Pour la troisième fois, l’Union démocratique bretonne organisait sur l’île de Groix un stage de breton destiné aux débutants. Pour cette édition, le parti avait décidé d’augmenter un peu le nombre de stagiaires, passant d’une quinzaine de personnes à plus d’une trentaine. Les demandes ayant explosé, impossible de répondre positivement à tout le monde, d’autant que le stage était ouvert au-delà des rangs de l’UDB. Un stagiaire, Pierrick, nous raconte son stage.
Apprendre le breton sur l’île de Groix avec l’UDB ? Drôle d’idée… Lorsque cette proposition m’a été faite au printemps dernier, le Parisien d’origine bretonne que je suis n’aurait même pas pu situer l’île de Groix sur une carte. Le principe m’est simplement exposé par mes amis qui s’avèrent être des militants investis dans la cause bretonne : durant une semaine, une trentaine de personnes de tout âge et de tout horizon, se regroupent pour apprendre la langue bretonne le matin et participer à diverses activités culturelles et touristiques l’après-midi. Le tout se déroulant dans un décor hors du commun : l’auberge de jeunesse de l’île de Groix composée de dortoirs se terrant dans une batterie de blockhaus couverts de fresques peintes dans un style « hippie chic ».
Ce séjour, au tarif battant tous les records car tenant encore en deux chiffres, est organisé par l’UDB. L’UD… quoi ? Mes amis m’expliquent qu’il s’agit d’un parti politique de gauche né dans les années 60 qui propose un projet de société tourné vers l’autonomie de la Bretagne tout en demeurant progressiste et refusant de faire de la « question bretonne », une question purement identitaire.
OK si je résume, je risque de me retrouver durant une semaine avec une poignée de post-soixante-huitards, hippies sur le retour, qui veulent apprendre le breton car leur grand-mère leur chantait des comptines en breton, des guérilleros ayant fait de la cause bretonne l’alpha et l’oméga du sens de leur existence, des Ayatollahs du bignou et de l’an dro, des bigoudènes joueuses de scrabble en version bretonne qui défient le temps… Bien sûr que je signe !
Je n’y connais rien à la Bretagne mais je sens bien que ces gens sont animés par une aspiration commune. En fait, je crois qu’à leur image, j’aimerais devenir Breton quand je vois leurs yeux briller au seul son d’une bombarde. Il y a chez eux, un fil invisible qui les relie – celui de l’histoire, des valeurs, d’un idéal en voie de disparition ? – et fait leur force. J’aimerais dénouer ce fil et voir dans quelle mesure je peux me laisser embobiner. Autrement dit, peut-on devenir Breton quand on n’est pas né « en l’état » ?
Après 2h de route depuis Nantes, 45 minutes de traversée depuis Lorient, j’arrive sur la fameuse île de Groix, à propos de laquelle je ne sais rien, si ce n’est que ce fut longtemps le 1er port français de thoniers, point de conversation qui me vaudra l’attention, au moins quelques secondes, de mes comparses-nés-bretons-eux.
La première surprise fut que mon regard, autant que je m’en souvienne, ne croisa pas l’ombre d’un panneau en langue bretonne lors de mon arrivée à Port Tudy. Étrange ! Chez moi, à Nantes, les plaques de rues bilingues fleurissent dans le centre-ville, une île de 8 km sur 3, fantasmée dans ma tête comme l’un des derniers bastions des bretonnants natifs, aurait, elle, déjà subi les ravages de l’unilinguisme d’État ? Quelques minutes de marche suffisent pour rejoindre depuis le port la fameuse auberge de jeunesse que j’imagine entre Woodstock et Burning Man version « conserverie la belle-îloise ». L’accueil de la part des organisateurs est extrêmement chaleureux même quand on me demande si je suis né dans le pays trégorois, léonard ou vannetais et que je réponds dans le pays dionysien (version 93).
Mes co-stagiaires débarquent également, les profils sont variés mais tous me frappent par leur ouverture d’esprit. M. me confie être militante de l’UDB de la première heure, adhérente depuis 1977, je n’étais même pas né… Y. a tenu une crêperie pendant des années dans le Trégor, a honoré plusieurs mandats d’élue locale mais me précise ne plus vouloir mettre un pied dans la politique, laissant la place aux jeunes… J.C., lui, fait office de combattant de la première heure, il parle un breton vannetais, raison pour laquelle je ne comprends pas un mot, malgré une année passée à apprendre les rudiments du breton avec Kenteliou an Noz à Nantes. G., probablement notre doyenne, porte un t-shirt sur lequel est inscrit « Pourquoi apprendre l’américain ? Demain le monde entier parlera breton ». C., après avoir été éleveuse de chevaux en Ardèche, me livre avoir été également bucheronne. E. , 17 ans, m’impressionne par l’étendue de ses connaissances en langue bretonne quand elle me révèle habiter Rennes, lieu peu bretonnant s’il en est, et ne faire qu’un ou deux stages de breton par an… Voici quelques-unes des personnalités attachantes qui vont partager ma semaine.
