Histoire. Armand Tuffin de La Rouërie (1751-1793)

Article paru dans Le Peuple breton papier de novembre 2016

Loin de tout simplisme, retrouvons un personnage au destin peu banal : un héros de la guerre d’indépendance américaine, qui fut aussi… initiateur de la chouannerie de 1793. Bien peu de Bretons le connaissent !

Armand Tuffin est né le 13 avril 1751 à Fougères. Il est très jeune orphelin de père. Sa mère lui fait apprendre l’anglais et l’allemand. Après une jeunesse agitée, un incorporation puis une démission de l’armée, et un exil temporaire en Suisse, il rentre à Saint-Ouen-la-Rouërie, près de Fougères. C’est pendant cette période que les nouvelles de la Révolution américaine gagnent la Bretagne. La Rouërie est devenu franc-maçon à la loge du régiment Royal-Roussillon cavalerie. Les francs-maçons fougerais reçoivent fréquemment par le biais de leurs homologues américains des nouvelles des « Treize colonies » en lutte contre les abus de la monarchie anglaise.

Au nom de la Déclaration des droits de 1688, aucun Anglais ne peut être soumis à une loi que ses représentants n’ont pas votée. C’est la cause de la révolte des colonies américaines, qui s’en inspirent pour leur propre Déclaration d’indépendance de 1776, l’une des ancêtres de la déclaration française des droits de l’homme. Plusieurs raisons poussent Tuffin à s’engager au côté des Insurgents : un désir de revanche sur les Anglais après la guerre de Sept Ans, le goût de l’aventure et surtout l’occasion de relancer sa carrière militaire à l’étranger auprès d’une cause qu’il estime juste.

À Philadelphie, capitale des Insurgents, La Rouërie est reçu par le Congrès et propose ses services dans l’armée américaine. Il affirme être prêt à refuser toute solde, désirant seulement mettre son épée au service de la cause et déclare qu’il ne veut être connu ni sous son titre de marquis, ni sous son nom de famille. Il s’engage sous le nom de Charles-Armand – son nom de baptême – et sera appelé « Colonel Armand ». Cet esprit de panache et de dévouement plaît au Congrès, qui remet à Armand, le 10 mai 1777, un brevet de colonel. Il se distingue à la tête de la Ire légion de dragons et participe activement à la bataille de Yorktown.

L’un des tout premiers sujets de Louis XVI à arriver en Amérique, il est l’un des derniers à quitter l’armée américaine en 1784. La Rouërie revient en France avec le grade de brigadier-général de l’armée américaine, décoré de l’ordre de Cincinnatus et de la croix de Saint-Louis. Mais son retour passe inaperçu, longtemps après celui de Lafayette et Rochambeau.

Il demande au roi de valider ses services et de le nommer colonel d’un régiment de cavalerie. On ne lui accorde que l’infanterie. Il refuse et se replie sur ses terres, criblé de dettes. Peut-être pour cette raison, il épouse en 1785 une belle héritière de Saint-Brice-en-Coglès, à neuf kilomètres de son château. Mais elle meurt six mois après de tuberculose.

Alors que le pouvoir central veut limiter fortement le pouvoir du Parlement de Bretagne, La Rouërie défend vigoureusement son Parlement contre les édits de Versailles, ce qui lui vaut d’être enfermé à la Bastille avec les onze autres membres de la délégation bretonne à Versailles, le 14 juillet 1788. Mais Necker remplace Brienne comme Premier ministre et les Bretons font un retour triomphal au pays.

Opposé à l’absolutisme, il voit d’abord avec joie les signes de la Révolution française et désapprouve le refus de la noblesse bretonne de participer aux États-Généraux. Déçu par une Révolution qui supprime les libertés bretonnes comme les autres alors qu’il souhaitait une démocratie à l’américaine, La Rouërie contacte la contre-révolution et l’armée des émigrés à Coblence. Il créé une organisation militaire, l’Association bretonne, afin de lever une armée contre les révolutionnaires et s’efforce de lutter contre l’émigration des nobles.

Il a même des contacts indirects avec Danton dans le cadre d’une politique d’union alors que les Prussiens et les Autrichiens envahissent la France. Mais les Prussiens font demi-tour et la Révolution se durcit. Tuffin se tourne alors vers les Bourbons. Son but : assurer dans le cadre de la monarchie des Bourbons rendue plus libérale la remise en place des institutions bretonnes. Il les qualifie de « rempart le plus solide de notre liberté politique et religieuse et plus sûr garant de notre paix intérieure et de la prospérité qu’elle produit », basculant alors dans l’illégalité.

Il veut lever une armée paysanne en Bretagne et dans les provinces limitrophes pour marcher sur Paris en coordination avec l’armée prussienne et celle des émigrés. Il met en place un réseau de correspondants par ville et par paroisse rurale.

C’est un peu ce qu’il a fait aux États-Unis, mais sans succès cette fois. Dénoncé, La Rouërie doit s’enfuir et se cacher de château en château. Il meurt d’épuisement et d’une pneumonie au manoir de la Guyomarais en Saint-Denoual, près de Lamballe, le 30 janvier 1793, avant l’insurrection qu’il avait préparée. Son corps sera exhumé et décapité quelques jours plus tard. L’insurrection qu’il avait programmée pour le 10 mars 1793 deviendra la chouannerie, soulèvement qui n’aura jamais de chef politique et militaire de cette envergure, capable de coordonner les opérations militaires sur un territoire étendu à partir d’un réseau dispersé, mais fourni.

Toutefois, c’est uniquement quand ce soulèvement populaire deviendra une armée classique et royaliste, comme en Vendée, qu’il échouera.

La faiblesse politique de ce mouvement fut de réclamer le retour de l’ordre ancien, c’est-à-dire des Bourbons. Quand ceux-ci reviendront au pouvoir en 1814, ils conserveront la centralisation mise en place par les montagnards puis surtout par Bonaparte sans accorder les libertés espérées par La Rouërie.

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> Jean-Jacques Monnier

Historien, Jean-Jacques Monnier est élu UDB à Lannion.