Deuxième semaine du « procès de Moscou à Madrid »

La deuxième semaine du « procès de Moscou » contre les indépendantistes catalans s’est ouvert ce mardi 19 février à Madrid par les interrogatoires de Jordi Turull, ex-ministre de la Présidence du gouvernement de Carles Puigdemont et de Raül Romeva, ex-ministre des Relations extérieures.

Les deux gouvernants ont fait front aux accusations par des réponses très politiques qui ont à nouveau mis en évidence la faiblesse des arguments du ministère public et de l’État pour soutenir les accusations de rébellion, de sédition ou de malversation. Les réponses précises, incisives, voire ironiques de Turull de même que les développements plus philosophiques de l’ex-député européen Romeva ont tendu à démontrer le caractère mensonger ou pour le moins totalement infondé des chefs d’accusation pour lesquels les prévenus encourent jusqu’à 25 ans de prison. À aucun moment les inculpés n’ont reconnu avoir exercé le plus infime acte violent, ni même avoir incité la population catalane à se soulever. Au contraire, les anciens ministres ont fait une défense et une démonstration du pacifisme et du caractère démocratique exemplaire de la Catalogne.

Les procureurs et les avocats représentant l’État (les avocats du parti d’extrême droite Vox ne pouvant pas intervenir du fait du refus des inculpés de répondre à leurs questions) en revanche ont montré un visage peu convaincant, avançant des questions aussi idéologiques que déconcertantes : le procureur demande à Turull s’il était bien membre de l’association culturelle Òmnium Cultural ou s’il pouvait dire ce qu’il se serait passé si… Aucune preuve, ni aucun argument démonstratif n’a été produit pour prouver le caractère présumé violent du mouvement indépendantiste ou l’utilisation de fonds publics pour l’organisation du référendum d’indépendance. Le président du tribunal a même dû reprendre le procureur lui rappelant de poser des questions sur les faits et non pas sur des conjectures ou sur les idées des accusés. Romeva de son côté s’est livré à une véritable leçon de science politique, de droit international et d’autodétermination.

Protestation de la défense pour des interrogatoires marathoniens

Le cinquième jour de procès a été marqué par la volonté du Tribunal d’accélérer la procédure en interrogeant quatre inculpés, ce qui a obligé le procès à durer jusqu’à 21h30 au terme d’une séance de pratiquement 12h qui avait commencé le matin à 10h. Les avocats de la défense ainsi que les associations qui regroupent les familles ont protesté devant ce qu’ils considèrent comme une violation des droits de la défense. Pour être chaque jour devant les juges, les prisonniers se lèvent à 6h du matin, sont transférés durant près d’une heure de trajet dans les geôles du tribunal, subissent deux fouilles quotidiennes, mangent un repas froid lors de l’interruption de la mi-journée, sont de retour à la prison vers 23h où les attend un sandwich, avant de recommencer à 6h du matin une nouvelle journée. Les avocats dénoncent des conditions matérielles qui ne permettent pas d’assurer un procès juste. De plus, plusieurs juristes et médias catalans se sont scandalisés pour l’intervention du roi d’Espagne lors d’un congrès mondial du droit réuni précisément ces jours-ci à Madrid, roi qui n’a pas hésité a apporté son soutien à l’accusation en plein procès. Loin de sa neutralité de chef de l’État, Philippe VI, de même que son intervention au lendemain du référendum le 3 octobre 2017, a déclaré qu’il était « inadmissible d’en appeler à une supposée démocratie qui serait supérieure au droit, parce que sans le respect des lois, il n’y a ni cohabitation ni démocratie ». Les observateurs internationaux de leur côté ont commencé à décrire les conditions qui permettent de douter d’un procès juste et équitable (voir ici).

Les ministres interrogés mercredi 20 février sont Josep Rull, ex-ministre du Territoire et du développement durable, Dolors Bassa, ex-ministre du Travail, Meritxell Borràs, ex-ministre de la Gouvernance et Carles Mundó, ex-ministre de la Justice. Tous ont mis en avant l’absence de preuves et de faits relatifs aux accusations qui leurs sont reprochées. Les quatre procureurs et les avocats de l’État semblent avoir orienté leurs interrogatoires sur les accusations de désobéissance et de malversation, en laissant de côté (pour le moment ?) les chefs de rébellion et sédition. Les audiences ont été émaillés de nombreux incidents du fait des termes approximatifs ou clairement erronés employés par le parquet (« factures » pour désigner des « devis »), leur mélange de faits et d’opinions personnelles, des dates confuses ou inexactes, la citation de documents manipulés (interviews, tweets, mails). Ce qui a concouru à montrer le caractère peu sérieux du jugement et bien léger de l’instruction. Pour ne pas dire franchement infondé. Les accusés ont refusé de manière réitérée de répondre aux questions orientées, sans rapport avec les faits qui leurs sont reprochés ou concernant leurs opinions ou leurs idées. Les interrogatoires ont mêlé en permanence justice et politique. L’ex-ministre du Territoire a souligné que le référendum est tellement peu un délit qu’au même moment le PP réclamait au parlement que le délit de « référendum illégal » soit réintroduit dans le code pénal dont il avait été retiré expressément en 2005…

> Alà Baylac Ferrer

Contributeur. Maître de conférence à l’Université de Perpignan – Via Domitia (UPVD) en Catalogne du Nord, Alà Baylac Ferrer est spécialiste des langue et culture catalanes. Il est par ailleurs directeur de l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT). [Lire ses articles]