Une soirée catalane à Monterfil

À l’invitation de l’Union Démocratique Bretonne du pays de Brocéliande, Gentil Puig-Moreno, catalan, sociolinguiste et enseignant-chercheur honoraire de l’université de Barcelone, résidant en Bretagne depuis quelques d’années, est venu donner son point de vue sur la situation de la Catalogne dite « espagnole », donc autonome. Cela se passait le 19 octobre 2018, à Monterfil.

Gentil Puig-Moreno a commencé par s’appuyer sur des repères historiques, socioculturels et sociolinguistiques de la Catalogne, depuis le début de la marche hispanique de Charlemagne, en 830, jusqu’à la crise actuelle de l’indépendantisme. Il a évoqué la révolution industrielle du XIXe siècle, avec une bourgeoisie puissante, qui va générer un prolétariat catalan combatif et majoritairement anarchiste. Le XXe siècle sera marqué par l’avènement de la II République (1931-1939), enchâssée par deux dictatures, dont la longue et période franquiste (1939-1975), puis finalement les 40 ans de démocratie avec l’instauration de l’État espagnol des autonomies, jusqu’à la crise actuelle, provoquée par la campagne anticatalane de Mariano Rajoy et de la droite espagnole postfranquiste.

Puis, il a mis en évidence l’importance de la langue, véritable épine dorsale de l’identité catalane. Une langue qui, comme le français ou le breton, a mille ans d’existence derrière elle. Elle appartient au groupe linguistique gallo-roman, plus proche de l’occitan, du franco-provençal et du français, que du castillan (langue ibéroromane, avec l’asturo-léonais et le galicien). Dans le statut d’autonomie catalan, elle est considérée comme la langue historique du territoire, alors que le castillan est reconnu comme étant la langue de l’État espagnol, à vocation internationale. Le catalan est encadré par deux lois linguistiques (de 1983 et de 1989) qui permettent notamment l’enseignement généralisé par immersion dès l’âge de 4 ans, pour les enfants d’origine andalouse ou castillane.

Il a également mis l’accent sur la notion de « Nationalité » de la Catalogne reconnue dans le premier statut d’autonomie de 1979, sous le gouvernement de la Generalitat de Catalunya de Jordi Pujol, qui a duré 23 ans (de 1980 à 2003), puis sur celle de « Nation » approuvée lors du second statut d’autonomie de 2006, par le parlement espagnol de Rodriguez Zapatero, et par le gouvernement catalan de gauche, constitué par le PSC, ERC et I&V (de 2006 à 2010).

En définitive, pendant plus de 40 ans d’autonomie, et jusqu’à l’arrivée de Mariano Rajoy au pouvoir en 2011, le gouvernement autonome de la Catalogne s’est appuyé sur un catalanisme (non-nationaliste) progressiste, social et intégrateur, il a disposé de l’essentiel des compétences d’une nation, sauf celles relatives aux compétences régaliennes, comme la défense, la monnaie, les frontières, les affaires étrangères, etc.).

Mais ce qui a fonctionné pendant quarante années a brusquement été bloqué par une grave décision du Tribunal constitutionnel (l’équivalent du Conseil d’État français), qui en 2010, a annulé le second statut d’autonomie de 2006, sous la pression du gouvernement de Mariano Rajoy… À cette époque, en 2010, les indépendantistes ne représentaient que 2 % à 3 % de la population. Cette suspension, qui retirait des avancées sociales au peuple catalan, a entraîné un mouvement populaire exceptionnel, en réaction aux décisions de Madrid, qui a réuni, dès 2012, un million de manifestants favorables à l’indépendance de la Catalogne, dans la rue. Depuis, le mouvement pacifique et populaire va rapidement s’amplifier, chaque 11 septembre (fête nationale catalane) et compter jusqu’à 2 millions d’électeurs en 2015.

Le 1er juin 2018, lors de l’arrivée au pouvoir central de Pedro Sanchez (Premier ministre socialiste, du PSOE), il a proposé au gouvernement catalan de revenir à la situation antérieure du second statut d’autonomie, excluant la prise en compte du référendum du 1er octobre 2017 sur l’indépendance, car cela oblige de changer la constitution espagnole de 1978 qui, à son tour, nécessite une majorité des 2/3 des Cortès et du Sénat.

S’il convient de noter l’esprit d’ouverture du nouveau 1er ministre espagnol, qui a rétabli le dialogue entre le gouvernement central et celui de la Generalitat, la situation catalane, avec plus de 50 % de la population favorable à l’indépendantisme, semble aujourd’hui bloquée, dans l’attente des élections européennes et municipales de mai 2019.

En 2e partie de soirée, la parole a été proposée à Paul Molac, député de la circonscription de Ploërmel et Conseiller régional de Bretagne. Celui-ci a fait un rapide état des lieux de la situation très faible du fédéralisme en France et en Bretagne. Il a donné quelques pistes pour faire avancer la question de l’autonomie des territoires dans le contexte de la présidence Macron (projet de différenciation des régions) et évoqué la constitution très récente d’un 8e groupe à l’Assemblée nationale. Ce dernier, composé actuellement de 16 membres, classés au centre sur l’échiquier politique, et positionné sur la question des territoires, défendra l’autonomie fiscale, la révision constitutionnelle et s’efforcera de conscientiser les parlementaires français sur cette question, dont il n’est pas besoin de rappeler le jacobinisme généralisé, par opposition à la tradition « girondine » catalane.

> Fabrice Dalino

Fabrice Dalino habite dans le pays de Brocéliande. Il s'intéresse à l'écologie et plus précisément aux questions énergétiques.