Catalogne. La grève de la faim de 4 prisonniers politiques fait monter la tension

Meeting du parti Vox. Crédit: Contando Estrelas from Vigo, España / Spain, CC BY-SA 2.0

Au 9ème jour de grève de la faim de Jordi Sànchez (ex-président de l’ANC) et Jordi Turull (ex-ministre de la Présidence du gouvernement de Puigdemont) – les autres ministres en grève de la faim, Josep Rull (ex-ministre des Territoires) et Joaquim Forn (ex-ministre de l’Intérieur) se sont joint à la grève 2 jours plus tard – la tension politique a augmenté de manière notoire en Catalogne et en Espagne.

La tension est alimentée par les manifestations provocatrices de l’extrême droite dans les rues de Catalogne et les incidents qui s’y sont produits, de même que le résultat des élections autonomiques en Andalousie qui a vu Vox, le parti franquiste, entrer au Parlement andalous avec 12 députés (11 %), le parti de droite et populiste Ciudadanos augmenter le nombre de ses élus de 9 à 21 députés (19 %) et le PSOE perdre les élections et la majorité dans un fief historique de la gauche espagnole. L’agitation permanente de la question catalane et l’instrumentalisation politique depuis la droite espagnole (PP et Ciudadanos), l’extrême droite (Vox et cercles fascinants) et certains secteurs espagnolistes du PSOE (comme c’est le cas de l’ex-présidente andalouse Suzanna Díaz), qui présentent la situation comme de pré-guerre civile en Catalogne, a cristallisé les votes sur les candidatures plus extrêmes. De bien mauvais augures pour les élections espagnoles à venir. Un contexte qui tend à renforcer l’indépendantisme et ne favorise pas précisément un climat de dialogue propice à la résolution de la crise institutionnelle. Un ancien conseiller juridique du Tribunal constitutionnel a déclaré cette semaine que « la victoire de Vox [l’extrême droite] donne plus de force aux juges du Tribunal Suprême ».

Les tribunaux ignorent les grévistes de la faim

La tension en Catalogne a également augmenté du fait du lancement d’une grève de la faim de 4 des 9 prisonniers et prisonniers de Catalogne qui veulent ainsi dénoncer la violation de leurs droits à la défense et le blocage par le Tribunal constitutionnel des recours des accusés. La réponse des magistrats espagnols a été d’ignorer la protestation des grévistes de la faim. La procureur de la République a annoncé que cela « ne modifiait pas les critères » de traitement des accusés et de la procédure des procès des indépendantistes qui devraient démarrer au mois de janvier. Le Tribunal constitutionnel de son coté a indiqué qu’il ne prévoyait pas de prendre en compte les demandes des prisonniers ni d’examiner leurs recours avant les vacances de Noël, dans un esprit de défi et mépris manifeste de l’action de protestation qui si elle devait se poursuivre jusqu’en janvier arriverait à plus d’un mois de grève de la faim, une période qui commence à devenir critique. Illustration de l’attitude générale perceptible en Espagne, un député de Ciudadanos a twitté que les grévistes « signaient leur testament » et un député du PP a de nouveau appelé à la suspension de l’autonomie catalane et nourrit la tension en déclarant qu’il existe une « guérilla urbaine » en Catalogne.

Soutien de la société catalane

Pendant la semaine, de nombre voix et initiatives ont été manifesté leur soutien aux grévistes de la faim : barrages de rues à Barcelone, déversement de déchets devant les tribunaux par les CDR (Comités de la Défense de la République), manifestations devant les délégations du gouvernement espagnol, déclaration du gouvernement catalan exigeant le respect des droits de l’homme par la justice espagnole, coupures d’autoroutes, organisation jeûnes dans tous le pays en solidarité avec le les prisonniers. Prou Ostatges ! (Assez d’otages !), une plate-forme promue par l’ANC (Association Assemblée nationale catalane), a lancé une chaîne de jeûnes collectifs continus (entre 2 et 7 jours) jusqu’au 20 décembre pour soutenir les prisonniers. Plusieurs membres du gouvernement catalan, dont le président Torra, ont annoncé leur participation.

