Dans son étude sur le chahut, le sociologue Patrick Boumard montrait que celui-ci est une manifestation du principe de plaisir, et qu’il possède, à ce titre, une vertu libératoire. Il n’est pas inutile de s’en souvenir en visionnant le documentaire que le cinéaste Sébastien Le Guillou a consacré au collège Diwan de Plésidy : passé le générique, celui-ci s’ouvre en effet sur un chahut.
Quand la prof de troisième, Gwenola Coïc, entre dans la classe, le chahut s’interrompt en douceur et la leçon commence. Approfondissement des connaissances sur les mutations consonantiques. Les élèves ont repris leur sérieux certes, mais sur fond d’une atmosphère de tranquille décontraction, et c’est avec plein d’allant que les collégiens répètent la leçon en chœur. Puis se succèdent, rapides, des images de récréation. Rollers, skates, trottinettes entremêlent leurs figures aux conversations rieuses, aux jeux de ballons, aux agrippages. Une « recré » classique, sauf qu’il règne ici ce petit quelque chose d’autre constitué par cette atmosphère d’énergie en liberté, baignant tout le film.
On voit aussi très vite à l’œuvre une pédagogie innovante de la réflexion en liberté. Que ce soit dans le travail studieux, ici sur le décoiffant poème de Bernez Tangi, An Torfed, que l’enseignante fait lire à haute voix : Setu, kroget ouzh ar baol / Riklan ’ra ’r vag war an tarzh / … avant de demander aux élèves d’imaginer une suite à l’histoire ; l’enseignante devient alors aiguilleuse et conseillère, passant de groupe en groupe, encourageant autant que corrigeant ; ou dans une activité plus récréative comme les premières répétitions d’un rap, sous la direction mémorable du musicien Kristof Le Menn, où les collégiens sont initiés à l’imitation buccale des tempi de la boite à rythmes, en même temps qu’à une gestuelle dynamique, libératrice des corps ; la joie des corps en même temps que la joie des mots, la joie de se mouvoir et de dire ensemble.
Puis, mise en abyme du documentaire avec l’apparition de Sébastien Le Guillou qui entre dans la classe, donc dans son propre film. On réalise alors à travers leurs échanges à quel point sa présence est déjà familière aux collégiens. Cette séquence est légitimée par le fait que le cinéaste vient leur proposer d’écrire, à partir du film qu’ils sont en train de tourner avec lui, le script d’un clip qui deviendra en quelque sorte la bande annonce du film. La familiarité et la liberté des échanges vont de pair avec le sérieux des explications techniques du cinéaste – entre autres sur ce qu’est un plan américain.
Le collège fonctionne principalement en internat. Le coucher des collégiens et collégiennes fait partie des moments de vie et Sébastien le montre. Son grand art dans presque tous ses films (près d’une centaine réalisée par FR3 Bretagne) est de suggérer le fil du temps – tombée de la nuit, petit matin – à travers de menus détails : ainsi le matin est signifié dans le film par un ballon qui roule longuement dans la cour déserte et la lumière matinale. Entre autres moments de la vie du collège, le pique-nique dans un champ contigu, certain(e)s déjeunant dans les arbres… Puis c’est la rédaction du script pour le clip, en atelier collectif dans la cour du collège avec le concours de l’enseignante.
Au cours de toutes ces activités, les menus détails qui font mouche : pieds se tortillant sous les tables, grimaces machinales des jeunes ados, manipulations rigolotes avec les stylos…
C’est un véritable poème pédagogique que Sébastien Le Guillou a réalisé avec ce film. Cette appréciation n’est pas une clause de style ; elle renvoie au livre éponyme écrit par le pédagogue ukrainien Anton Makarenko à partir de son expérience des années 20-30 dans l’ex-URSS avec les jeunes délinquants. Ses trois postulats de base étaient la liberté d’expression, le respect des jeunes et de leur inventivité. Au-delà des différences historiques, c’est bien ainsi que semble fonctionner le collège de Plésidy. Et c’est bien en cela qu’il est, avec quelques autres établissements de même nature en Bretagne ou ailleurs, une école de la liberté.
Nous savons que l’art du vidéo-clip, apparu au tout début des années 1980, servait à ses débuts promouvoir une chanson ou un film. Cet outil de communication s’est imposé rapidement comme un genre à part entière. Ainsi peut-on visionner à cet instant même les 5 clips les plus regardés en France en 2018. Ce faisant, on se dit que les collégiens et collégiennes de Plésidy n’ont vraiment pas à redouter la comparaison, ni à rougir d’avoir participé au clip réalisé par Sébastien Le Guillou sur son propre film. Le jeu des jeunes corps dynamisé et démultiplié par les trucages, les ellipses, les accélérations, la présence fugace d’une vache puis deux, les masques de papier genre origami dont à l’improviste s’ornent les visages, les sur-répétitions à partir peoc’h ’barz al loc’h, ponctuées par l’envol des masques qui soudain s’animent… Tout concourt à faire de ce clip une création proprement surréaliste, dont le message central est porté par la déambulation chantante des jeunes ados : ne faot ket diñ bezañ parket vel ul loen bihan je ne veux pas être parqué comme un petit animal.
Une question : pourquoi un tel film (et son clip) n’ont-ils pas été présentés au festival de Douarnenez ?