Les juges espagnols enfoncent un coin dans la majorité catalane

La même semaine où l’extrême-droite philofranquiste montre de plus en plus sa force avec des mobilisations massives (10000 personnes rassemblées à Madrid dimanche 8 octobre, 65000 manifestants à Barcelone vendredi 12 octobre, le jour de la Fiesta de la Hispanidad), la justice espagnole – avec le soutien inconditionnel du gouvernement – a réussi à rendre caduque le résultat des élections remportées par les partis indépendantistes le 21 décembre 2017, après que le gouvernement espagnol ait suspendu l’autonomie, les députés, le gouvernement et le président catalan.

Malgré la manipulation de la campagne électorale, les candidats indépendantistes emprisonnés et inhabilités, les partis espagnolistes avaient perdu les élections et ce sont les 3 partis indépendantistes qui avaient obtenu la majorité absolue au Parlement de Catalogne. Ce que les anti-indépendantistes n’ont pas réussi à obtenir par le fonctionnement démocratique, les autorités espagnoles y parviennent donc un an après en menaçant les élus et les hommes politiques de la traduction devant les tribunaux et d’emprisonnement.

Ainsi, mardi 9 octobre, la crise a éclaté entre ERC et Junts per Catalunya (JxC) lorsque le président du Parlement de l’ERC a rejeté la validité des votes délégués des députés de JxC emprisonnés et de celui de Carles Puigdemont. La conséquence est la perte de la majorité des indépendantistes et la mise en péril de la continuité du gouvernement de la Generalitat menacée par l’opposition minoritaire espagnoliste maîtresse du jeu grâce à la suspension des députés indépendantistes. Contrairement à ERC, qui accepte que ses électeurs emprisonnés renoncent à leur droit de vote et désignent formellement leurs suppléants selon les exigences du juge instructeur, Pablo Llaren, Junts per Catalunya refuse l’injonction. Pour Puigdemont, Jordi Sànchez, Roger Rull et Jordi Turull, la demande du magistrat ne repose sur aucune disposition légale et tous jouissent donc de leurs droits politiques. Ils ont dénoncé cette semaine le non-respect du résultat des élections par des moyens non démocratiques (emprisonnement des élus, suspension des députés, empêchement des candidats, procédures et recours judiciaires) et font appel aux instances européennes pour garantir leurs droits.

« Victoire » espagnole

La presse, les partis et le gouvernement espagnols n’ont pas manqué d’interpréter la rupture de la majorité indépendantiste comme une « victoire » de la justice et de l’État sur les autorités et les élus catalans, en intimidant les députés et en paralysant la législature. Les élus de l’ERC ont fini par voter avec les espagnolistes (PS et Ciudadanos) pour rejeter le vote de ses alliés. La presse catalane a critiqué l’entrave au fonctionnement de la démocratie, sa manipulation et la vengeance des juges espagnols après l’échec du référendum du 1er octobre et des élections du 21 décembre 2017. La droite et l’extrême-droite espagnole de leur côté exigent chaque jour de plus en plus fort et sans complexe la suppression définitive de l’autonomie, l’arrestation des dirigeants catalans et l’illégalisation des partis indépendantistes.

Le Parlement répudie la monarchie et est à nouveau menacé

Jeudi 11, le Parlement de Catalogne a approuvé une motion qui, grâce au soutien des Comuns (Podemos), réprouve le roi Philippe VI et demande l’abolition de la monarchie. Bien que symbolique et sans valeur juridique, la déclaration a immédiatement été contestée par le gouvernement socialiste qui a annoncé une action en justice contre les institutions catalanes. Sur la même ligne dure, le ministre espagnol des Affaires étrangères José Borrell a organisé le lundi 8 octobre à Barcelone un sommet de l’Union pour la Méditerranée, refusant d’inviter la Generalitat qui héberge pourtant le siège de l’organisme, « parce que le président de Catalogne n’insulte pas l’Espagne et qu’il sache qu’il ne peut pas faire de chantage au gouvernement espagnol à une tribune telle que ce sommet », a déclaré José Borrell.

