
Depuis quelques années, la ville de Carhaix rend hommage, sous forme de statues, à des Bretonnes et Bretons célèbres comme les Sœurs Goadec, Anatole Le Braz ou plus récemment 4 champions cyclistes dont Le Peuple breton a parlé en 2018 (la prochaine statue sera Angela Duval). En ce 19 mars 2019, commémoration de l’armistice signé à la fin de la Guerre d’Algérie, c’est à l’Histoire que la ville a rendu hommage avec l’inauguration de la statue du Général de Bollardière. Le Peuple breton y ajoute son épouse Simone.
Et justement, Simone aurait voulu être présente. Mais à 97 ans, elle n’a pas pu faire le déplacement. La cérémonie s’est en revanche déroulée en présence des 3 filles du couple, dont Armelle Bothorel, maire de La Méogon (22). Celle-ci a lu devant ses sœurs Soisik et Marion un très beau témoignage sur la vie de leur père, ou plutôt de leurs parents qui ont toute leur vie œuvré dans le même sens.
Dans son discours, elle nous disait ceci : « Cet hommage nous le partageons avec tous ceux qui ont combattu aux côtés de mon père, dans les sombres heures de notre pays, avec toutes les personnes sur les deux rives de la Méditerranée pour lesquelles l’engagement de mon père a été une lumière d’espérance, avec tous ceux qui, avec lui, ont ouvert les voies d’une résolution non-violente des conflits, avec tous ceux qui œuvrent pour que la Bretagne soit belle, vivante, libre, solidaire et dynamique et à laquelle mon père était si attaché. »
Jacques Pâris de Bollardière était né en 1907 à Chateaubriand, alors en Loire-Inférieure, donc en Bretagne comme il l’affirmait lui-même avec force. Il fit ses études au collège de Redon puis au Prytanée militaire de La Flèche avant d’intégrer St Cyr. Déjà très indépendant d’esprit, il écopa de nombreux jours d’arrêt de rigueur et en sorti sergent au lieu de sous-lieutenant. Ce qui ne l’empêchera pas en 1956 de devenir le plus jeune général de l’armée française ! Militaire de carrière, il participa activement à la 2ème Guerre mondiale, rejoignant Londres dès le 17 juin 1940, ce qui lui valu d’être condamné à mort par Vichy ! Brillant combattant, Compagnon de la Libération, il termina la guerre avec de nombreuses décorations. Il épousa Simone fin 1945 avant de partir en 1946 en Indochine. Il y fit deux séjours, en 1945-48 et en 1950-53, et pu constater déjà le début de l’emploi de la torture par certains militaires. Il acquit là-bas la conviction qu’une armée n’est pas faite pour combattre un peuple, conviction qui ne fera que grandir en Algérie.
Redonnons la parole à sa fille Armelle : « Qu’un brillant officier Général, l’un des soldats le plus décorés de la France Libre, dénonce la torture pratiquée en Algérie par l’Armée Française au nom de la France, provoque un choc dans l’opinion. Deux conceptions d’une guerre qui ne dit pas son nom s’affrontent. Le Général Jacques Pâris de Bollardière refuse de subordonner l’action pacificatrice au préalable policier selon la méthode utilisée lors de la Bataille d’Alger. Pourtant, le travail de pacification qu’il a engagé avec les commandos noirs du Lieutenant Jean-Jacques Servan-Schreiber, et du Colonel Roger Barberot, renoue les liens de confiance avec les habitants, générant une baisse considérable des attentats. (…) L’Algérie sera la pierre de touche sur laquelle se brisera sa vie de soldat. Le putsch militaire d’Alger (1961) le détermine à quitter une armée dont une partie de ses cadres se dresse contre le Pays. »
Dès 1957, il avait rencontré le général Massu pour s’opposer à la torture justifiée par son interlocuteur. Il avait reçu l’ordre de fouiller les mosquées, il avait refusé d’obéir. En 1977, il avouait : « Ce jour-là, j’ai été obligé de rompre avec l’armée pour me préserver moi-même, pour ne pas me détruire. »
Ayant quitté l’armée, il ne resta pas bien sûr inactif, s’engageant dans l’opposition au nucléaire, ou prenant position contre l’occupation militaire du camp du Larzac. Il prit aussi position contre Plogoff. Avant cela, il avait pris part à ce que l’on peut appeler une « expédition » : en 1973, un vieux voilier danois, le « Fri », était parti de Nouvelle-Zélande pour la zone de Mururoa, cela afin d’essayer, par sa présence sur zone, d’empêcher la France de procéder à de nouveau essais nucléaires. En cours de route, Jacques de Bollardière et d’autres personnalités lui avait apporté leur soutien. Mais la présence de ces personnalités n’empêcha pas la Marine française de les arraisonner et la France continua ses essais !
Armelle Bothorel rajoute à propos de son père un témoignage : « Il est appelé à témoigner au procès de onze autonomistes bretons devant la cour de sûreté de l’État, en 1972. Sans partager le choix de la violence du FLB, il n’en défend pas moins le combat pour une réappropriation de son destin collectif par le peuple breton. Il est bien difficile d’être exhaustive sur un parcours de vie si dense, aussi, pour conclure, je citerai encore la mobilisation du « Nann Trugarez » contre l’implantation d’une centrale nucléaire à Plogoff, sa présidence d’honneur au comité de soutien à Diwan, sa participation à la belle aventure d’« Eaux et Rivière » ou encore la sauvegarde de la desserte ferroviaire de Quimperlé, en soutien à son épouse qui pendant pas loin de vingt ans, fut la présidente du comité de défense. »
Il est impossible de se pencher sur la vie de Jacques de Bollardière sans y associer son épouse Simone, qui l’a soutenu toute sa vie, en particulier dans les moments où il était mis sinon au ban de la société du moins au ban de l’armée. Après son décès en 1986, elle a non seulement continué à entretenir le souvenir de ses actions, mais elle a surtout continué à agir.
Au début des années 2000, elle signa l’appel des Douze, appelant l’État à condamner la torture pratiquée par la France en Algérie. Simone de Bollardière n’a pas hésité à témoigner lors du procès du général Paul Aussaresses. Elle a par ailleurs encouragé dès sa création, l’association des anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre (4ACG) dont elle est la présidente d’honneur. De tous les combats, elle a continué de militer bien après le décès de son époux en 1986 et jusqu’à aujourd’hui.
Jacques de Bollardière, dans le dernier paragraphe de son livre « Bataille d’Alger, bataille de l’Homme », écrivait : « Ma vie prend tout son sens d’un coup à l’idée que l’un d’entre vous peut-être aura besoin de mon témoignage, que cela l’aidera à vivre, que nous serons devenus quelque chose de plus, davantage homme, ensemble. » Il est certain qu’avec des personnes Comme Simone et Jacques de la Bollardière, la société grandit.