Paris est-elle « la seule ville de France » ?

Le journal L’Express a publié une interview de l’écrivain Aurélien Bellanger, auteur notamment de deux ouvrages : L’aménagement du territoire et Le Grand Paris chez Gallimard. Le titre de cette interview : « Il n’y a qu’une seule vraie ville en France, c’est Paris ». Il n’en fallait pas plus susciter les commentaires, voire les insultes de bon nombre de militants bretons… et pourtant, il a raison !

Pourquoi une telle levée de boucliers devant un titre provocateur ? C’est que ceux qui n’habitent pas Paris refusent d’être considérés, encore aujourd’hui, comme des ploucs ! Mais pour ceux qui ont lu la courte interview, ce n’est pas ce que dit Aurélien Bellanger. Il affirme simplement une réalité : la centralisation. « Si on veut détenir du pouvoir économique, culturel et bien sûr politique, il n’y a pas vraiment d’alternative. La proximité des instances de gouvernement, des médias, des sièges sociaux des grandes entreprises, tout cela fait que Paris reste la capitale des ambitieux de France. », explique-t-il. N’est-ce pas, justement, ce que nous dénonçons ? La concentration et même la confiscation, sur quelques kilomètres carrés, de la richesse française. Monter à Paris, comme certains aiment le dire, a toujours représenté, aux yeux du plus grand nombre, une réussite sociale. Quand bien même aujourd’hui on assiste à une arrivée massive de cadres dans les villes que sont Rennes ou Nantes, l’auteur a raison : « l’argument de la qualité de vie est une façon de requalifier ou d’abandonner ses rêves. Paris ne pose aucun problème aux gens qui réussissent ». Abandonner ou requalifier ses rêves… pour un parisien ! Mais rêve-t-on des mêmes choses ici en Bretagne ?

L’interview d’Aurélien Bellanger est au contraire extrêmement intéressante car elle dévoile une réalité sociologique, économique et politique. « Paris écrase démographiquement les autres villes », écrit-il. Évidemment ! Et on mesure bien le paradoxe de certains militants bretons qui voudraient que la Bretagne se développe sans avoir les désavantages des grandes villes ! Soyons très clairs : le jour où la Bretagne disposera de son autonomie, elle attirera davantage de monde ou plus précisément, elle retiendra plus de monde en son sein. Et quand Aurélien Bellanger estime que sur 12 millions d’habitants à Paris, seuls 2 sont traités comme de véritables résidents, il a encore une fois mille fois raison. « C’est un échec majeur d’intégration urbaine, un véritable naufrage urbanistique de la région parisienne. » affirme-t-il. Et comment pourrait-il en être autrement ? La ville de Paris ne s’est pas développée par elle-même, elle a vampirisé les territoires de France. Mais vivre-ensemble ne se fait pas en un jour. Parfois, cela ne se fait pas du tout. C’est justement un des risques qui guette la Bretagne ! L’incapacité que nous avons à retenir les jeunes Bretons associée à l’attrait colossal de notre territoire se traduit par un bouleversement démographique et sociologique qu’il faut anticiper. Car même si de nombreux nouveaux arrivants s’intègrent bien, d’autres imposent leurs façons de voir.

La seule objection que nous autres autonomistes pourrions faire, c’est sur cette phrase : « De mon point de vue, ce serait une erreur d’aller vivre ailleurs ». Encore que, là encore, il s’exprime comme un parisien, avec les codes d’un parisien. On mesure aujourd’hui à quel point les villes de Nantes et Rennes sont « accueillantes ». Chaque année, ce sont des milliers d’habitants qui débarquent, principalement de Paris ou de sa banlieue, apportant avec eux leur vie, leur débat, leur culture. « Aujourd’hui, ce qu’on voit dans des villes comme Nantes, Bordeaux, Lyon, c’est une série de symboles de la ville et de la vie parisienne : de bons restaurants, des loisirs raffinés, des déplacements alternatifs ; en bref, des centres-villes à la mode parisienne, en plus fonctionnels et moins denses. Et une élite qui reprend les mêmes codes. », estime Aurélien Bellanger. N’importe qui ayant vécu à Nantes ou Rennes pourra vous le dire : la parisianisation est engagée. Il ne s’agit pas seulement de l’embourgeoisement, mais d’un certain nombre de thèmes de discussion venant des plus grandes villes et qui sont en contradiction avec les pensées plus traditionnelles, des façons de réfléchir issues « du pays ».

Comprenons-nous bien : tout n’est pas mauvais dans l’apport des villes. Pendant des décennies, le monde politique breton s’est battu pour que nous puissions nous développer nous aussi, développer notre culture, notre économie. Or, ce que nous vivons, ce que le monde politique parisano-centré nous vend, c’est une illusion. Car la Bretagne croît de façon exogène, avec des forces vives extérieures, des gens qui découvrent la Bretagne et des villes qui poussent de façon individuelles. Or, la Bretagne n’est pas une ville, ni une addition de villes, c’est un pays. Ce pays qui est le nôtre ouvre les bras, mais à condition que les Bretons puissent continuer de s’exprimer ! Au final, ne disons-nous pas la même chose qu’Aurélien Bellanger quand il affirme que « grâce aux TGV, de petits Paris se reproduisent en province » ? Est-il nécessaire de passer par la case « Paris » pour nous développer ? Pour être ambitieux ? A nous de prouver que l’on peut vivre ailleurs qu’à Paris sans pour autant être des ploucs ! Il nous appartient d’inventer un urbanisme qui n’exclut pas, de maintenir le lien entre les générations, de penser un développement qui soit nôtre tout en accueillant « l’étranger ». Cette interview de L’Express mérite décidément mieux que des insultes !

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]