Échanges de refus

À l’approche de la fin de l’année, la tension augmente entre les gouvernements catalan et espagnol : Pedro Sanchez tente de boucler son budget pour 2019 et la Generalitat essaie toujours d’obtenir un dialogue sur le l’autodétermination. La situation a généré un échange de déclarations tonitruantes au cours de cette semaine. Le vendredi 12 octobre, Puigdemont a averti le président espagnol que le temps dont il disposait allait bientôt arriver à terme s’il n’avait pas de proposition concrète pour la Catalogne et qu’il pourrait prochainement perdre la majorité (évoquant la possibilité que les indépendantistes votent contre les socialistes à Madrid). Le gouvernement de Sanchez, de son côté, reste inflexible quant à la possibilité de discuter de l’indépendance (la vice-présidente Carmen Calvo a déclaré qu’« il n’y a pas eu de référendum légal en Écosse » [sic]), Sanchez proposant un référendum pour accroître l’autonomie des La Catalogne. Le samedi 13 juillet, le président catalan, Quim Torra, a répondu que la proposition d’une plus grande autonomie n’était d’aucun intérêt, car l’autonomie était complètement obsolète et que le seul référendum acceptable était celui qui déciderait de l’indépendance.

Pression judiciaire accrue

Au chapitre judiciaire, les prisonniers politiques (Cuixart, Sànchez, Rull et Turull) ont demandé la suspension de l’instruction du procès pour atteinte aux droits de la défense et graves irrégularités (la défense n’a pas accès à toutes les pièces de l’instruction), alors que le parquet a confirmé qu’il maintiendrait les accusations de « rébellion’ »contre les prisonniers catalans. Depuis la prison, Jordi Cuixart a déclaré qu’il ne voulait pas sortir rapidement mais avec dignité et que des condamnations constitueraient un tournant rendant effective la république. Le président du Parlement Roger Torrent et le vice-président du gouvernement catalan, Pere Aragonès, ont répété que l’acquittement serait le seul résultat acceptable des procès politiques. La justice espagnole le jeudi 11 octobre, a de nouveau convoqué l’ancien président Artur Mas (ainsi que ses ministres Rigau, Ortega et Homs) devant la Cour des comptes pour « détournement des fonds publics » lors de la consultation de la population sur l’indépendance le 9 novembre 2014. Or ceux-ci avaient déjà été inhabilités, soumis au paiement d’une caution de près de 3 millions d’euros avec saisie de leurs biens personnels et que le tribunal avait déjà déclaré qu’il ne s’agissait pas d’un référendum ni qu’ils avaient dépensé de l’argent public. Jordi Turull s’est vu également à nouveau traduit devant les tribunaux pour avoir fait don de ses biens à sa femme. Le tribunal n° 13 de Barcelone, après un an de procédure, a confirmé qu’il n’existait aucun indice de « rébellion » contre 37 hauts fonctionnaires et maires catalans et qu’il n’était pas compétent pour enquêter sur ces accusations. La présidente des Verts européens, Ska Keller, après avoir rendu visite aux prisonniers politiques, a exigé leur liberté.

18 000 manifestants en faveur de prisonniers

Ce week-end, en plus des manifestations permanentes de soutien devant les prisons, environ 18 000 personnes ont escaladé 18 sommets de montagnes catalanes choisis par les prisonniers pour manifester leur solidarité et exiger leur libération. À Barcelone, en 3 heures, environ 1 000 urnes du référendum ont été vendues pour alimenter la caisse de solidarité et un nouveau concert pour la liberté a eu lieu en Catalogne Nord samedi.

> Alà Baylac Ferrer

Contributeur. Maître de conférence à l’Université de Perpignan – Via Domitia (UPVD) en Catalogne du Nord, Alà Baylac Ferrer est spécialiste des langue et culture catalanes. Il est par ailleurs directeur de l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT). [Lire ses articles]