Taxe d’habitation. Le casse-tête de la révision des finances locales

La promesse électorale d’Emmanuel Macron de « supprimer » la taxe d’habitation a créé un effet domino qui nécessite une véritable refonte des finances locales. Missionnés par le gouvernement, le sénateur Alain Richard et le préfet honoraire Dominique Bur ont justement rendu le 9 mai dernier un « rapport sur la refonte de la fiscalité locale ».

Annonce choc durant la campagne présidentielle, la suppression de la taxe d’habitation a très certainement fait pencher la balance en faveur du candidat Emmanuel Macron lors du premier tour de l’élection tant cette mesure a été accueillie positivement par les Français. Lors du débat télévisé du 12 avril dernier sur TF1, il a confirmé cette promesse et ajouté : « J’avais dit 80 %, je souhaite que ça puisse être la totalité puisque si un impôt n’est pas bon pour 80 % des Français, il n’est pas bon pour tous ». Derrière cette petite phrase, il n’est pas difficile de voir planer l’ombre du Conseil Constitutionnel, soucieux de l’égalité entre tous. Le Président a donc préféré élargir sa promesse afin qu’elle s’applique à l’ensemble des Français. De fait, le rapport Richard-Bur estime que « 7,5 millions de foyers fiscaux se verront exonérés de taxe d’habitation avec la suppression de cet impôt, en plus des 18 millions de foyers déjà dégrevés ». Cette réforme est mise en œuvre à compter du 1er janvier 2018, sous la forme d’un dégrèvement graduel qui devrait être achevé en 2020.

Une promesse à 26 milliards d’euros

Cette promesse aurait pu ne pas poser de problème particulier, mais Emmanuel Macron s’est également fendu d’un engagement supplémentaire : il n’y aura aucun impôt nouveau, ni aucune augmentation de la fiscalité pour compenser le manque à gagner ! S’agissant d’un « dégrèvement » (et non d’une « suppression »), il a néanmoins promis que toutes les collectivités seraient compensées à l’euro. Si bien que beaucoup s’interrogent sur la façon dont il va pouvoir trouver les 26 milliards d’euros manquant aux caisses du Trésor.

La taxe d’habitation est considérée depuis longtemps comme une imposition injuste socialement pour les ménages et inéquitable territorialement pour les collectivités. Injuste socialement car elle ne tient pas compte des capacités contributives des ménages (excepté pour les plus modestes qui en sont déjà dispensés) et inéquitable territorialement car elle est différente selon les villes de résidence. Le rapport Richard-Bur explique aussi que la taxe d’habitation est une « exception française » : la France est en effet le seul pays à pratiquer une double taxation sur les logements des ménages, « la taxe d’habitation, qui frappe l’occupant, s’ajoutant à la taxe foncière sur les propriétés bâties, qui frappe le propriétaire ». Un propriétaire-occupant est donc imposé deux fois. Cette mesure-phare d’Emmanuel Macron est clairement destinée aux « classes moyennes », principalement les petits propriétaires. Il s’agit de « mettre fin à des inégalités qui s’étaient cristallisées et amplifiées, en raison du défaut d’actualisation des valeurs locatives cadastrales des locaux d’habitation, remontant à 1970, sur lesquelles est assise cette taxe ».

En termes de finances locales, cette promesse a pourtant des conséquences qu’il faut anticiper. Pour le bloc communal, la perte de recettes liée à la taxe d’habitation est estimée à 24,6 Md€ en 2020, à quoi il faut ajouter environ 1,7 Md€ de compensations d’exonérations de taxe d’habitation qui disparaîtront avec la suppression de cette imposition, soit un total de 26,3 Md€ environ. En 2016, la taxe d’habitation représente 34 % des ressources fiscales du bloc communal. C’est dire la complexité de la mise en œuvre d’une telle décision, fut-elle juste politiquement.

Remise en cause de l’autonomie financière des collectivités ?

L’État prenant en charge le manque à gagner des collectivités, un autre problème se pose : la remise en cause de l’autonomie financière des collectivités, constitutionnalisée en 2003. Un seuil obligatoire de ressources propres des collectivités a été fixé si bien que la promesse électorale d’Emmanuel Macron nécessite des arbitrages nouveaux sur les attributions fiscales. En devenant le premier contributeur local, l’État se rendrait en effet indispensable auprès des collectivités. La mission souligne que « recourir uniquement à des dotations d’État pour combler la disparition de la taxe d’habitation (…) est incompatible avec le ratio-plancher d’autonomie financière du bloc communal qui est de 60,8 % ». Une situation qui « n’est saine ni pour l’État qui devrait assumer de manière pérenne une charge budgétaire très élevée, ni pour les collectivités territoriales qui s’inquiètent légitimement du risque de transformation à moyen terme des dégrèvements en exonérations, qui donnent lieu à des dotations de compensation (que l’État a loisir de minorer, voire d’éteindre) ainsi qu’à un gel des taux et des bases fiscales ». Les rapporteurs se sont donc attachés à donner des pistes de financement des collectivités, sachant qu’ils ont du respecter les règles fixées par l’exécutif à savoir pas d’impôts nouveaux, ni augmentation de la fiscalité, le Président de la République estimant que cette mesure se financerait par l’intermédiaire de la croissance et d’économies de l’État.

Deux hypothèses de remplacement ont été travaillées en priorité par le rapport : la réallocation de recettes fiscales existantes des départements vers le bloc communal consistant à transférer un taux de taxe foncière sur les propriétés bâties d’un bénéficiaire à l’autre, sans impact pour le contribuable local qui acquitte déjà les deux niveaux de taxe et le transfert d’une fraction d’impôt national (à cotisation constante pour le contribuable national).

