Une défaite flagrante devant l’Europe et un avantage sur le Parlement de Catalogne. Ce sont les résultats paradoxaux des ingérences de la justice espagnole dans le domaine politique pour contrer le mouvement indépendantiste catalan.
Le jeudi 19 juillet, le juge d’instruction du Tribunal suprême espagnol retire unilatéralement tous les mandats d’extradition contre les exilés catalans en Allemagne, en Belgique, en Écosse et en Suisse. La décision fait suite à l’arrêt du Tribunal du Schleswig Holstein la semaine précédente, arrêt qui a confirmé le rejet de l’extradition du président Carles Puigdemont pour une accusation de « rébellion » que les juges allemands ont constaté inexistante malgré les manipulations du parquet espagnol. L’impact de la double décision -la première allemande et espagnol ensuite- a été considérable dans toute l’Europe où la presse s’est fait l’écho de ce qui est analysé comme une défaite retentissante du système judiciaire espagnol et le renforcement de la position des indépendantistes catalans. De même que dans la presse madrilène, la « reddition » du Tribunal suprême a provoqué un choc. Le récit anti-catalan et la condamnation annoncée des exilés catalans ont créé désarroi, incompréhension et colère, en particulier dans les médias et parmi les politiques les plus à droite.
Le PP demande que l’Espagne quitte Schengen
Le Partido popular, depuis l’opposition, crie à la trahison de l’Europe et exige que l’Espagne quitte l’espace Schengen et rétablisse les frontières. L’attitude aussi irrationnelle que furieuse des médias -et des groupuscules d’extrême droite qui multiplient les agressions contre des indépendantistes catalans- a également été le fait des commentaires du juge Pablo Llarena qui a (de manière insolite) porté de sévères accusations contre la justice allemande et des autres pays européens. Le retrait des mandats d’extradition à l’encontre de tous les indépendantistes catalans exilés a contribué d’une part à renforcer le caractère politique des procédures judiciaires contre les Catalans, et d’autre part à démontrer le manque de rigueur de la justice espagnole et la position ridicule dans laquelle elle se complaît.
Manœuvre de Llarena pour éviter la victoire de Puigdemont
La manœuvre du juge du Tribunal suprême -retirer les mandats d’extradition de Clara Ponsatí en Écosse, Marta Rovira en Suisse, Meritxell Serret, Lluís Puig, Toni Comín en Belgique et Carles Puigdemont en Allemagne- est destinée à éviter que d’autres pays prennent une décision semblable à celle de l’Allemagne et confirment encore davantage le caractère fantaisiste de l’accusation de « rébellion ». Et surtout la mesure permet d’éviter la possibilité que Carles Puigdemont puisse revenir en Espagne et soit réélu à la présidence de la Generalitat. En outre, des exilés jugés pour un présumé simple délit de « détournement de fonds », alors que les ministres et dirigeants catalans emprisonnés le seraient pour « rebellion » (et risquent jusqu’à 30 ans de prison) mettrait la justice espagnole devant une grave crise interne.
Les socialistes entre silence et répression
Pendant ce temps, le gouvernement socialiste de Pedro Sánchez a du mal à trouver un moyen de résoudre la question catalane et allie silence devant les décisions de justice et la poursuite de la répression avec la judiciarisation de la crise. La nouvelle procureure générale a refusé de réduire les accusations des indépendantistes et les tribunaux et la police espagnole poursuivent toutes les procédures et ouvrent de nouvelles enquêtes pour l’organisation du référendum du 1er octobre.
Les indépendantistes effrayés et divisés
Parallèlement à la défaite des juges sur le terrain judiciaire, sur le plan politique les ingérences des tribunaux on bien atteint cette semaine le résultat d’effrayer élus catalans et de créer des tensions entre des partis indépendantistes. La suspension (sans base légale) par le Tribunal suprême des députés exilés a provoqué (mercredi 18 juillet) que le Parlement doive repousser sa session en l’absence d’accord entre ERC, Junts per Catalunya et la CUP. Certains sont partisans de se soumettre à la suspension en remplaçant momentanément les députés, tandis que d’autres préconisent de désobéir à une décision jugée irrégulière. Carles Puigdemont, de son côté, a déjà annoncé qu’il n’abandonnerait pas ses droits de député. Le différent correspondent à deux positions : ceux qui acceptent les règles du jeu espagnoles et reportent l’objectif de transformer l’essai de la déclaration d’indépendance à plus tard, et d’autre part ceux qui préconisent une plus ligne plus ferme et rapide en désobéissant à une légalité constitutionnelle qu’ils ne reconnaissent pas supérieure à la légitimité de la souveraineté du Parlement de Catalogne.
