l’Espagne et à la seule réponse apportées consistant en représailles et union sacrée des forces politiques de gauche jusqu’à l’extrême droite en défense de l’unité de la patrie ? Et l’Espagne sera-t-elle capable de réagir démocratiquement ou laissera-t-elle ses institutions se dégrader et glisser vers un gouvernement des juges – de tradition franquiste (le tribunal présente toujours Franco comme le chef de l’État de l’Espagne depuis le début de son coup d’État contre la République en 1936). Ou les pouvoirs législatif et exécutif pourront-ils et voudront-ils reprendre le contrôle de la situation ?

Le professeur (espagnol) de sciences politiques de Ramon Cotarelo a conclu que le juge dispose désormais d’une seule solution, selon les éléments de preuve produits au cours du procès : un verdict d’acquittement assorti d’une indemnité pour les dommages subis pendant presque deux ans de détention préventive et l’ouverture d’une enquête sur les irrégularités et les délits commis par l’instruction elle-même dans une « parodie de procès ».

L’État et la justice pour le moment poursuivent leur ligne de répression politique : les élus européens Comín, Puigdemont (en Belgique) et Oriol Junqueras sont privés de leur rôle de député. Joaquim Forn, élu au conseil municipal de Barcelone, était accompagné de la police lors de la séance de constitution de la nouvelle assemblée, mais est immédiatement retourné en prison où il est maintenu en détention « préventive » même à l’issue du procès. Jeudi 6 juin, la porte-parole du gouvernement socialiste a déclaré après que les représentants du gouvernement de Sanchez aient déclaré ne pas avoir l’intention de s’entretenir avec le président de la Catalogne, que les relations avec la Generalitat seraient rétablies lorsqu’ils le jugeraient opportun, confirmant ainsi la position de refus catégorique du dialogue avec les indépendantistes sur la crise institutionnelle.

Dès la fin du procès du Tribunal suprême, les déclarations des hauts fonctionnaires de la Generalitat, poursuivies devant la Haute Cour de justice de Catalogne (TSJC), ont déjà lieu. Le jeudi 7 juin, Josep Maria Jové, l’ancien numéro deux d’Oriol Junqueras, a été accusé de désobéissance, de détournement de fonds, de révélation de secrets. Il a refusé de répondre au procureur et réfuté les accusations qui lui sont imputées. Lors de sa comparution devant le TSJC, des dizaines de personnes lui ont apporté leur soutien devant le tribunal, parmi lesquelles le vice-président du gouvernement de Catalogne, Pere Aragonès, le président du Parlement de Catalogne, Roger Torrent, et le vainqueur des élections municipales de Barcelone, Ernest Maragall. La Cour des comptes de son côté entame une nouvelle procédure contre les prisonniers politiques pour exiger le paiement des millions que les indépendantistes sont accusés d’avoir dépensé pour le référendum.

> Alà Baylac Ferrer

Contributeur. Maître de conférence à l’Université de Perpignan – Via Domitia (UPVD) en Catalogne du Nord, Alà Baylac Ferrer est spécialiste des langue et culture catalanes. Il est par ailleurs directeur de l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT). [Lire ses articles]