Tais-toi l’Africain !

L’Afrique, on le sait, est le continent le plus pauvre du monde. Pourtant, on le sait également, c’est celui qui possède le plus de richesses, notamment minières que les multinationales exploitent à leur profit. Les chefs d’État du monde se penchent régulièrement au chevet de l’Afrique et, parfois, dans un geste de bonté, annulent tout ou partie des dettes que certains États ont contractées… sans, bien sûr, remettre en cause le modèle économique dominant qui explique cet endettement !

Paradoxalement, on entend très rarement – en Europe du moins – les propos des Africains eux-mêmes sur les grandes questions qui se posent à l’humanité, en particulier sur les questions liées au climat et à la biodiversité. Il se trouve que Le Peuple breton a eu l’occasion de rencontrer l’an dernier, à Plœmeur, des centaines de militants anti-OGM du monde entier. Parmi eux, Ali Tapsoba du Burkina Faso, président de Terre et vie et éminent spécialiste de la question des OGM. Ce dernier vient justement de se faire refuser un visa canadien quelques jours avant un forum de l’ONU où il était invité dans le cadre de négociations sur la biodiversité qui sont en cours à Montréal.

En lui refusant ce visa sans aucun motif, les fonctionnaires de l’immigration empêchent par la même occasion que la société burkinabé s’exprime, notamment sur la question essentielle des OGM et des moustiques génétiquement modifiés. Ali Tapsoba entendait aborder la question du « forçage génétique » qui est une nouvelle technologie controversée qui cherche à « corriger » un gène au sein d’une espèce dans le but de l’éradiquer. « Une expérience sur les moustiques génétiquement modifiée est en cours actuellement au Burkina Faso avec le projet « target malaria » financé par Bill Gate », explique Ali. Et de s’interroger : « les Africains n’ont-t-il pas le droit de rencontrer les autres nationalités du monde au Canada pour discuter de l’avenir de l’humanité ? »

Force est de constater que le « droit à la mobilité » cher au capitalisme vaut uniquement pour les populations riches, si possible vivant dans l’hémisphère nord. Colonisée ou non, l’Afrique reste le terrain de jeu des multinationales, le laboratoire des technologiques ethnocides. Et sans la parole des Africains, de ceux qui subissent ces expérimentations, il sera difficile de sensibiliser les populations. Bâillonner la société africaine reste un bon moyen de maintenir l’injustice du système économique. Et il suffit juste de quelques décisions administratives pour y arriver en toute légalité. Pratique, non ?

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]