Entre désobéissance et point mort : la Catalogne en équilibre délicat

La réunion suspendue du Parlement de Catalogne mardi 2 octobre a mis en évidence le délicat équilibre dans lequel se trouvent les institutions catalanes afin de progresser vers l’indépendance effective de la république proclamée le 27 octobre 2017. Prises en tenaille entre les menaces du gouvernement espagnol de nouvelles interventions (suspension de l’autonomie et détention de responsables politiques) et les manifestations populaires de désobéissance civile et de rupture unilatérale avec l’Espagne, les autorités catalanes ne trouvent toujours pas le moyen de rester fidèles au mandat des citoyens tout en préservant les institutions (Generalitat, municipalités) ce qui implique la soumission au pouvoir de l’État.

La tension entre les deux principaux partis indépendantistes au gouvernement – ERC et Junts per Catalunya – s’est traduite la semaine dernière par des négociations marathon pour préserver la continuité de l’alliance et de la législature actuelle. Le vendredi 5 octobre, le président Torra (JxC) et le vice-président Pere Aragonès (ERC) se sont rencontrés pour assurer « la continuité du gouvernement jusqu’à la fin des procès politiques ». La réunion du Parlement a été suspendue jusqu’à la semaine suivante et l’accord trouvé entre les deux partenaires a permis d’éviter la crise, avec une solution provisoire : d’un côté le Parlement a rejeté la décision du juge Pablo Llarena de suspension des députés emprisonnés et exilés, mais en même temps, il leur demande de déléguer formellement leur vote à des représentants élus non inculpés. Ce qu’ils devront faire (ERC y était favorable alors que JxC ne souhaite pas matérialiser la signature d’un document dans ce sens). Carles Puigdemont, par exemple, refuse de demander par écrit la délégation de son vote jugeant qu’il jouit de tous ses droits en tant que député et qu’il les exerce déjà par l’intermédiaire d’autres représentants élus du Parlement.

La société catalane, face à ce désaccord, montre son impatience et son désarroi en critiquant les politiques : les entités civiles et la CUP réclament des faits concrets et soutiennent qu’il de faut pas se soumettre aux nouvelles menaces espagnoles. La situation est d’autant plus compliquée qu’il n’y a pas de solution entre garantir le fonctionnement des institutions autonomes (espagnoles) et rompre les relations avec l’État et assumer formellement la république en provoquant automatiquement de nouvelles poursuites judiciaires et une prise de pouvoir directe de Madrid. Elisenda Paluzie, présidente de l’ANC, a appelé à un plan pour rendre la république effective et demande aux politiques qui ne pourraient pas l’assumer de démissionner.

Nouvelle menace de répression de Madrid

Le gouvernement espagnol de son côté a de nouveau menacé directement et immédiatement : si le président de la Generalitat ou le Parlement prennent des décisions contraires à la Constitution, le gouvernement de Pedro Sanchez n’hésitera pas à réprimer. Face à ce dilemme, ERC est plus dans la perspective de changer la feuille de route et la stratégie (se situant plus dans le long terme et le pragmatisme, ce qui implique de se soumettre aux institutions espagnoles) alors que la CUP et Junts per Catalunya sont favorables à l’affrontement avec l’Espagne et à la rupture, même si cela implique une répression automatique (privilégiant le court terme et une position plus idéaliste et symbolique). Les socialistes continuent à subir des pressions de la droite (PP et Ciudadanos) qui réclament une nouvelle suspension de l’autonomie. Cette semaine, le PP a officiellement demandé au Sénat de tenir un débat sur les « prisonniers politiques » afin d’empêcher par la loi que les condamnations pour rebellion ne soient amnistiées. L’extrême droite (Vox) ajoute plus de tension en portant plainte contre le Parlement catalan à chaque décision indépendantiste.

Ultimatum de Torra

Le président catalan a surpris mardi 3 octobre avec le lancement d’un ultimatum au gouvernement espagnol : soit avant un mois il autorise un référendum légal soit le soutien aux socialistes ne sera plus garanti. Ce qui impliquerait d’aller à des élections générales. La réponse de Madrid a été immédiate : il n’y aura ni référendum ni négociations. La porte-parole du gouvernement espagnol, Isabel Celaá, a même évoqué la possibilité d’une suspension de l’autonomie pour une durée indéterminée. Et les socialistes ont confirmé la décoration d’Enric Millo (du PP) qui avait dirigé la répression en Catalogne pendant la suspension de l’autonomie. Torra est allée encore plus loin (les espagnolistes l’accusant d’attiser le conflit) en avertissant que toute condamnation des indépendantistes légitimerait l’indépendance et que personne, ni la société ni lui-même, n’accepterait une peine défavorable. Il a annoncé que les procès constitueraient une nouvelle occasion d’exercer l’autodétermination.

Énorme manifestation pour commémorer le référendum

Les événements en Catalogne ont tendance à se précipiter et à accélérer l’actualité. Le lundi 1er octobre, en commémoration du référendum sur l’indépendance de l’année précédente, quelques 200 000 personnes ont défilé dans les rues de Barcelone et des centaines d’autres manifestations ont eu lieu dans tout le pays : coupures de routes, d’autoroutes et de TGV, manifestation contre la bourse et les pouvoirs économiques, grève des étudiants et des lycéens, occupation des portes du Parlement, ouverture des écoles, défilés, actes symboliques, appel des CDR et des entités indépendantistes. Les cris des manifestants sont toujours clairs et déterminés : « Référendum : nous avons voté, nous avons gagné ! » et « Les rues seront toujours à nous ! », exigeant des hommes politiques l’application du résultat du référendum.

Nouveaux témoignages de la répression

Un an après, les médias catalans ont saisi l’occasion pour diffuser de nouvelles images, de nouveaux reportages et de nombreux témoignages de la répression violente exercée par la police. Un long reportage sur le site Vilaweb a également expliqué comment la Catalogne Nord avait rendu possible le référendum grâce à la collaboration clandestine directe de dizaines de personnes au nord de la frontière française. De nombreux témoignages mettent en lumière le choc subi par les Catalans lors de la répression et montrent le traumatisme et la rupture avec l’Espagne qui a été opérée dans les esprits.

Sur le front judiciaire

Les prisonniers politiques enregistrent des refus constant de remise en liberté : cette semaine, c’est Montserrat Bassa qui l’a appris par la presse… Et Roger Rull a dénoncé que les magistrats se vantaient de retarder les recours des prisonniers devant la cour européenne. Le gouvernement catalan s’est constitué partie civile dans tous les procès contre les indépendantistes. Le bilan rendu public par les autorités catalanes a indiqué que la répression espagnole du 1er octobre et des jours suivants avait été chiffrée à 50 interventions directes contre la presse, l’ouverture de courriers privés et le blocage des envois par la Poste et des sociétés privées, 712 maire poursuivis en justice pour avoir collaboré avec le référendum, la fermeture de 140 sites sur internet (et la paralysie de tout le domaine « .cat ») et d’applications soupçonnées d’être liées au référendum, 1 066 blessés, 68 équipements publics détériorés par la police. Enfin, les médias ont également annoncé que le gouvernement espagnol avait retiré des milliards d’euros des banques catalanes (Caixa i Banc de Sabadell) pour les contraindre à retirer leur siège social de Catalogne.

> Alà Baylac Ferrer

Contributeur. Maître de conférence à l’Université de Perpignan – Via Domitia (UPVD) en Catalogne du Nord, Alà Baylac Ferrer est spécialiste des langue et culture catalanes. Il est par ailleurs directeur de l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT). [Lire ses articles]