Les 14 et 15 mars dernier se tenait un colloque à Rennes 2 sur la littérature en langue minorisée. Une table-ronde a clos la première journée autour d’acteurs du livre en Bretagne et au pays Basque. Parmi les questions soulevées par cette table-ronde, celle de la critique littéraire en breton.
Selon Marie-Cécile Grimault de l’EPCC Livre et Lecture en Bretagne, « l’étude socio-linguistique de la Région Bretagne [voir Peuple breton de novembre 2018] recense 207000 possibles locuteurs. Mais 12 % seulement déclarent lire en breton ce qui équivaut à des tirages faibles et des frais de production importants. » Pourtant, contrairement aux idées reçues, la production littéraire en breton est plutôt importante au regard du nombre de lecteurs. Cependant, pour qu’il y ait des auteurs, il faut aussi qu’il y ait des lecteurs ! C’est là qu’interviennent les critiques littéraires.
La question intéresse doublement Le Peuple breton car le magazine recense la production littéraire en breton dans une chronique appelée « Du ha Gwenn, plas da lenn » tenue depuis plusieurs décennies par Hervé Lannuzel. Notre critique recense absolument tout ce qui sort… et lit tous les livres, lui ! Récemment, nous avons reçu un courrier des lecteurs nous reprochant que ces critiques étaient souvent dures notamment en ce qui concerne la critique du niveau de langue. Ceci pose donc la question de la façon dont on doit critiquer un livre en breton.
Pour commencer, Alan Botrel, critique pour Al Lanv, traducteur et auteur lui-même, a rappelé qu’il ne chroniquait que ce qu’il recevait. « Je perds souvent mon temps – et j’insiste sur le mot « perdre » – à lire des choses que je n’aurais pas lu en français. Donc, ce livre, c’est ma seule rémunération », a débuté, provocateur, l’enseignant de Rennes 2. « Je pense qu’en breton, on ne dispose pas des mêmes outils qu’en français pour les critiques. On n’ose pas utiliser du vocabulaire précis de peur d’effrayer le lecteur ». Malo Bouëssel du Bourg, critique pour Al Liamm, estime pour sa part que « dans une langue dans une telle situation de faiblesse comme le breton, la majorité des lecteurs sont des apprenants. Dès lors, la critique a deux missions : présenter ce qui se fait de façon large et toujours trouver quelque chose d’intéressant… ce que je ne ferais pas en français ! »
On voit nettement dans ces deux interventions que le critique se censure lui-même car il ne veut pas dissuader l’auteur d’écrire. Néanmoins, tout le monde s’accorde à dire qu’il y a un vrai problème de niveau linguistique. Pour Alan Botrel, « sur 10 livres qui paraissent, il y en a sûrement 9 que je ne peux pas recommander à mes étudiants en raison des fautes ». L’auteur et enseignant Ur Apalategui explique qu’« au Pays basque, aucune critique ne s’amuserait à parler du niveau de langue. On a dépassé cela. Je me souviens d’un livre sur un thème dur, le suicide, qui avait bouleversé les lecteurs. Une critique n’avait parlé que du niveau de langue utilisée sans parler du fond de l’ouvrage. Ça en devenait ridicule ! »
Pour Malo Bouëssel du Bourg, « il y a effectivement un problème de niveau général. Sans parler du style, il y a un manque de richesse. En français, dans une critique, on ne parlerait pas autant du niveau de langue. On n’en est pas à créer des courants littéraires ! Il y a donc un décalage énorme avec le reste du monde. Mais il faut l’assumer : l’enjeu pour nous, c’est la maîtrise de la langue. Mais il y a aussi un problème de lecture. Certains adolescents ne liront pas forcément Harry Potter en breton car leur niveau ne leur permettront que de lire des contes pour enfants. Quand ils deviennent adultes et que leur niveau leur permettrait de lire Harry Potter, ce n’est peut-être pas ce qu’ils voudraient lire. »
Et puis, il y a les démarches différentes, comme celle de Gwenvred Latimier, autrice du blog en langue bretonne Soubenn ar geek : « Je choisis ce que je publie, mais mon but n’est pas spécifiquement la critique. Mon blog souhaite mettre en valeur en breton la culture populaire. Je préfère qu’on lise mes critiques en breton sur de la BD américaine ou un roman japonais, plutôt que de parler des livres en breton spécifiquement. » Une autre démarche donc : celle de parler en breton de toute sorte de production.
Bref, recenser un ouvrage n’est pas une chose si évidente, notamment quand on est militant. Pour les uns, il s’agit de valoriser l’édition en langue minorisée. Pour les autres, le breton étant une langue comme les autres, la critique doit être juste. Pour mettre tout le monde d’accord et concentrer les critiques sur le fond et non la forme, il suffirait pourtant d’un recours plus fréquent aux correcteurs professionnels (dont le coût n’est pas si exorbitant) pour améliorer le travail de l’auteur. Mais une autre question se pose : puisque le niveau est faible, qui fera le travail de correction dans les prochaines décennies ? Ceux dont le niveau linguistique permet la critique devront bien former et transmettre…
Un autre article sur cette table-ronde sera publié dans le numéro d’avril 2019 du Peuple breton.