
« Parmi ces nouveaux étudiants étrangers, certains sont en capacité de payer des frais très élevés » disait dernièrement Frédérique Vidal sur les ondes de France Inter. À travers cette simple phrase, la Ministre française en charge de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche résume parfaitement le programme libéral pour notre Université.
L’idée est simple : faire payer plus cher les étudiant·es qui ne sont pas issu·es de l’Union européenne. Ceux-ci vont donc voir le prix d’une année de Licence passer de 170 € à 2770 €, 3770€ pour une année de Master ou de Doctorat. Petite mise au point sur un projet de loi qui fait frissonner le milieu universitaire.
D’aucun·es chantent déjà les louanges de cette réforme. Et après tout, pourquoi est-ce que des étranger·es profiteraient des douceurs du système français sans jamais y avoir participé ? Pourquoi se priver des 800 millions d’euros qu’engrangerait l’État à travers cette réforme ?
Il convient d’abord de mettre en avant la dimension raciste de cette réforme. En augmentant de la sorte les frais d’inscriptions, Frédérique Vidal sait pertinemment qu’elle ferme la porte à des milliers de jeunes originaires d’Afrique ou d’Amérique du Sud. Est-ce cela que nous voulons pour l’avenir ? Une université riche et blanche ? À l’heure où la France entend se remettre en selle dans le domaine de la recherche scientifique, apparaît-il pertinent de la priver de regards extérieurs, de cultures différentes, d’intelligences variées ? Est-ce bien le moment pour se cloîtrer dans une Université endogame où les seules têtes pensantes seraient issues d’une élite au carcan intellectuel qui n’est même plus à démontrer ?
Soyons lucides : la réforme annoncée par Mme Vidal est dangereuse en plus d’être dénuée de tout sens éthique et de défaire l’Université d’une de ses valeurs principale qu’est l’universalisme. Et cette réforme annonce bien pire : la libéralisation de l’enseignement supérieur et la transposition en France du modèle étasunien.
À la fin des années 1980, la France se prenait de plein fouet un énième mouvement étudiant. Des milliers de jeunes défilèrent dans les rues contre le projet de loi Devaquet, qui entendait déjà imposer la libéralisation de l’Université, avec une sélection des étudiant·es et une mise en concurrence des établissements. La mobilisation finit par faire vaciller le gouvernement Chirac, et le projet de loi fut enterré.
Mais les théologiens du libéralisme n’ont jamais abandonné la partie. Depuis, peu à peu, ils ont réussi à faire rentrer des idées, des principes, des besoins, en poussant pour que les reformes prévues dans le projet de loi Devaquet passent finalement unes à unes de façon plus douce. Un plan logique, et tapi dans l’ombre, mais diablement efficace.
Le premier grand pas a été effectué en 2007, lorsque Valérie Pécresse fait passer sa loi relative à l’autonomie des Universités. L’État accorde une autonomie, sans pour autant donner aux établissements les moyens d’engranger des fonds, et ce dans un contexte où il y a tous les ans un peu plus d’inscrit·es. Le constat arrive vite dans l’inconscient collectif : « les Universités sont incapables de se gérer convenablement, et elles acceptent beaucoup trop de monde ».
L’état des universités se dégrade peu à peu. Sans le sou, elles se retrouvent avec toujours moins d’enseignant·es et toujours plus d’étudiant·es, dans une situation où les élèves sont obligé·es de suivre des cours assis·es au sol pendant que leurs enseignant·es deviennent de simples profs, n’ayant plus ni le temps ni l’argent de s’adonner à la recherche. Les établissements se voient obligés de fusionner pour survivre, mais aussi pour obtenir des fonds de recherche, tout cela dans le but de créer « des structures internationalement compétitives ». L’argent avant le savoir.
Après avoir laissé la situation crée en 2007 décanter, les pontes du libéralisme reviennent à la charge. Il faut sauver le soldat Université. Parcoursup (renommé « Parcoursupercherie » dans les lycées) met en place les premiers éléments de la sélection, tandis que la nouvelle réforme du Lycée s’attelle à mettre fin à l’égalité des établissement secondaires avec un système d’options.
Pour résumer, les lycées vont devoir se doter d’une gamme de modules optionnels que devront choisir les élèves, mais les établissements ne seront pas obligés d’avoir tous les modules. Si l’idée peut paraître intéressante au premier abord, avec ce qu’induit Parcoursup en terme de « pré-requis », combien de temps avant que les universités ne réclament par exemple pour une première année de droit, d’avoir suivi le module « introduction au droit » ? Cela pourrait être logique en soi, mais faute de moyens et d’obligations, comment les lycées donneront-ils toutes les clés à leurs élèves, comment les lycées de périphérie pourront ils proposer toutes les options ? Les discriminations territoriales sont déjà intenses en France, et l’on sait très bien que les lycées de campagne, comme les lycées de banlieue (et leurs élèves avec) seront les grands perdants de cette politique.
Lorsque l’on commence à saisir cette logique, il apparaît clairement que l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiant·es « non communautaires » n’est qu’un premier pas vers une hausse globale pour toutes et tous, avec à terme, un glissement de l’Université vers le système étasunien.
Le Royaume-Uni en a fait l’amère expérience il y a quelques années, avec pour résultat une dette étudiante en explosion, le salaire des enseignants en baisse, mais la hausse très nette des salaires des présidents d’Université.
Est-ce vraiment ce que nous voulons, une université accessible aux riches seulement ? Une université qui oblige nos enfants à s’endetter à vie dès leur dix-huit ans pour se payer un avenir ? Aux États-Unis aujourd’hui, la dette étudiante représente 1521 milliards de dollars et près de 700000 retraité·es n’ont toujours pas fini de rembourser leur prêt étudiant…
La statut-quo n’est pas une solution et il est urgent de repenser notre modèle universitaire, mais nous pouvons le faire sans mesures racistes, sans mesures discriminatoires, sans que nous revenions au temps où les riches faisaient des études pendant que les pauvres allaient à l’usine.