De Vasco de Gamma à l’Aquarius

Lorsqu’en mai 1498, Vasco de Gamma quitte les Côtes du Mozambique pour s’engager dans l’Océan Indien il traverse une mare incognita. Ses compagnons, angoissés par une traversée qui leur paraît sans fin, le prient de rebrousser chemin. Mais ils naviguent depuis plus de trois semaines et il n’y a plus qu’une semaine de vivres à bord. « Faute de pouvoir faire demi-tour, leur dit-il alors, nous continuerons de l’avant. » Cinq ans auparavant, Christophe Colomb avait ouvert par l’ouest la route des Indes Occidentales. Tous deux inauguraient plus de six siècles de liberté de circulation rapidement transformée en domination planétaire de l’Europe. On ne le sait que trop, cette liberté nouvelle de circulation et d’installation ouvrait une ère de conquêtes de pillage et de colonisations par laquelle l’Europe, dans les siècles qui suivront, affirmera sa vocation d’impérialisme prédateur.

Le paraguayen Eduardo Gagliano rappelle dans Les veines ouvertes de l’Amérique Latine (Plon, 1981), l’ère de pillages, de génocides, d’ethnocides par quoi se traduisit la conquête, la colonisation puis le « développement » de l’Amérique du sud. David Stannard (entre autres) a dressé dans American holocaust. The conquest of the New World (O. U. P. 1992) le tableau terrifiant de ce que fut l’assujettissement des peuples originels – puis des déportés africains – à la toute-puissance Européenne du continent nord-américain. C’est essentiellement aux européens que les navigateurs ibériques assuraient la liberté de circulation sur les océans. Ce que résumait l’un marins de l’Aquarius, le navire de sauvetage en mer affrété par SOS Méditerranée, en avouant son sentiment d’injustice face à tous les sans-papiers d’Afrique et du Moyen Orient tentant de traverser la Méditerranée au péril de leur vie : « Avec mon passeport français je peux voyager dans le monde entier… Pourquoi nous on a ce droit et pas eux ? » (Ouest-France 24-11-2016).

Et le fait est que la liste des noyés en Méditerranée ne cesse de s’allonger. Depuis le début de cette comptabilité macabre (janvier 2014), près de 15000 êtres humains y ont disparu, sans compter les morts dans les déserts ou dans les zones de combat. Tous nous disent : « Compte tenu de ce que vous avez fait ou laissé faire dans nos pays respectifs, nous sommes contraints d’émigrer et faute de pouvoir faire demi-tour, nous continuerons à risquer notre vie en allant de l’avant… » La seule vraie question qui sa pose alors à nous désormais est : non pas accueillir toute la misère du monde, mais beaucoup plus simplement assumer notre responsabilité quant à l’état actuel de la planète.

Et là, les sirènes d’alarme des politiques et des médias de la droite française sombrent dans le ridicule. L’indice de peuplement d’un pays se mesure à sa densité. On sait que la densité de la France est très moyenne : 116 hab/km2. Il convient donc alors de rappeler que l’Italie compte 191,5 hab/km2 ; l’Allemagne 232,7 hab/km² (deux fois plus que la France) ; le Royaume Uni, 260 hab/km2 (2,25 la densité de la France). On peut comprendre l’émotion de ces trois pays devant l’accroissement de leur solde migratoire, lequel dépasse largement celui de la France. Mais leur population est fondée à trouver que notre pays présente un retard d’humanité considérable par rapport aux leurs, compte tenu de ses incomparables capacités d’accueil…

Pourtant il ne manque pas en France, de personnes et d’associations aussi généreuses qu’inventives. Mais la mise en œuvre de ces vertus est entravée chez nous par le poison violent de l’égoïsme nationaliste, qui imprègne nos actuels gouvernants quasi autant que leurs opposants de droite et d’extrême droite – et qui gangrène une bonne partie de notre administration. Question de fond : comment produire le contre-poison ?

> Gérard Prémel

Gérard Prémel est un vieux militant et un écrivain. Pilier des rencontres islamo-chrétiennes et inter-culturelles de Vieux-Marché, il milite au collectif des personnes sans papiers de rennes ainsi qu’aux amis de l’Algérie.