Déshabiller Paul pour habiller Jacques

La première hypothèse consiste à déshabiller Paul pour habiller Jacques. Elle présente cependant l’intérêt majeur de maintenir un lien entre le contribuable et les services publics communaux et intercommunaux. Elle permet également de préserver l’autonomie financière des communes et des EPCI, au contraire des dotations. Selon le rapport Richard-Bur, « le produit fiscal de la taxe d’habitation du bloc communal est de 21,8 Md€ en 2016, à quoi il est possible d’ajouter les compensations d’exonération de taxe d’habitation, d’un montant de 1,2 Md€ en 2016, soit un total de 23,0 Md€. En regard, le produit fiscal de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties n’a été que de 13,8 Md€ en 2016. » Il reste donc à compenser 8 à 9 Md€.

Plus précisément, le rapport propose deux variantes dont la plus simple serait de compenser intégralement la perte des communes par la taxe foncière sur les propriétés bâties qui seraient dès lors l’échelon unique de prélèvement et d’assurer un complément (par une partie d’impôt national) aux EPCI. Les départements perdant une source de financement importante, le rapport préconise de leur attribuer une part d’imposition nationale. Mais vu le type de compétences déléguées aux départements, on est toutefois en droit de s’interroger sur la pertinence de maintenir cet échelon en tant que collectivité territoriale. Plus que jamais, le département fait office d’échelon déconcentré et peu politique tant ses domaines de compétences sont fléchés et obligatoires. Plutôt que de chercher à supprimer des députés par mesure d’économie, le législateur serait bien inspiré de réduire le mille-feuilles territorial en transformant pour de bon ce vestige hérité de la révolution française en échelon de déconcentration, ce qu’il a toujours été politiquement parlant.

La seconde hypothèse consiste à remplacer le produit de la taxe d’habitation en fléchant une part d’impôt national. La mission privilégie, si ce scénario était retenu, le partage d’une fraction d’imposition nationale non territorialisée et sur laquelle les communes et les EPCI ne détiendraient pas de pouvoir de taux. Le choix se porte en priorité sur une part de la CSG (mais qui pourrait fragiliser la sécurité sociale) ou une part de la TVA, à l’instar des Régions, scénario privilégié par le rapport.

Quid des résidences secondaires ?

Plusieurs questions annexes se posent également, la première d’entre elles étant : faut-il dispenser de taxe d’habitation les résidents secondaires ? Le rapport explique que « la part du produit de la TH au titre des résidences secondaires a représenté 2,30 Md€ ». À noter que la majorité du produit de la taxe d’habitation provient des cotisations acquittées par les occupants au titre de la résidence principale (19,43 Md€ en 2016). Emmanuel Macron n’ayant rien précisé quant aux résidences secondaires, le rapport préconise le maintien de la taxe. Il estime que le Conseil Constitutionnel peut tout à fait accepter le principe d’une imposition différenciée selon que l’on habite une résidence ou non. Pour les rapporteurs, la taxe d’habitation pour les résidences secondaires se justifie car elle permet de limiter le nombre de logements vacants ou de résidences secondaires en zone tendue.

Le rapport explique qu’« à défaut de maintenir la taxe d’habitation pour les seules résidences secondaires, la mission propose d’unifier ces impositions disparates sous la forme de deux taxations simplifiées, qui pourraient prendre la forme d’une contribution complémentaire sur les résidences secondaires appliquée aux propriétaires, assortie d’une majoration dans les zones urbaines tendues ». Avant d’ajouter : « cette contribution adjointe à la taxe foncière sur les propriétés bâties, calculée à partir de l’assiette de celle-ci (proportionnelle à celle de l’ancienne TH puisque celle-ci ne comporte pas d’abattements pour les résidences secondaires), ne constituerait pas une nouvelle imposition puisque cette taxe et sa majoration seraient, pour des montants conservés ou partiellement allégés, la poursuite modernisée d’impositions existantes. » Le rapport insiste sur la vigilance à apporter à deux cas particuliers : les propriétaires de résidences secondaires aux revenus modestes (cas des héritages) ainsi que les contribuables soumis, du fait de leur profession, à une obligation de résidence sur leur lieu de travail.

Cette « refondation » des finances locales devrait avoir d’autres conséquences comme la suppression de taxes rapportant peu. Mais la plus importante de ces conséquences sera bien évidemment la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation. Il s’agit de « les aligner sur la réalité du marché locatif et de renouer le lien avec les facultés contributives des propriétaires ». La révision des valeurs locatives a été décidée en deux temps : d’abord pour les locaux professionnels (mesure entrée en vigueur le 1er janvier 2017), puis pour les locaux d’habitation (43 millions). Pour cette dernière révision, le calendrier précis n’est pas encore arrêté. On peut aisément se dire que, pour compenser discrètement l’absence de recettes liée à la disparition de la taxe d’habitation, les valeurs locatives vont globalement augmenter, générant ainsi un surcroît global de financement pour les collectivités locales. Il y aura bien sûr des gagnants et des perdants, mais l’ensemble devrait être bénéficiaire aux comptes publics. Emmanuel Macron compte de toute façon sur une augmentation de la fiscalité locale qui, elle, ne sera pas compensée par l’État. C’est en tout cas l’hypothèse que soulevait Le Télégramme le 3 mai dernier et que ne dément pas le spécialiste des finances locales Yann Le Meur.

Une chose est certaine : en laissant les collectivités dans l’incertitude d’un financement pérenne, le Président de la République joue la montre et met un coup de canif dans son « pacte girondin ».

À lire aussi dans le numéro du Peuple breton de juin 2018 (à paraître) deux articles sur les finances locales.

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]