Article publié dans l’édition papier du Peuple breton de juin 2011
En avril dernier [ndlr : 2011], Édouard Hamon disparaissait à la veille de ses 91 ans. Ce fut l’une des grandes figures des luttes antinucléaires dans l’estuaire de la Loire. Ayant des terres au cœur du périmètre du projet de la centrale nucléaire du Carnet, ce paysan refusa jusqu’au bout de les vendre à EDF. Comme le rappelle ses amis, sa résistance opiniâtre lui valut beaucoup de pressions et de menaces.
Interrogé par le journaliste Marc Le Duc sa fille, Hélène Hamon, rapporte que « ce fut une lutte longue et dure » et que la victoire sur EDF en 1997 « était la fierté de mon père d’avoir gagné ». Dans l’estuaire, le combat antinucléaire dura plus de vingt ans, ponctué d’affrontements, d’actions en justice, de manifestations et rassemblements festifs géants.
À l’occasion du 30e anniversaire de l’abandon du projet de centrale nucléaire à Plogoff, la plupart des médias font l’impasse sur la place dans le combat antinucléaire breton victorieux des luttes développées dans l’estuaire de la Loire. On ne peut comprendre Plogoff sans connaître l’histoire des luttes développées dans le sud de la Bretagne : à Erdeven en 1974-75 et dans son sillage à Corsept et au Pellerin, dans l’estuaire de la Loire. Comme pour Plogoff, deux ans plus tard, la lutte du Pellerin entre dans l’actualité au moment de l’enquête d’utilité publique.
En janvier 1977, les paysans du site créent un groupement foncier agricole pour retarder l’achat des terrains par EDF. Le 8 mai, 10 000 personnes participent à la première fête antinucléaire sur le site. Le préfet de Loire-Atlantique donne des consignes aux douze maires des communes situées autour du Pellerin pour la procédure de l’enquête d’utilité publique. Sept maires refusent de rentrer dans le jeu. L’affichage qui est fait par les autorités à la place des maires rebelles pour annoncer le début de l’enquête est déchiré et brûlé. Au Pellerin, l’accès de la mairie est barré par des engins agricoles et le sous-préfet se fait copieusement arroser de lisier. Les manifestants vont obliger le préfet à trouver une parade au blocage des mairies où peuvent être consultés les registres d’enquête. Le pouvoir inaugure la pratique des camionnettes gardées par les forces de l’ordre et baptisées « mairies annexes ». Le 2 juin à Couëron, la mairie est envahie par des manifestants qui neutralisent deux gendarmes pour s’emparer des registres qui finissent en feu de joie. Les autorités réagissent brutalement en arrêtant à leur domicile quatre agriculteurs et une agricultrice. Un conseil municipal extraordinaire apporte son soutien aux inculpés. La force de ce mouvement populaire est sa non violence. Craignant une contagion le procureur maintient le mandat de dépôts jusqu’au procès en arguant qu’on est devant un « acte de guérilla ». Le 9 juin, veille du procès, 1500 personnes se réunissent à Nantes. Devant le tribunal, le leader paysan Bernard Lambert approuve le mode d’action non violent. Le jugement est brutal : 8 mois de prison dont 6 avec sursis. Devant le palais de justice la stupeur du millier de manifestants se mue en combativité du coté de Saint-Jean-de-Boiseau où une quarantaine de manifestants déchirent le dossier d’enquête.
La riposte brutale des gardes mobiles préfigure la politique répressive de l’État français à Plogoff. La colère ne retombe pas avec 2000 manifestants à Nantes le 14 juin et des affrontements violents à Cheix-en-Retz. Le 11 juillet, l’enquête est close dans la confusion. Le 18 octobre 78, les conseils municipaux du Pellerin et de Cheix-en-Retz démissionnent suite à l’avis favorable du Conseil d’Etat à EDF. La dernière délibération des deux conseils sera un jumelage avec Plogoff. Plus rien ne sera comme avant dans les luttes antinucléaires bretonnes. La solidarité et la communauté d’action ira en se renforçant entre l’estuaire de la Loire et Cap Sizun. Le 20 avril 79, les autorités demandent des études complémentaires concernant le site du Pellerin en raison de la proximité de Nantes. Manière d’enterrer le projet sans montrer que le pouvoir a reculé devant ces irréductibles Bretons.
La leçon est retenue par les habitants de Plogoff qui prennent le relais en reprenant le mode de lutte inauguré au Pellerin. Les gens du Cap vont l’adapter à leur terrain en apportant leur touche personnelle. Le pouvoir qui allait aussi reculer en 1981 à Plogoff ne va pas pardonner aux Bretons cette humiliation en voulant installer sa « centrale baladeuse » plus près de l’entrée de l’estuaire, au Carnet. En 1983, la brutalité des forces de l’ordre lors des premiers mouvements de contestations sur le site du Carnet est particulièrement significative d’un pouvoir qui veut faire plier les Bretons. On entendra même de la bouche du ministre socialiste Edmond Hervé chargé de l’énergie nucléaire que l’intérêt de la France prime avant celui de la Bretagne. 14 ans plus tard, des femmes et des hommes comme Edouard Hamon ont à nouveau fait échouer l’État français dans sa tentatives d’implantation de centrales nucléaires en Bretagne.