Alors que la présidentielle est présentée en France comme la mère de toutes les batailles politiques, nombre de questions sont aujourd’hui bien trop locales ou bien trop globales pour être résolues à l’échelon d’un État, fût-t-il la sixième puissance économique mondiale ! Défense des droits fondamentaux, changement climatique, lutte contre les paradis fiscaux, régulation de la mondialisation, mise en place d’un autre modèle économique, relocalisation de l’économie, défense de la diversité culturelle et linguistique… autant de sujets qui nécessitent une action au niveau européen ! Et si les européennes étaient la vraie mère de toutes les batailles ?
Depuis 1979 et le scrutin européen au suffrage universel direct, jamais des élections européennes n’avaient eu lieu dans un tel contexte politique : effondrement des partis traditionnels (sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates) et poussée des eurosceptiques (de droite comme de gauche) aux quatre coins de l’Europe voire du monde, Brexit et retour en arrière jacobin vers les vieux États-nations dépassés et du passé, crise écologique, crise du système économique dans son ensemble, accroissement des écarts de richesses et continent européen aux ressources naturelles épuisées…
De plus, depuis 1979, jamais les élections européennes n’avaient revêtu pareille importance politique ! Alternative au capitalisme et besoin de réponses au dérèglement climatique, alternative aux centralismes et besoin de fédéralisme, alternative à l’autoritarisme et besoin de démocratie…
Pourtant, depuis 1979, jamais les élections européennes n’ont si peu passionné les Européens : la participation est en chute libre (62 % en 1979, 50 % en 1994, 43 % en 2009 et en 2014…) et aucun signe tangible d’amélioration n’est à venir en 2019 ! Pire, en France, alors que la dernière présidentielle s’est jouée principalement sur le terrain européen, que le président Macron en a fait son marqueur politique et que son principal opposant (le Rassemblement national) son bouc émissaire, rien ne semble rendre le sujet passionnant, et pourtant l’alternative existe…
En France, mais aussi dans d’autres États membres de l’Union européenne, on aime bien blâmer l’Europe quand les choses vont mal. Mais c’est qui, l’Europe ? C’est nous !
Souvent à juste titre, on critique l’Europe d’être technocratique, lointaine, compliquée, d’être un nid à lobbies ! Oui, oui, oui et encore oui ! Mais le gouvernement français n’est-il pas sous la coupe des technocrates issus des rangs de l’ENA, n’est-il pas à des années-lumière des réalités des territoires ? Le mille-feuille institutionnel français couplé au mille-feuille administratif européen ne rend-il pas toute décision lente et compliquée ? Enfin, Paris n’est-il pas sous l’influence des lobbies, notamment de la finance et du « big business » ? Bref, Bruxelles, ce n’est pas mieux, mais ce n’est pas pire que Paris, c’est juste qu’on ne s’intéresse pas à ce qu’il s’y passe et qu’on parle trop peu – et souvent trop mal – d’Europe !
Enfin, doit-on rappeler que les décisions ne sont pas prises par des commissaires non élus (par ailleurs, les ministres français ne sont pas élus et la Commission est responsable devant le Parlement européen comme le gouvernement français l’est devant le palais Bourbon) ? Ces décisions sont votées par des députés élus au suffrage universel direct (donc par nous) et par des ministres (donc responsables devant leurs parlements respectifs, eux-mêmes élus au suffrage universel direct, donc par nous) ?
Donc, oui, l’Europe est critiquable, mais l’Europe, c’est nous, ou plutôt ce qu’on en fait. Donc, si on est en désaccord avec elle, il faut l’exprimer et surtout défendre une alternative constructive et démocratique.
Tous les jours, des décisions politiques ayant un impact direct sur nos vies sont prises à Bruxelles. Pour cela, il suffit de prendre trois exemples très simples. Le premier : le Brexit. Les Britanniques ont décidé démocratiquement de quitter l’Union européenne mais ne sont pas capables de dire ce qu’ils veulent. Mais en attendant, leur départ aura un impact majeur, notamment sur la pêche et les ports européens, britanniques mais aussi bretons ! Qui portera la voix de la Bretagne à Bruxelles quand le Brexit arrivera, s’il arrive un jour ?
Deuxième exemple : les débats sur le budget européen 2021-2027 ont lieu actuellement à Bruxelles et on parle ici de près de 1 300 milliards d’euros sur sept ans ! Or, après les élections régionales de 2021, les majorités régionales élues (2021-2027) devront respecter les règles européennes (politique régionale, politique agricole, politique de la pêche, politique de la recherche…) pour sept ans ! Autrement dit, une grande partie des marges de manœuvre au niveau régional en 2021 se joue aujourd’hui au niveau européen ! Qui portera la voix de nos territoires délaissés par Paris ?
Dernier exemple, car il serait temps de reconnaître l’évidence : les vieux États-nations, fussent-ils la France ou même l’Allemagne, sont devenus trop petits pour lutter contre des phénomènes mondiaux comme l’évasion fiscale, les paradis fiscaux, le dérèglement climatique… Or, l’Europe peut agir – même si c’est de façon partielle – dans ces domaines, faut-il encore avoir une majorité qui y soit favorable ! Qui portera la voix d’une justice fiscale et environnementale à Bruxelles ?
Alors, pour défendre nos droits, nos libertés et nos territoires, le 26 mai, votons ! Pour défendre la promesse de l’Europe, « notre maison commune », le 26 mai, votons ! Pour défendre un avenir commun sur cette Terre, le 26 mai, votons !
« L’Europe est une affaire trop grave pour la confier à des eurocrates » et une promesse trop belle pour être abandonnée aux défenseurs du statu quo néolibéral ou aux avocats d’un retour en arrière jacobin ! Alors, réenchantons le rêve européen, réapproprions-nous l’idée du fédéralisme européen, réinventons le projet européen en dépassant cette Europe des États qui a failli afin de construire une Europe des peuples et des régions solidaires !
Article paru dans le numéro de mai 2019 du Peuple breton. S’abonner.