Et si nous commencions notre semaine de stage par un chant collectif pour fédérer les troupes ? Nous voilà perchés, une feuille à la main, sur le toit d’un blockhaus avec une vue imprenable sur la rade de Lorient à chanter, ou du moins tenter, Medisin ar c’hleuzioù (« le médecin des talus »). Tout le répertoire de la botanique et de l’horticulture y passe, en breton qui plus est. Sérieusement, je sais à peine dire « bonjour » en breton et je vais devoir décrypter (ou faire semblant) un herbier dans la langue de Denez Prigent ? Aubépine, prunelier, fougère, hêtre, chêne… Visiblement, la langue bretonne s’appréhende au contact de la nature. Nature toujours, les raisins des vins rosé et rouge se partagent pour l’apéro d’accueil.
La convivialité s’installe, c’est « drôle » (ce qui se rapproche davantage à « étrange » en breton comme je l’apprendrai plus tard) : ces personnes que je connais depuis quelques heures seulement me semblent tellement familières, dans le bon sens du terme ! Enrichi de ces premiers contacts, je prends mes quartiers dans le blockhaus n°6, aka « Port Tudy ». L’aspect spartiate de l’endroit, loin de me gêner, me sied, comme une sensation de retour à l’essentiel : le repos du guerrier, l’envie de me nourrir de tous ces gens, d’apprendre à leurs côtés, de me « bretonniser » tout simplement…
Les matinées sont rythmées par 3h de cours où je découvre notamment qu’en langue bretonne, il existe 5 formes du verbe « être », que l’adjectif « vert » existe sous deux formes, selon qu’il s’agisse d’un vert artificiel ou naturel, et que les mots peuvent subir des mutations… Comment expliquer que le mot « chien » pourrait devenir « kien » ou « gien » dans une phrase en fonction du mot qui le précède ? Mais bien sûr, faisons-en une chanson, comme le font les Bretons, pour mieux comprendre ! Nos professeurs deviennent tour à tour chefs de chœur, maîtres de jeux, metteurs en scène de théâtre, grammairiens, et, au fil des jours, voilà que nous, stagiaires, « baragouinons » !
Les après-midis sont libres, plusieurs activités nous sont proposées : ballade nature pour découvrir les plantes comestibles et médicinales endémiques, visite de l’écomusée de Groix et rencontre avec José Calloc’h, le Dernier des Mohicans. José est l’une des deux dernières personnes de l’île à parler le « groisillon », le breton issu du Vannetais propre aux insulaires. Cet homme m’émeut. Investi d’une mission quasi perdue d’avance, il nous relate les us et coutumes de ses ancêtres, l’histoire de l’île, ses combats, ses valeurs. J’ai comme l’impression d’être face à une bibliothèque qui prend feu… Je m’interroge, n’est-ce pas cela finalement être Breton, se sentir gardien d’un héritage qui fond comme neige au soleil au profit du sacro-saint « multiculturalisme » ? José nous invite, implicitement, tous autant que nous sommes, à prendre le relais…
À Groix, comme partout en Bretagne, il y a les journées mais il y a également et surtout les soirées. D’ailleurs, quelle autre langue au monde peut se prévaloir de fêtes nocturnes et diurnes, autrement dit « festoù noz » et « festoù deiz » ? On nous promet une soirée haute en couleurs au Ti Beudeff réputé comme étant le bar le plus authentique et festif de l’île. Cela se confirme dès notre arrivée, lorsqu’accoudé au comptoir, je commande un rhum arrangé et qu’on m’informe que celui-ci est bien évidemment issu de la macération de rhum, de 3 baies et de plantes qu’on ne trouve que sur l’île. Demandant des précisions, je n’en saurai pas plus, la potion de Panoramix probablement…
Débarque alors E., partenaire de nos cours en matinée et également Présidente du Cercle Celtique de Groix. Elle est accompagnée d’une demi-douzaine de musiciens qui dévoilent leurs trésors : un violon, une guitare, une flûte, un accordéon et même une cornemuse. Le plancher s’enflamme au pas des Laridé, Kost ar c’hoat, Plinn (j’apprendrai rapidement le nom de toutes ces danses traditionnelles – et gare à vous si l’envie vous prenait de les qualifier de « folkloriques » !). Les voix s’échauffent, le rythme s’accélère, la foule se fait. Les néophytes côtoient les experts dans une ambiance endiablée. Une vingtaine en début de soirée, nous approchons la centaine de personnes. Nous finissons nos joyeuses danses dans la rue sous le regard envieux des touristes qui, pour certains, entrent dans la ronde….
Nos 5 jours de stage touchent à leur fin. Nos professeurs nous proposent de terminer par un cours « bonus » qui sera dédié au langage de l’amour en breton. Mots doux, techniques de drague, proverbes poétiques ou prosaïques, tout y passe ! Finalement, ne sommes-nous pas tous ici réunis par amour de la langue ?
On ne se connaissait pas, on se quitte déjà. Tous promettons de revenir l’année prochaine et de garder nos portes ouvertes à l’autre d’ici là. Un certain Président qualifiait récemment, avec un humour douteux, les Bretons de « mafia française ». Je n’en retiendrai pour ma part, à l’issue de cette expérience groisillonne, que deux caractéristiques communes : l’attachement indéfectible au territoire d’origine (même lointain) et ce lien intouchable, fraternel, qui nous unit et jamais ne s’érode, même sur les contreforts de Groix.
« Selaouet m’eus ur plac’h vihan o kanan
Un ton nevez eus enezenn Groe… »