Catalogne. Jordi Sànchez réfute les arguments de violence

Jordi Sànchez
Lors de la 6ème journée d’interrogatoire des accusés indépendantistes, le président de l’association Assemblea Nacional Catalana, Jordi Sànchez, durant 6 heures d’interrogatoire, a expliqué, démontré et répété question après question, devant le Tribunal Suprême que la violence reprochée aux indépendantistes pour justifier les inculpations de rébellion et sédition sont de pures inventions du parquet et de l’accusation.

Documents à l’appui (vidéos, courriers…), le leader de la société civile a démenti absolument tous les points qui lui sont reprochés et que le procureur et les avocats de l’État ont essayé en vain de présenter à la cour. Les manifestations spontanées et pacifiques du 20 septembre 2017 au cours desquelles plusieurs dizaines de milliers de personnes ont protesté devant le ministère catalan de l’Économie en cours de fouille par la police judiciaire espagnole n’ont à aucun moment été violentes. À aucun moment non plus, les dirigeants associatifs Sànchez et Cuixart n’ont incité les manifestants à une quelconque violence. Au contraire, Sànchez a détaillé et bien mis en évidence toutes leurs interventions destinées à appeler à la dissolution de la manifestation, à insister sur le calme et le pacifisme indispensable à la protestation. Le président a donné toutes les précisions sur le dialogue et les discussions sereines que, tout au long de la journée, il a conduite avec les officiers de police à l’intérieur du ministère et à l’extérieur. Le parquet a bien essayé de prétexter les deux véhicules de la Guardia Civil (laissés ouverts et sans surveillance avec des armes à l’intérieur…) devant le bâtiment et qui ont été pris pour cible (pneus crevés, vitres brisées et recouverts d’autocollants) pour « prouver » la violence. Mais curieusement aucune image n’a pu être produite de ces détériorations. Et ces incidents mineurs et isolés, ne peuvent être constitutifs d’épisodes de rébellion. Face aux assertions de l’accusation, les chefs d’inculpation qui ont motivé et motivent encore le maintien en détention préventive des indépendantistes apparaissent chaque jour davantage abusifs et peu crédibles.

Questions hors-sujet de l’accusation et absence de preuves

L’accusation a par ailleurs fait porter ses reproches sur le fait que l’association ANC aurait essayé d’empêcher les perquisitions de la police au ministère de l’Économie, et a demandé à Sanchez de se justifier sur le fait qu’il ne soit pas intervenu pour empêcher le référendum. Ce à quoi le leader indépendantiste a répondu d’une part que la protestation n’avait pas pour objet de faire obstacle à l’action de la police (à aucun moment, ils n’ont été empêchés de faire leur travail) et d’autre part le droit de manifestation ne constitue pas un délit. Quant à « empêcher » le référendum et « garantir la sécurité », le président Jordi Sànchez a fait valoir qu’en tant que simple responsable d’association, il n’était bien évidemment pas en son pouvoir d’assurer la sécurité publique ni encore moins de prendre des décisions qui relevaient du gouvernement… Au terme d’une longue journée de comparution de Sànchez et de Santi Vila, ex-ministre des Entreprises de Carles Puigdemont qui avait démissionné en octobre 2017 pour n’être pas d’accord avec l’objectif indépendantiste (et pour cela même n’est pas aujourd’hui en prison), les commentateurs semblent de plus en plus convaincus qu’il ne reste plus à l’accusation que les interventions des témoins à charge (policiers et politiques espagnols) pour essayer de démontrer les chefs d’inculpation.

À venir : les interrogatoires de Cuixart et Forcadell

Mardi 26 février, les deux derniers inculpés seront auditionnés : Jordi Cuixart, président de l’association Òmnium Cultural et Carme Forcadell, ancienne présidente du Parlement de Catalogne. Ensuite, selon une longue liste, de nombreux témoins seront appelés à la barre, parmi lesquels l’ancien président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy et sa vice-présidente, Soraya Saenz de Santamaria, ainsi que plusieurs ex-ministres. Le procès se poursuit donc dans une ambiance d’autant plus tendue et étrange que le président espagnol en minorité aux Cortes a fixé des élections générales législatives anticipées au 28 avril et que tous les partis sont donc maintenant en campagne, certains d’entre eux présents tous les jours au tribunal (l’extrême-droite Vox aux côtés du ministère public, et les leaders et parfois candidats indépendantistes sur le banc des accusés et en prison provisoire). Le contexte électoral est encore plus prégnant du fait des élections européennes et municipales qui doivent également avoir lieu dans les semaines qui viennent.

Les protestations de la Catalogne Nord pour la visite du président espagnol

Dans cette situation, le président espagnol Pedro Sanchez n’a rien trouvé de mieux que de faire une visite en France ce dimanche 24 février. Il s’est rendu plus exactement sur la tombe d’Antonio Machado, le poète républicain andalou mort en exil et enterré à Cotlliure en Catalogne Nord. Sanchez s’est ensuite rendu sur la plage d’Argelers, où avait été installé le camp de concentration des réfugiés espagnols. Provocation supplémentaire, échappatoire aux tensions avec la Catalogne Sud ou tentative de rapprochement avec le gouvernement français ? Toujours est-il que la visite a suscité protestations et manifestations des organisations catalanes solidaires des compatriotes du sud ainsi que des autorités nord-catalanes qui ont toujours exprimé leur soutien aux prisonniers politiques et leur condamnation de la répression espagnole. En particulier, le vice-président du Conseil Départemental Nicolas Garcia (PCF) avait appelé à la mobilisation contre la visite de Sanchez qui a vu son discours interrompu par les sifflets, les huées et les cris de « Llibertat, presos polítics ! ».

Ouverture du procès contre le chef de la police catalane

Cette semaine, l’Audiència Nacional (tribunal réservé en Espagne aux crimes et délits exceptionnels (terrorisme, crime organisé, génocide…), instance héritée de l’époque franquiste et qui a pris la suite du Tribunal d’Ordre Public de l’époque de la dictature, s’est déclaré compétent pour juger à Madrid (et non pas devant les tribunaux ordinaires catalans) toute la direction de la police catalane, les Mossos d’Esquadra, accusée également de rébellion. Il lui est reproché de « n’avoir pas freiné la manifestation du 20 septembre devant le ministère catalan de l’Économie ». Initialement les mêmes étaient inculpés de « sédition » et « appartenance à organisation criminelle » (sic). Le major des Mossos, Josep Lluís Trapero, le même qui avait démantelé la cellule djihadiste auteur de l’attentat du mois d’aout 2017 sur les ramblas de Barcelone, se retrouve donc sur le banc des accusés, avec ses adjoints, Pere Soler, César Puig i Teresa Laplana, et encourent eux aussi plusieurs dizaines d’années de prison. Ces responsables de la police catalane ne sont pas jugés par le Tribunal Suprême pour n’être pas des responsables politiques ou des élus.

> Alà Baylac Ferrer

Contributeur. Maître de conférence à l’Université de Perpignan – Via Domitia (UPVD) en Catalogne du Nord, Alà Baylac Ferrer est spécialiste des langue et culture catalanes. Il est par ailleurs directeur de l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT). [Lire ses articles]