Les provocations de l’extrême-droite et du gouvernement espagnol

La tension en Catalogne a également été ravivée depuis mercredi 6 décembre, à la suite des manifestations de l’extrême droite à Girona et à Terrassa le jour de la Constitution, manifestations vécues comme des provocations (à Girona, elle s’était déroulée sur la Plaça de l’1 d’octubre), ainsi qu’à la suite des charges de la police catalane contre des manifestants antifascistes. Les interventions policières ont provoqué des réactions politiques : la CUP (Candidature d’unité populaire, gauche anti-système indépendantiste) demande la démission du ministre de l’Intérieur, Miquel Buch. Le président catalan, Quim Torra, lui a donné trois jours pour procéder aux changements nécessaires à la tête des Mossos d’Esquadra (la police catalane). Des syndicats catalans dénoncent les ordres contradictoires et des actions illégales ou non réglementaires de certains agents contre les manifestants antifascistes.

Pedro Sanchez, qui refuse toujours tout dialogue sur la question catalane et ne fait aucun geste de détente envers les prisonniers politiques, a décidé de réunir un conseil des ministres à Barcelone le 21 décembre, le même jour où il y a un an Madrid avait avancé les élections catalanes après que le Parlement ait été dissout et le gouvernement catalan démis (de manière illégale selon les Catalans et de nombreux avocats) dans l’objectif de défaire les indépendantistes. La mesure est vécue comme une provocation et dénoncée par le gouvernement catalan, tandis que l’ANC appelle à manifester et les CDR à bloquer le pays. Pere Aragonès, le vice-président catalan, a dénoncé le chantage du gouvernement espagnol visant à ce que les indépendantistes approuvent le budget espagnol, au prétexte de la menace de l’extrême droite. Il a déclaré que le gouvernement et les Catalans subissaient depuis longtemps l’extrême droite, que Vox était partie civile dans le procès contre les indépendantistes et demandait 72 ans de prison pour Junqueras. Pour lui, les provocations et les mensonges de l’extrême-droite en Catalogne sont permanents et rien ne vaut la liberté des politiques emprisonnés.

Politique étrangère de la Catalogne et autres informations

Sur le plan de la politique étrangère, la semaine a été marquée par la visite du président catalan en Slovénie, où il a été reçu par le président du pays Borut Pahor. Il a également été annoncé que les présidents Torrent (du Parlement catalan) et Puigdemont seraient reçus la semaine prochaine au Parlement flamand. Carles Puigdemont se rendra à Londres où il est invité par des journalistes anglais. Le dimanche 2 décembre, Quim Torra, Pere Aragonès et Elsa Artadi, entre autres politiques indépendantistes, ont rencontré en Belgique le président Puigdemont pour coordonner leurs actions et leurs stratégies. En France, l’ancien ministre et candidat à la présidence du PS, Benoit Hamon, a appelé à la libération immédiate des prisonniers politiques catalans. Le célèbre linguiste Noam Chomsky et plus de 400 universitaires dénoncent dans le Guardian la répression judiciaire contre les présidents des bureaux de vote du 1er octobre. ERC dénonce la campagne menée par Ciudadanos avec les visages de Junqueras et de Puigdemont peints sur un bus qui traverse l’Espagne pour demander leur condamnation. La Generalitat s’est portée partie civile dans les procédures contre cinquante agents de police espagnols poursuivis pour des actes de violence le jour du référendum. En Belgique ce week-end est présenté officiellement le Conseil de la République.

> Alà Baylac Ferrer

Contributeur. Maître de conférence à l’Université de Perpignan – Via Domitia (UPVD) en Catalogne du Nord, Alà Baylac Ferrer est spécialiste des langue et culture catalanes. Il est par ailleurs directeur de l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT). [Lire ses articles]