Manifestations en Catalogne contre le Conseil des ministres espagnol

Lors de la réunion du conseil des ministres le 21 décembre en Catalogne, Pedro Sanchez a voulu montrer que Barcelone était une ville d’Espagne, qu’il pouvait s’y rendre comme en terrain conquis et que c’était le gouvernement espagnol qui était à l’initiative du dialogue avec les indépendantistes. Malheureusement, toute la Catalogne a été le théâtre de mobilisations.

Son passage à Barcelone a nécessité de mettre le centre de la ville en état de siège avec un dispositif de 8 000 policiers, et la pseudo proposition de dialogue et de main tendue se limitait à imposer un changement de nom à l’aéroport de Barcelone et à déclarer « la restitution de la dignité de Companys en tant que président de la Generalitat », mais sans décider de l’annulation du procès que lui ont fait les franquistes avant de le fusiller. Des annonces qualifiées de « cosmétiques » par les Catalans.

La Catalogne mobilisée et bloquée

En signe de protestation contre la présence du conseil des ministres indésirable et pour manifester son mécontentement un an après les élections autonomiques manipulées (mais perdues) par Madrid et afin d’exiger la liberté des prisonniers politiques et le retour des exilés, quelque 80 000 personnes ont manifesté à Barcelone le 21 décembre et toute la journée des milliers de CDR (comités de défense de la république), d’associations, de syndicats et de partis ont participé à travers toute la Catalogne à des manifestations et des blocages. Malgré les provocations et les annonces catastrophistes des espagnolistes qui prédisaient des violences et des troubles de l’ordre public, la journée s’est déroulée dans le calme (seulement une dizaine d’interpellations, une trentaine de contusionnés et aucun dégât matériel). Samedi 22, même le mouvement des Gilets jaunes de Catalogne Nord s’est solidarisé avec les Catalans du Sud et les prisonniers politiques en bloquant la frontière.

La proposition de dialogue, sans réponse

À l’occasion de la présence de ministres espagnols, les Catalans ont fait le forcing, malgré les réticences de Madrid, le jeudi 20 décembre, pour obtenir une rencontre entre les deux présidents et les vice-présidents. Le chef du PP, Pablo Casado, a qualifié la rencontre de « début de négociation pour la rupture de l’Espagne » et de trahison de Sanchez avec un accord avec les indépendantistes. La réunion a permis au gouvernement catalan de proposer à Pedro Sanchez 21 mesures « d’accord démocratique » pour établir le dialogue. Torra a également appelé à la création d’une commission de médiation ; il n’a obtenu aucune réponse de Sanchez. Alors que la presse catalane mettait en avant une perspective de dialogue timide et fragile et évoquait (Puigdemont) un « sommet bilatéral » entre les deux autorités, la presse espagnole accusait Sanchez de « se rendre aux indépendantistes » sur un ton toujours incendiaire, parlant « d’humiliation » du gouvernement espagnol.

Un deuxième Noël en prison sans jugement pour les prisonniers politiques

Le Noël qui a suivi la semaine de manifestations, le deuxième en prison pour les prisonniers politiques qui n’ont pas encore été jugés, a généré toujours plus de solidarité. Le président de la Generalitat Quim Torra et le vice-président Pere Aragonès ont rendu visite aux prisonniers, tandis que les stations de radio locales réalisaient un programme spécial « Noël en prison » avec des proches, des sympathisants et des amis pour accompagner les prisonniers le jour de Noël. En même temps, des milliers de Catalans se rassemblaient devant les prisons pour chanter des chants de Noël et continuer de revendiquer leur liberté. La « honte de la justice espagnole » continue toujours d’être dénoncée en dehors de l’Espagne (motion unanime du Conseil départemental de la Catalogne du nord, du conseil de la faculté d’études catalanes de l’université de Perpignan…) pour maintenir en détention sans procès depuis plus d’un an les dirigeants politiques catalans pacifiques. La veille, le président catalan avait également rendu visite à Tamara Carrasco, membre d’un CDR et accusée de « terrorisme » et de « rébellion » (pour avoir ouvert des barrières de péage lors d’une manifestation) et assignée à résidence depuis plus d’un an sans jugement.

Torra répond au discours partisan du roi

Le président Torra a répondu mardi 25 au message de Noël du roi, qui réclamait à nouveau le respect de la Constitution, s’alignant sur les positions intransigeantes et anti-dialogue du gouvernement espagnol. Quim Torra a déclaré que « le problème de la Catalogne n’est ni la cohabitation ni la constitution, mais un problème de démocratie et de justice ; le roi personnifie l’incapacité chronique de l’Espagne à faire des propositions politiques à la Catalogne». Les seuls faits concrets sont toujours les décisions des tribunaux : le mardi 18 décembre s’est tenue la première audience du procès contre les indépendantistes. La défense a dénoncé les violations flagrantes et répétées des droits de la défense et a demandé à ce qu’ils soient jugés en Catalogne. Tout a été rejeté par le tribunal qui qualifie les accusations « d’atteintes graves à l’intégrité de l’Espagne » et allègue qu’il y a eu violence. Au niveau judiciaire, la même semaine, la justice a ordonné l’arrestation d’un secrétaire de l’association ANC (Assemblea Nacional Catalana) pour avoir protesté contre la présence de la juge Llarena en Catalogne.

Fin de grève de la faim

Après plus de 20 jours, les quatre ministres catalans en grève de la faim ont mis fin à leur mouvement de protestation après que le Tribunal constitutionnel (TC) a finalement commencé à examiner leurs recours (et à les rejeter), ce qui leur permettra de lancer la procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le TC de son côté a confirmé la suspension des fonctions de député des ministres détenus, des exilés et du président Puigdemont, bien qu’ils n’aient pas été jugés et jouissent toujours de leurs droits politiques. Le TC ne veut pas se prononcer sur le fond ; la mesure a permis selon la volonté du PP de « décapiter le mouvement politique indépendantiste » avant les élections manipulées de 2017. Le TC a également rejeté la liberté des hommes politiques et le juge Pablo Llarena a de nouveau rejeté la liberté de Jordi Sànchez pour pouvoir participer à la campagne électorale des européennes (il est n ​° 2 sur la liste Junts per Catalunya – Ensemble pour la Catalogne) au motif qu’il « pourrait inciter à des mobilisations violentes ». Le juge ajoute qu’être emprisonné ne l’empêche pas de participer aux élections et d’être élu. D’autre part, les tribunaux demanderont 90 millions d’euros à Puigdemont pour le coût du référendum, y compris le déplacement des milliers de policiers espagnols.

> Alà Baylac Ferrer

Contributeur. Maître de conférence à l’Université de Perpignan – Via Domitia (UPVD) en Catalogne du Nord, Alà Baylac Ferrer est spécialiste des langue et culture catalanes. Il est par ailleurs directeur de l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT). [Lire ses articles]