L’indépendance toujours majoritaire dans l’électorat
En attendant que le monde politique catalan trouve un accord et établisse une ligne de conduite complexe à trouver entre la légalité autonomique et le processus souverainiste, les derniers sondages d’opinion (du CEO, Centre d’estudis i d’opinió cette semaine, après l’enquête du Periódico) confirment le maintien d’une majorité indépendantiste (47%). En cas d’élections, ERC (Esquerra Republicana de Catalunya) gagnerait et élargirait la majorité des députés indépendantistes au Parlement (de 70 actuellement à environ 79). Suite à la retraite de la justice espagnole, les dirigeants catalans ont réaffirmé leur appel à la libération immédiate des prisonniers politiques et à l’abandon des procédures basées sur des accusations inexistantes et non fondées. Carles Puigdemont dit que le temps est venu « de désigner les responsables pour en finir avec l’arbitraire de la justice espagnole et indemniser les citoyens pour la malversation que suppose les accusations fictives et sans fondement ». Il a félicité le vice-président, les ministres, la secrétaire générale d’ERC d’être « libres dans l’Europe libre ». Il est prévu que, les autorités allemandes ayant levé son contrôle judiciaire, il retourne le samedi 29 juillet en Belgique pour lancer le Conseil de la République et travailler depuis Waterloo à la reconnaissance de la République. Le lundi 16 juillet, après une réunion à Berlin, Puigdemont et Torra ont annoncé le lancement d’un nouveau mouvement politique unitaire pour surmonter les divergences des partis : la Crida Nacional per la República (Appel national pour la République).
Autres brèves de la semaine
Jordi Turull (ex-ministre de la Présidence) a de nouveau demandé sa libération vendredi 20 en raison des sérieuses contradictions du magistrat instructeur. Carme Forcadell (ex-présidente du Parlement) a été transférée à sa demande dans une prison à Tarragone pour être proche de sa famille. Une chaîne humaine a accompagné son transfert le long de la route. Jeudi 19 juillet, le Tribunal suprême a de nouveau refusé de libérer les politiques en détention préventive au motif que la décision allemande augmentait les risques de fuite. Le mardi 17 juillet, le parti d’extrême-droite Vox a déposé une nouvelle plainte contre la Generalitat et la Guardia Civil enquête sur les responsables du gouvernement catalan « pour avoir utilisé sans autorisation les données de citoyens de Catalogne » (listes électorales). En même temps, 50 plaintes pour violence policière sont classées sans suite, les interventions de la police étant jugées « mesurées ». Noam Chomsky et six autres personnalités (entre autres Pep Guardiola) ont demandé la libération des prisonniers catalans. Le tribunal n° 13 de Barcelone ouvre de nouvelles procédures contre des hauts fonctionnaires de la Generalitat pour « obstruction à la justice » (la contrôleuse des comptes n’a pas confirmé les accusations de paiements présumés par le gouvernement catalan du référendum). Visite du président de Flandre à Barcelone, Geert Bourgeaois ; il se déclare préoccupé par les prisonniers catalans. Un photographe de presse est agressé par un policier espagnol aux cris de « Viva España ». Mardi 17 juillet, Pedro Sánchez réitère le rejet de toute discussion sur l’autodétermination de la Catalogne et sur un référendum accordé. Le Tribunal constitutionnel espagnol a suspendu une motion adoptée par le Parlement de Catalogne qui a à nouveau approuvé les objectifs de la consultation du 9 novembre 2015 (processus vers l’indépendance) le 5 juillet dernier par les partis indépendantistes, à l’initiative de la CUP, dans le but de mener à bien les actions nécessaires pour « arriver démocratiquement à l’indépendance », légitimée par les élections du 27 septembre 2015, le référendum du 1er octobre et les élections du 21 décembre 2017.