
Une fois de plus l’actualité de la politique catalane est marquée cette semaine par la justice allemande. Le jeudi 12 juillet, le tribunal de Sleswig Holstein a décidé de rejeter la demande d’extradition du président Carles Puigdemont pour « rébellion ». La décision a porté un coup à la justice espagnole et l’impact sur la presse a été très fort.
Le verdict du tribunal allemand peut avoir des conséquences très importantes sur les procès contre les politiques indépendantistes et les centaines de personnes dans toute la Catalogne également poursuivies en raison de leur participation au référendum du 1er octobre ou à des manifestations du soutien à l’indépendantisme. Si le tribunal du Sleswig Holstein démonte l’argument de la justice espagnole expliquant qu’en aucun cas il n’y a eu violence, reste la possibilité d’une extradition de Puigdemont pour détournement de fonds présumé (bien que le même tribunal indique qu’il n’y a pas de corruption et que le gouvernement espagnol de Rajoy ait toujours déclaré que la Generalitat n’avait pas dépensé un seul euro pour le référendum). La défense du président catalan peut maintenant faire appel au Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, et entend montrer qu’il n’y a jamais eu de détournement de fonds publics et que sont en jeu ici que les droits fondamentaux de l’accusé clairement mis à mal par les autorités espagnoles. Un éventuel procès en Espagne ne permettrait pas de garantir le minimum d’impartialité.
La Tribunal suprême pourrait retirer la demande d’extradition
Face à une telle décision défavorable, le juge Pablo Llarena étudie la possibilité de retirer la demande d’extradition de Puigdemont pour empêcher une éventuelle extradition au seul motif de « détournement de fonds », ce qui obligerait le tribunal espagnol à limiter le procès à à cette seule accusation. Il est de plus en plus évident que l’instruction suit clairement des critères politiques et non juridiques. Le juge a décide de lancer ou de retirer les mandats d’extradition selon la meilleure opportunité et stratégie pour obtenir la condamnation maximale des indépendantistes catalans. En outre, un éventuel procès de Puigdemont pour détournement de fonds, alors que ses ministres, le Président du Parlement et les présidents de l’ANC et d’Òmnium seraient jugés pour rébellion et sédition pour les mêmes faits, pose un problème juridique sérieux. La décision allemande (et avant celle de la Belgique et la position du gouvernement suisse) montre que les accusations de la justice espagnole se fonde sur une interprétation (manipulation ?) de la réalité des faits et un manque de rigueur (mensonges ?) des rapports de police judiciaire, tous destinés « décapiter » le mouvement indépendantiste, selon les termes de la vice-présidente du gouvernement de Rajoy, en incarcérant (même de manière préventive) le maximum de personnes le plus longtemps possible.
Situation délicate et fureur de Madrid
La situation provoquée par la judiciarisation de la politique catalane place le gouvernement espagnol dans une situation de plus en plus délicate et complexe pour sortir de l’impasse dans laquelle il s’est lui-même engagé. Comment négocier sur le plan politique sans perdre la face ? Comment sortir la justice espagnole de l’imbroglio où elle s’est elle-même enfoncée et l’empêcher d’être ridiculisée et de perdre sa crédibilité auprès du reste de l’Europe ? La réaction à l’annonce allemande a provoqué la fureur et le ressentiment d’une grande partie de la société espagnole envers les partenaires européens qualifiés de « traîtres ». La presse de droite et les partis Ciudadanos et Partido Popular ont sont furieux. Le PP en est même venu à réclamer l’abandon du traité de Schengen et le rétablissement des frontières.
Effet domino sur les centaines de procès contre les indépendantistes
Le Tribunal Suprême était pressé de clore l’instruction le plus rapidement possible et de commencer le procès contre les politiques indépendantistes pour obtenir les peines les plus sévères et établir une jurisprudence qui vaille ensuite pour tous les autres procès (contre des centaines de militants et de Catalans élus). Le problème auquel il est maintenant confronté est qu’en cas d’échec d’impossibilité de condamner les accusés – juste jusqu’à 30 ans – pour rébellion, toute la stratégie politique de liquidation de l’indépendantisme risque d’échouer et par effet domino pourrait même mettre en danger le système judiciaire espagnol. Une aggravation inattendue de la crise. Mais le Tribunal suprême a continué d’intervenir cette semaine sur le plan politique en ordonnant vendredi 13 Juillet la suspension des fonctions de député du président Puigdemont et de cinq autres élus, pour essayer de briser la majorité indépendantiste du Parlement. Le problème est qu’aucune loi ne prévoit une telle décision et que le Parlement de Catalogne est le seul capable de suspendre des députés. Le président Roger Torrent a déjà annoncé son refus d’appliquer cette décision.
Indépendantisme renforcé
Parallèlement à l’affaiblissement de la position de l’État espagnol, l’indépendantisme catalan semble être progressivement renforcée par l’évolution de la situation. Immédiatement après la décision allemande, les principales autorités catalanes, y compris les présidents Torra et Puigdemont, ont réitéré la demande de libération sans délai des prisonniers et l’annulation des procès politiques. Le vendredi 13 juillet, tous les avocats des prisonniers politiques ont convoqué une conférence de presse pour exiger la libération immédiate des indépendantistes et annoncé leur stratégie coordonnée pour obtenir le classement des affaires et la fin des poursuites. Dimanche 14 juillet, une manifestation organisée par les associations civiques catalanes a rassemblé quelque 200 000 personnes (plus de 110 000 selon la police) à Barcelone. Au devant du défilé se trouvaient les présidents Torra, Artur Mas, Roger Torrent, entre autres dirigeants catalans. Entre-temps, les Comités de défense de la République (CDR) avaient pris d’assaut une ancienne prison de Barcelone, la Model, symbole d’une Bastille catalane, en présence du président de la Generalitat. Certains médias espagnols ont même souligné la perspective que sans détention préventive ni poursuite pour rébellion, Carles Puigdemont pourrait récupérer la présidence du gouvernement catalan qui lui avait été enlevée par Madrid en novembre 2017. Pendant ce temps, l’historien Josep Lluís Alay qui avait accompagné le président Puigdemont en Finlande et qui est poursuivi par les tribunaux espagnols pour « complicité » (d’un délit qui selon le tribunal allemand n’existe plus…) a été nommé chef du bureau du président Puigdemont à Barcelone et la Generalitat organise sa sécurité en lui fournissant des mossos d’esquadre (police catalane) comme escorte permanente.