Répression, résistance, négociations, agressions et commémorations en Catalogne

Photo datant d’août 2017. Elle représente Carles Puigdemont (en exil depuis 288 jours), Joaquim Forn (en prison depuis 285 jours) et le chef des Mossos, Josep Lluís Trapero, dégradé malgré ses états de service pour avoir protéger le référendum catalan.

Rien ne change et les mêmes attitudes et actions espagnoles hostiles à la Catalogne – avant avec le gouvernement du PP, maintenant avec le PSOE – continuent malgré la canicule de l’été.

Les médias sont monopolisés par la commémoration des attaques l’an dernier sur la Rambla de Barcelone, le 17 août : le roi d’Espagne, persona non grata en Catalogne, s’y est quand même invité, alors que le ministre catalan de l’Intérieur Joaquim Forn, et l’ancien chef de la police catalane, Josep Lluís Trapero, qui ont démantelé la cellule terroriste et géré la crise sont respectivement en prison et accusés d’« appartenance à une organisation criminelle » pour le référendum sur l’indépendance. Les associations civiques catalanes ont annoncé un hommage aux « héros » catalans et attendent des manifestations contre la présence des autorités espagnoles. Ceci sur fond de révélations de plus en plus surprenantes sur la relation de la police espagnole avec le cerveau des djihadistes auteurs du massacre. Il était l’imam de Ripoll et confident de la police espagnole, qui lui avait rendu visite plusieurs fois avant l’attaque. Sa disparition n’avait pas été signalée à la police catalane. Et pendant ce temps, le gouvernement socialiste maintient toujours le veto de l’Espagne à l’intégration de la police de Catalogne au réseau Europol.

Répression

Au chapitre de la répression, on a appris il y a quelques jours que des dizaines de policiers catalans sont poursuivis devant les tribunaux pour ne pas être intervenus lors du référendum. Dimanche 12 août a été le 300ème jour de détention provisoire des présidents d’Òmnium Cultural, Jordi Cuixart et de l’ANC – Assemblée nationale catalane – Jordi Sanchez, comme de dangereux terroristes, en attendant leur procès prévu pour la fin de l’année. Un site web détaille tous les jours pour chaque prisonnier politique et exilé le compte des jours de détention et d’exil et permet d’envoyer des lettres. Les périodes d’emprisonnement et d’exil vont de 286 à 182 jours pour les ministres du gouvernement de Puigdemont et la présidente du Parlement. La présidente du Parlement gallois a déclaré cette semaine qu’elle était « consternée » par l’emprisonnement de Carme Forcadell, l’ancienne présidente du Parlement catalan. Les prisonniers ont réclamé pour la énième fois leur libération dénonçant en même temps l’illégalité des maintiens en détention et la violation des droits et libertés les plus élémentaires. La presse a également révélé les liens des juges chargés des procès des indépendantistes avec le PP. Le magistrat qui examine les demandes de récusations était sénateur du PP…

Résistance

Parallèlement aux poursuites, des actes et des manifestations de résistance de la société catalane sont continuellement organisés. De plus en plus de gens se concentrent tous les dimanches devant la prison des Lledoners (à 50 km de Barcelone) pour organiser un concert et demander la libération des prisonniers: cette semaine ils étaient plus de 5000 à chanter le Cant dels ocells. Le gouvernement catalan pour sa part continue à réparer les dommages causés par la suspension de l’autonomie ; il a lancé le concours pour nommer les délégués de la Generalitat en France et aux États-Unis et est en train de remettre en service l’agence fiscale catalane supprimée par Rajoy. Le ministre de l’Intérieur catalan, Miquel Buch, a demandé officiellement dans une lettre à son homologue espagnol d’autoriser l’envoi par la Generalitat d’une escorte à l’ex-président Puigdemont en Belgique (demande refusée à ce jour). Le ministre catalan a rappelé que c’était un droit de tous les anciens présidents, et que Puigdemont n’était en aucun cas un fugitif (il a quitté l’Espagne avant que Madrid ne le poursuive et s’est toujours présenté devant la justice belge) ; jusqu’à présent, il a fait l’objet de plus de 300 menaces. Le président Torra a dit cette semaine que les Catalans n’admettront pas de verdicts humiliants pour les prisonniers catalans et a demandé le classement des affaires. Il a ajouté que les élections espagnoles dépendent maintenant de la résolution des procès (la majorité de Sànchez dépend du vote des indépendantistes).

Négociations

En ce qui concerne les négociations, plusieurs voix ont été entendues ces derniers jours. Le président catalan, Quim Torra, a exprimé sa volonté de ne pas tenir compte de la proclamation de la République catalane le 27 octobre 2017 si le gouvernement espagnol autorisait un référendum d’autodétermination. Il ajoute, cependant, qu’il ne renonce à aucun moyen, y compris des décisions unilatérales, pour que l’indépendance soit effective en cas de rejet du dialogue de Madrid. Et en termes de politique intérieure catalane, face à la perspective que la CUP – Candidature d’Unité populaire – de ne pas voter le budget 2019, le président propose de dissoudre le Parlement et d’avancer les élections, bien que le partenaire ERC, par la bouche du vice-président et ministre de l’Économie, Pere Aragonès, prévoit que les négociations aboutissent à un accord sur le budget, même s’il s’avère nécessaire d’étendre les discussions aux Comuns et aux socialistes.

Les agressions

Au quotidien, Ciudadanos et ses alliés d’extrême droite – les militants de Vox et du PP – continuent de faire augmenter la pression dans la rue en multipliant les agressions contre les personnes et les institutions indépendantistes. Lundi 13 août, ils ont déposé une plainte contre le président Roger Torrent et le bureau du Parlement pour avoir accepté une motion de la CUP qui revendique la ratification de la déclaration de rupture du 9 novembre 2015 pour atteindre la République, un « plan illégal » pour Ciudadanos. La veille, des grafittis sont apparus sur le mur de l’église de Pals contre une banderole en faveur de la liberté des prisonniers politiques et un moine de Montserrat a rendu public les menaces de mort dont il a été l’objet après qu’il eut prononcé une homélie favorable au référendum. Ciudadanos encore a attaqué le balcon de l’hôtel de ville de Reus en pleine journée pour arracher une banderole en faveur des prisonniers. Et des policiers espagnols se sont félicités de l’agression d’un photographe par un agent des forces de sécurité. Ce qui a valu une demande officielle du président catalan au ministre espagnol de l’Intérieur de sanctionner ces attitudes. À Majorque, où les manifestations en faveur de la liberté des prisonniers se multiplient, un groupe de militants espagnolistes et d’extrême-droite ont molesté les journalistes de la télé des îles Baléares qui couvraient une manifestation ainsi que les manifestants qui protestaient contre la présence du roi.

La tension et l’incertitude se poursuivent donc et la crise catalano-espagnole devrait s’accentuer à mesure que l’on se rapproche de la rentrée. Chaque parti maintient ses positions et ses points de vue : le ministre espagnol des Affaires étrangères, le très espagnoliste Josep Borrell par exemple, a nommé toute l’équipe des Affaires étrangères de l’ancien gouvernement du PP à des postes de diplomates. De son côté, l’ex président Carles Puigdemont confiait dans une interview à Der Spiegel, qu’il pensait que les exilés retourneraient bientôt en Catalogne.

> Alà Baylac Ferrer

Contributeur. Maître de conférence à l’Université de Perpignan – Via Domitia (UPVD) en Catalogne du Nord, Alà Baylac Ferrer est spécialiste des langue et culture catalanes. Il est par ailleurs directeur de l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT). [Lire ses articles]