Les socialistes espagnols envoient 600 policiers anti-émeutes en Catalogne !

Pedro Sanchez

L’actualité politique catalane de la semaine a été marquée par la conférence solennelle du président de Catalogne (lundi 3 septembre au Théâtre national de Catalogne et diffusée à la télévision et à la radio catalanes), conférence au cours de laquelle il a réitéré l’engagement ferme des indépendantistes et des institutions catalanes en faveur de la déclaration d’indépendance et de la défense des prisonniers politiques.

Deux jours plus tard par le gouvernement espagnol y répondait en décidant de poursuivre la méthode répressive de Rajoy et du PP et d’envoyer 600 policiers anti-émeutes en Catalogne. Pedro Sanchez continue son exercice d’équilibriste, entre carotte et bâton, en maintenant un dialogue minimum avec les institutions catalanes, mais sans cesser de menacer d’intervenir à nouveau pour suspendre l’autonomie catalane.

La déléguée du gouvernement espagnol en Catalogne, Teresa Cunillera, justifie l’envoi unilatéral de policiers en Catalogne par la nécessité de protéger les bâtiments du gouvernement central lors des manifestations de masse prévues pour marquer les célébrations de la Diada, la fête nationale de Catalogne, ce mardi 11 septembre et du référendum d’indépendance du 1er octobre. Le gouvernement de la Generalitat a répondu que la police catalane avait la compétence en matière de sécurité et d’ordre public en Catalogne, qu’elle fait son travail de manière très professionnelle et qu’elle n’a pas besoin d’aide.

L’appel du président Torra à la mobilisation

La conférence donnée par le président Quim Torra avait suscité de grandes attentes dans les médias espagnols qui espèrent toujours une rectification de la feuille de route indépendantiste. Le président du gouvernement, avec le soutien d’ERC, a confirmé la position des autorités catalanes face au gouvernement socialiste : offre de pourparlers pour négocier un référendum ou poursuite de la construction de la République catalane. Le président catalan a répété la volonté du Parlement et du gouvernement de remettre en place les nombreuses lois sociales annulées par le Tribunal constitutionnel et a réaffirmé la demande non négociable de libération des membres du gouvernement catalan, de la présidente du Parlement et des dirigeants des organisations civiques, ainsi que le classement des procédures judiciaires. Il a complété la demande en déclarant que les Catalans n’accepteront jamais une condamnation des prisonniers et que si elles se produisent, il se mettra à la disposition du Parlement de Catalogne et fera ce qui lui sera demandé. En prévision d’une montée de la tension avec les manifestations de l’automne et l’ouverture des procès, le président Torra a appelé la société catalane à se mobiliser de manière permanente pour la république.

Plus de 400 000 inscrits à la manif du 11 septembre

À 24 heures de la manifestation de la Diada, la fête nationale de Catalogne, organisée par les deux organisations civiques, l’Assemblée nationale catalane et Òmnium cultural dont les présidents, Jordi Sànchez et Jordi Cuixart respectivement sont en prison sans procès depuis bienôt un an), plus de 400 000 personnes se sont inscrites pour participer à remplir les 10 km de l’Avinguda Diagonal à Barcelone. Quelques 1 350 autobus ont été organisés de toute la Catalogne et des Pays Catalans, et les organisateurs ont déjà vendu plus de 260 000 t-shirts avec le slogan « Fem la república catalana » (Faisons la république catalane).

Mobilisations et grèves générales ?

Au-delà de la fête nationale, les politiques catalans – le vice-président Pere Aragonès – prévoient que sans proposition ou initiative de Madrid, les indépendantistes ne pourront pas continuer de soutenir les socialistes et Pedro Sanchez seront responsables si la situation se détériore ou dégénère. Un an après les violences policières contre les électeurs du référendum et après la déclaration d’indépendance, les organisations civiques et les entités indépendantistes réfléchissent à la manière de concrétiser un mouvement de mobilisation permanente. On parle d’une grève générale et de répéter un « blocage du pays » comme le 3 octobre 2017, grève considérée illégale par Madrid et qui s’est traduite par des centaines de poursuite judiciaires (toujours en cours) contre les manifestants

51 % favorable à l’indépendance

Un récent sondage du journal El Español (9/9/2018) montre que les opinions favorables à l’indépendance ont tendance à augmenter, avec 51,1 % pour la république, soit un point de plus que l’an dernier. Et 53 % qui pensent que l’indépendance va bientôt se concrétiser.

Puigdemont a participé dimanche en Suisse à la fête du peuple jurassien et a rejeté l’idée de Sanchez d’un nouveau référendum sur statut d’autonomie pour la Catalogne, indiquant que les Catalans avaient déjà approuvé en référendum le nouveau statut en 2006, statut annulé par le Tribunal constitutionnel. ERC rejette également un nouveau statut et prévoit uniquement de voter pour l’autodétermination, ce que rejettent les socialistes, le PP et Ciudadanos. La droite et les populistes exigent même une nouvelle suspension de l’autonomie catalane et s’opposent à tout nouveau statut tandis que les socialistes menacent d’une nouvelle suspension de l’autonomie s’il se produisait de nouveaux « faits illégaux ».

Le moral des prisonniers est bon

Du côté des prisonniers politiques, la semaine a été marquée par la visite de députés européens socialistes qui ont dénoncé le scandale de leur emprisonnement et ont réclamé leur libération. Oriol Junqueras, le vice-président du gouvernement de Puigdemont, a indiqué qu’en cas de condamnation, il ne demanderait pas à être gracié parce qu’il n’est coupable de rien. Et Jordi Cuixart, le président emprisonné d’Òmnium Cultural depuis le 15 octobre 2017, a averti qu’il fallait se « préparer à assumer qu’il pourrait y avoir d’autres dirigeants emprisonnés ». Sans surprise, les tribunaux espagnols ont refusé les recours contre les juges pour partialité, la procureur socialiste a confirmé les charges pour « insurrection violente en Catalogne » et les tribunaux ont demandé deux ans et demi de prison contre 11 membres des CDR (Comités de défense de la république) qui ont manifesté pour la défense des prisonniers politiques. L’Association Avocats Européens Démocrates a dénoncé les attaques et les menaces reçues par les avocats des exilés, demandant leur protection. Le barreau de Madrid a refusé de prendre la défense de l’avocat de Puigdemont, Boye, tout en soutenant le gouvernement espagnol qui a payé 500 000 euros pour défendre le juge Llarena convoqué par le tribunal belge. Le leader des socialistes catalans s’est même permis de menacer les prisonniers catalans en faisant remarquer que de l’attitude des partis indépendantistes pouvait dépendre de l’issue des procès. Le président Torra a qualifié d’« intolérables et indécentes » ces propos qui « montrent que les procès contre les indépendantistes sont une farce ».

> Alà Baylac Ferrer

Contributeur. Maître de conférence à l’Université de Perpignan – Via Domitia (UPVD) en Catalogne du Nord, Alà Baylac Ferrer est spécialiste des langue et culture catalanes. Il est par ailleurs directeur de l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT). [Lire ses articles]