Aujourd’hui, lundi 18 mars, c’était la « journée mondiale du recyclage ». À chaque jour son combat comme dans ces petits almanachs illustrés que l’on offre, on passe de fêtes commerciales en causes nationales. Mais en matière d’écologie, on peut compter sur le capitalisme pour freiner des quatre fers…
Le recyclage est désormais ancré dans nos habitudes quotidiennes. Certes, il y aurait encore beaucoup à faire, mais les débats sur nos innombrables poubelles dans les communes nous prouve en eux-mêmes à quel point le tri de nos déchets a pris une place prépondérante dans nos sociétés. Et pour cause : on estime la production mondiale de déchets dans le monde entre 3 et 4 milliards de tonnes par an. Autant de plastique brûlé, enterré ou émietté dans les océans.
Que plusieurs décennies après les premières alertes environnementales, on en soit encore à vanter le recyclage a de quoi inquiéter car le recyclage n’est en réalité que la toute première étape d’un modèle vertueux. Pire, le recyclage ne remet en cause absolument aucun fondement du capitalisme. Le productivisme peut tout à fait continuer avec cette pratique. Et voilà comment le consumérisme endort l’esprit critique.
Recycler consiste à remettre dans le circuit économique des objets qui ont servi une fois. Les bouteilles d’eau en plastique, par exemple, sont collectées puis triées et détruites. Le matériau plastique ainsi récupéré est conditionné sous forme de balles et sert à isoler des maisons ou à fabriquer des granules qui servent à refabriquer des objets plastiques. De même, le verre qui part en benne est pilé et sert à refaire des contenants en verre. Il est aussi utilisé pour l’enrobé des routes. Autant dire qu’avec le recyclage, on est encore loin d’assurer un ralentissement du réchauffement climatique. Il s’agit surtout pour les industriels de créer une bonne conscience chez le consommateur comme l’avait bien expliqué le documentaire de Cash Investigation sur le plastique. Je trie donc je suis un bon citoyen !
Culpabiliser les individus en leur mettant sur le dos la responsabilité de la pollution permet d’occulter les véritables responsables : les industriels et ceux qui les couvrent. En effet, les solutions techniques existent pour passer d’une logique de recyclage à une logique de réutilisation (via les consignes par exemple), voire de réduction des déchets. Après avoir commandé une étude sur le sujet, l’entreprise Coat Albret, à Bédée, par exemple, a cessé d’acheter des bouteilles neuves et a commencé à collecter les bouteilles en verre qu’elle vendait. Une simple consigne et le consommateur garde ses déchets le temps de récupérer sa mise. Résultat : plus de rentabilité pour l’entreprise et un bilan écologique nettement supérieur. Un enjeu politique et écologique en Bretagne pourrait être par exemple de « normaliser » les bouteilles de cidre afin de faciliter la collecte et le lavage. Simple exemple ! Mais évidemment, réutiliser du verre n’est pas pour plaire aux géants du secteur comme Saint-Gobain. Pourtant, si la Belgique en est toujours capable, il n’y a pas de raison qu’ailleurs, ça soit impossible…
Depuis plusieurs décennies, les discours politiques (néo-libéraux) ont consisté à dire en substance que les citoyens devaient « faire des efforts ». Car selon eux, de même que si les pauvres sont pauvres, ils doivent s’en prendre à eux-mêmes, la Terre est polluée car il y a une « demande » de consommation. À aucun moment, on ne remet en cause cette idée martelée que « la demande créée l’offre ». Or, dans une société du marketing, c’est bien l’offre qui conditionne la demande. À force de dire aux gens qu’il faut manger ceci, porter cela ou consommer tel produit, on finit par les conditionner. Loin d’être un besoin, la consommation est avant tout, dans les pays industrialisés, un immense marché conditionné.
Ceci explique le sentiment d’impuissance face aux enjeux climatiques. La population réfléchit en additionnant les actions individuelles et boude l’action collective, politique. Or, cette action politique est, à peu près partout dans le monde, aux mains des néo-libéraux… dont l’objectif est justement de laisser faire le marché. Si bien que, comme l’explique le philosophe slovène Slavoj Zizek, « nous préférons nous lancer dans une frénésie d’activités, recycler nos papiers usagés, manger bio, nous donner l’illusion de faire quelque chose, apporter notre contribution, comme un supporter de foot bien calé dans son fauteuil, devant un écran de télé, qui croit que ses vociférations influenceront l’issue du matché » (source). Le philosophe poursuit : « Les enjeux idéologiques d’une telle individualisation sont évidents : tout occupé à faire mon examen de conscience personnel, j’en oublie de me poser des questions bien plus pertinentes sur notre civilisation industrielle dans son ensemble ». Un aveuglement collectif bien pratique qui permet de continuer tout en étant persuadés d’être de bonnes personnes.
L’engagement doit d’abord être un investissement intellectuel : comprendre les mécanismes qui détruisent la planète et les déconstruire mène à remettre en cause en bloc le système capitaliste. Si les consommateurs acceptaient ce petit effort citoyen, peut-être pourrions-nous rapidement passer d’une « journée mondiale du recyclage » à une « journée mondiale de la réutilisation » ou mieux à une « journée mondiale de la réduction de la consommation et donc des déchets » ?
Ce dont notre système économique a besoin, c’est de troquer une logique de compétition à une logique de coopération et de solidarité. Cela suppose une action collective.