La loi ORE (Orientation et réussite des étudiants) a mobilisé les université françaises et bretonnes pendant plusieurs mois. Pendants ces mois, à Rennes, nous avons pu observer des étudiants s’organiser et tenter de lutter contre un pouvoir central sourd à leurs revendications.
L’injustice ressentie par les étudiants était prégnante à chaque assemblée générale, et les regroupements donnaient l’impression qu’il y avait encore de l’espoir pour que cette loi ne passe pas. Malgré de fortes mobilisations les derniers mouvements sociaux n’ont pas permis un quelconque recul du gouvernement, déterminé à suivre sa politique anti-sociale.
Une assemblée générale des étudiants de Rennes 2 s’est réunie le mardi 2 octobre. Elle a rassemblé une centaine d’étudiants qui ont voté le blocage de l’université pour le mardi 9 octobre, journée de mobilisation nationale (intersyndicale, interprofessionnelle et étudiante). L’appel lancé pour la mobilisation avait pour objet de dénoncer les réformes anti-sociales d’Emmanuel Macron. De son côté, la présidence de l’Université Rennes 2, après avoir réunie une assemblée générale du personnel le jeudi 4 octobre dernier, a voté majoritairement contre le blocage de l’université. La présidence a rappelé le droit des étudiants à manifester en mettant en place une dispense d’assiduité de 10h à 15h, permettant ainsi aux étudiants de manifester. Le blocage de l’université le 9 octobre a pourtant eu lieu, jusqu’à l’intervention du personnel de sécurité de l’université et des forces de l’ordre appelées par la présidence de l’université. Les étudiants qui participaient au blocage ont fui lors de l’arrivée des gardes mobiles à l’université Rennes 2. Ces derniers ont été applaudis par un certain nombre d’étudiants. Le même jour avait lieu une manifestation contre les réformes anti-sociales du Président de la République dans les rues de Rennes, les forces de l’ordre y ont usé d’une violence démesurée ; mais malheureusement ce n’est plus surprenant.
Au degré de violence déployée par les forces de l’ordre répond en général une violence des manifestants en retour, défendant ainsi leur droit à manifester. Ce recours systématique aux forces de l’ordre par les instances publiques (l’université, préfecture de police) tend à stigmatiser et diviser les mouvements sociaux. Une question se pose alors : comment manifester son mécontentement si les cortèges sont encadrés par des cars de CRS ?
Lors des derniers mois de mobilisation qui ont secoués l’organisation du service publique universitaire, la mobilisation étudiante s’est essoufflée. Face au manque de considération de la part des pouvoirs publiques des enjeux étudiants, ces mouvements étudiants, frustrés, désertent les espaces de discussion ; séparant ainsi les militants les plus convaincus des autres étudiants. Le phénomène est similaire lors des manifestations. De moins en moins de personnes sont enclins à aller manifester, montrer son désaccord nécessite alors d’accepter une certaine violence de la part de l’État. Autrement dit, on ne sort pas indemne d’une manifestation : aller manifester, c’est toujours risquer de se faire gazer ou matraquer.
L’intervention des forces de l’ordre marque un tournant majeur suite aux mois de mobilisation. Cet acte de violence de la part de la présidence de Rennes 2 a rompu tout dialogue et espace de concertation. La présidence ne semble pas mesurer les enjeux en matière d’éducation et d’enseignement supérieur que suppose les décisions du gouvernement. Il faudra alors qu’elle comprenne la gravité de la situation. Il faut une mobilisation étudiante, pensée, démocratique, qui donne la place au débat ! Dans ce fait, il est nécessaire que l’université donne une réelle place aux étudiants qui veulent se mobiliser et inviter l’ensemble des étudiants à réfléchir à un projet d’avenir à notre société, car c’est de cela dont il s’agit.
Pendant ce temps, le 10 octobre dernier, les discussions à l’Assemblée Nationale portaient sur le coût engendré par les dégâts occasionnés aux Universités par la mobilisation étudiante contre la loi ORE. Selon Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, le coût serait estimé à 7 millions d’euros, seule élément retenu par le gouvernement, sourd au message des étudiants. Les dégradations sont pourtant la cause de cette surdité des pouvoirs publics. On ne devient jamais violent par plaisir. La radicalité étudiante s’exprime faute d’écoute.
D’autres, en revanche, ont entendu le message de cette mobilisation : des projets se mettent en place, des enseignants se mobilisent et prennent à leur niveau la mesure des enjeux. Si le seul pouvoir central décide théoriquement, chacun à son niveau peut faire quelque chose. L’Université volante a émergé pendant les mois de mobilisation. À l’origine, l’Université volante est une université illégale en Pologne. Créée en 1885 pendant la répression russe suivant la révolution polonaise, cette université donnait à tous le moyen de s’émanciper. Aujourd’hui, ce projet d’université expérimentale a bien germé.
Pendant la réforme de Parcoursup, le 31 mai 2018, 2000 personnes dont une majorité d’universitaires ont signés un appel pour créer une université plus en phase avec la réalité des enseignants chercheurs et des étudiants. Cette université a pour but de contrer les exigences d’évaluation des laboratoires de recherches, de trouver une alternatives aux conditions d’enseignements et de recherche de l’université publique. L’enjeu majeur de ce projet est de reconsidérer le rapport entre recherche et enseignement, loin donc de l’idée de l’Université productiviste, inégalitaire, élitiste, que propose le gouvernement français. Les statuts ont été rédigés, 600 cours ont été proposés. Une pierre symbolique a été posée dans le bois de Vincennes le 2 juin dernier. L’Université serait basée dans le département de Seine-Saint-Denis (93), elle est soutenue par un certain nombre d’élu.e.s locaux, 30 hectares seraient mis à disposition.
Peut-être dirons-nous que la violence ne mène à rien, mais c’est celle qu’impose systématiquement la présence des forces de l’ordre en manifestation qui conduit à déserter les espaces publiques. Faire de l’espace publique un espace de création et de changement devient alors compliqué, voire impossible (Nuit Debout par exemple). Le courage qui a été nécessaire à ceux qui se sont mobilisés a payé, dans une certaine mesure. La lutte doit continuer ; qu’elle soit force de création plutôt que de destruction.