Alan Stivell : les prisonniers politiques catalans, un suicide pour l’Europe


Dans son discours de la nouvelle année, le président de Catalogne a appelé à « rendre effectif le mandat démocratique de liberté, à se révolter contre l’injustice et à abattre les murs de l’oppression », tandis que Ciudadanos et le PP continuent à répandre des mensonges en disant que « Torra appelle au soulèvement » (sic) et demandent la suspension de l’autonomie et l’interdiction des partis indépendantistes.

Le président catalan a annoncé que le gouvernement avait, parmi les priorités de 2019, la remise en place des lois sociales annulées par le Tribunal constitutionnel. Il prédit que le procès des indépendantistes sera un puissant porte-voix pour les prisonniers innocents, au cœur de l’Union européenne en plein XXIe siècle et en appelle à une médiation internationale. Pour le président, 2019 est une « année de défis majeurs, une année décisive pour tous et pour la liberté qui s’approche ». Et d’ajouter : « Mon souci principal est d’assurer à ses citoyens une Catalogne juste, qui produise de l’égalité et du progrès pour les jeunes, et qui devienne un espace de culture et de talent dans la diversité des expressions et des croyances. Une Catalogne, donc, déterminée en liberté. C’est pourquoi nous ne cesserons pas d’insister sur le dialogue, la négociation et la nécessaire médiation internationale. Accompagné des drapeaux qui nous ont toujours représenté dans le monde : démocratie, justice et non-violence »

Interview d’Alan Stivell

Le légendaire chanteur breton Alan Stivell, interviewé cette semaine sur le site Vilaweb après avoir passé le Nouvel An à Barcelone, invité par le musicien galicien Carlos Núñez à participer au traditionnel concert du Palau de la Música, a déclaré qu’il était « choquant qu’il y ait des prisonniers politiques, cela fragilise l’Union européenne. L’existence de prisonniers politiques représente le suicide de l’idée d’Europe. »

2018 : l’année de l’échec espagnol

À l’heure du bilan de l’année 2018, force est de constater que la stratégie espagnole visant à résoudre la crise institutionnelle (et à éliminer l’indépendantisme en Catalogne) a été un échec. Ce qui explique certainement en grande partie, en même temps que se préparent les élections, une course aux discours extrémistes et le retour en force sur la scène politique espagnole des proclamations et revendications franquistes et d’extrême droite (dans la bouche de Vox, de Ciudadanos, et du PP lui même). Les Catalans, après l’épisode de violence policière et de répression politico-judiciaire (toujours en cours), ont réussi à revalider la majorité indépendantiste, à recouvrer les institutions et à internationaliser la question de l’autodétermination. Carles Puigdemont fait partie des 50 personnes de l’année sélectionnées par le Frankfurter Allgemeine. Face à ceux qui menacent de suspendre à nouveau l’autonomie, le président Torra a averti que le gouvernement catalan ne se rendrait jamais et a insisté sur le fait que 2019 était l’année de l’espoir et qu’aucune autre attaque contre la démocratie ne serait tolérée, tout en demandant à Sanchez un vrai dialogue avec des mesures concrètes au-delà des discours. Junts per Catalunya de son côté, envisage de réinvestir Carles Puigdemont, président de au cours de la législature.

Le « niet » catalan au budget espagnol et le non espagnol au dialogue

Les partis indépendantistes, toujours pressés de soutenir le budget de Sanchez, ont réaffirmé qu’ils ne le voteraient pas et le justifient par le fait que les socialistes n’avaient pris aucune mesure concernant les deux questions clés : la répression judiciaire (liberté des prisonniers politiques) et l’autodétermination et l’avenir politique de la Catalogne. Sergi Sabrià (ERC) a rappelé que le président de l’ERC est en prison et la secrétaire générale en exil en Suisse ; il dénonce le « non à tout » des socialistes. Sanchez de son côté a répondu par le refus de la main tendue de Torra, en précisant qu’il « ne peut y avoir de dialogue en dehors de la loi », espagnole s’entend.

Procès en perspective et concerts pour prisonniers politiques

Dans la perspective du procès des indépendantistes, le Tribunal suprême a opéré une manœuvre (une partie des accusés a été renvoyée devant un tribunal de Barcelone) pour « pouvoir prononcer un verdict avant le 29 mai afin d’empêcher qu’aucun des mis-en examen puisse se présenter aux élections européennes », comme l’a expliqué le magistrat émérite du Tribunal suprême, José Antonio Martín Pallín. Les avocats ont également signalé à plusieurs reprises des irrégularités : le tribunal n’a donné que 10 jours à la défense pour présenter ses arguments. « C’est ce qui est donné pour un braquage de banque, ils devraient leur donner un mois pour exercer le droit de la défense dans des conditions d’égalité ; le procès mené jusqu’à présent n’est pas juste », précisent les avocats. L’ANC (association Assemblea Nacional Catalana) prépare et annonce des mobilisations dans tout le pays pour l’ouverture du procès, des manifestations à Madrid, à Paris et dans d’autres villes.

D’autre part, les mobilisations de solidarité, de soutien et d’accompagnement des prisonniers se sont multipliées et ont toujours attiré des milliers de personnes: un concert devant plusieurs milliers de personnes devant la prison des Lledoners avec environ 40 musiciens professionnels, une manifestation de 5 000 personnes à Majorque « pour la république, la souveraineté des Pays Catalans et le soutien aux prisonniers politiques » (à l’occasion de la fête nationale de Majorque le 30 décembre), des milliers de personnes ont fait le réveillon autour des prisons.

En bref

Ciudadanos et le PP réclament, jour après jour, pour s’assurer le soutien de l’extrême droite de Vox (qui veut abroger la loi contre la violence machiste), une suspension de 10 ans de l’autonomie, la fermeture des médias régionaux, le contrôle de la police régionale et de l’enseignement, dans un contexte de dégradation démocratique et de retour décomplexé des principes du franquisme. Le prieur (phalangiste) du Valle de los Caídos refuse au gouvernement espagnol l’accès au tombeau de Franco pour procéder à l’exhumation décidée par le gouvernement espagnol. Le tribunal de Navarre laisse en liberté les 5 violeurs de la Manada (la meute) condamnés seulement pour « abus sexuel ». Deux ans de prison et une amende de douze mille euros pour les cinéastes Carolina Martinez et Clemente Bernad pour avoir placé un appareil photo dans une église pendant une messe organisée par la Fraternité des la Hermandad de los Caballeros Voluntarios de la Cruz, un groupe ultracatolique fondé en 1939 par d’anciens combattants franquistes. Ils sont accusés d’avoir révélé des secrets malgré l’autorisation du conseil municipal. Les avocats de Tamara Carrasco dénoncent son assignation à résidence indéterminée. Initialement accusée de terrorisme et de rébellion pour avoir manifesté sur une barrière de péage, le tribunal de Madrid l’a arrêtée avant de l’assigner à résidence dans l’attente du procès. Au bout d’un an, les accusations se sont changées en « désordre public », mais sans lever l’assignation à résidence. Le tribunal madrilène s’est déclaré incompétent pour la juger sans, contrairement à la loi, désigner le tribunal compétent pour prendre la suite de la procédure. Personne pour le moment n’est donc en charge de l’affaire, mais l’assignation à résidence est maintenue indéfiniment. Autant de mesures préventives disproportionnées, d’accusations mensongères et non fondées, de violation du droit de la défense, toutes dénoncées par la défense, qui explique que cela fait partie de la stratégie de répression visant à effrayer et à faire taire l’indépendantisme.

> Alà Baylac Ferrer

Contributeur. Maître de conférence à l’Université de Perpignan – Via Domitia (UPVD) en Catalogne du Nord, Alà Baylac Ferrer est spécialiste des langue et culture catalanes. Il est par ailleurs directeur de l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT). [Lire ses articles]